La Presse Anarchiste

Contre le Parti

Nous tenons abso­lu­ment à pré­ci­ser au lec­teur un cer­tain nombre de notions qui ont pré­si­dé à l’é­la­bo­ra­tion du texte sui­vant. Ceci dans le but d’é­vi­ter tout malentendu.

Nous n’a­vons pas la pré­ten­tion d’é­pui­ser le sujet. Ce qui deman­de­rait des volumes. De plus, cer­tains aspects de la ques­tion lors­qu’ils sont trop détaillés, peuvent assez faci­le­ment être remis en cause par l’ex­pé­rience his­to­rique ulté­rieure. Nous nous bor­ne­rons donc à ce qui est à la fois essen­tiel et défi­ni­ti­ve­ment acquis. Cet essen­tiel suf­fit puis­qu’il ne s’a­git pas pour nous de rédi­ger une « bible » à l’u­sage des révo­lu­tion­naires, les­quels s’en passent fort bien ou cessent d’être révo­lu­tion­naires à par­tir du moment où un quel­conque caté­chisme leur est indis­pen­sable pour eux d’a­bord, pour le répandre dans les masses ensuite. cer­tains révo­lu­tion­naires, autres que nous-mêmes, ayant expri­mé une par­tie de nos posi­tions, nous pré­ci­se­rons dans le corps de cet article qui et quoi. Ceci n’im­pli­quant nul­le­ment que nous par­ta­gions toute leur orien­ta­tion, y com­pris des insuf­fi­sances dont nous ferons d’ailleurs état.

Les termes que nous employons ont pour nous toute leur signi­fi­ca­tion ini­tiale. Ils doivent être com­pris dans ce sens, c’est-à-dire dans toute leur accep­tion. À titre d’exemple, pré­ci­sons seule­ment que l’emploi des mots « com­mu­niste », « socia­liste », dési­gnent les tra­vailleurs manuels et intel­lec­tuels lucides favo­ri­sant l’a­vè­ne­ment d’une forme de socié­té COMMUNISTE. L’emploi de cette ter­mi­no­lo­gie au sens propre ne désigne pas MM. Thores et Mol­let ou leurs dis­ciples. Nous appel­le­rons ceux-ci, res­pec­ti­ve­ment, les « sta­li­niens » et les « social-démo­crates » ou plus géné­ra­le­ment : les « bureaucrates ».

1. De la bureaucratie…

Depuis les évé­ne­ments du 13 mai 1958 et la suite, tout ce qui existe en France comme orga­ni­sa­tions répu­tées « ouvrières » se posent et posent à l’u­sage de ce qui leur reste d’au­dience, le pro­blème des formes d’organisation.

Ceci n’est pas nou­veau. Pério­di­que­ment le même phé­no­mène se pro­duit. À chaque fois que le pro­lé­ta­riat se détourne de ceux qui pré­ten­daient être son état-major et celui de la révo­lu­tion socia­liste. Si on se penche « sur le par­ti » ou « sur ses rap­ports avec les masses », ce n’est pas pour trou­ver le che­min de la révo­lu­tion, mais pour cher­cher un moyen de rame­ner les tra­vailleurs au ber­cail bureau­cra­tique. Nous ne nous éten­drons pas sur les orga­nismes bureau­cra­ti­sés à l’ex­trême et de col­la­bo­ra­tion avec la bour­geoi­sie et l’É­tat que sont deve­nus les syn­di­cats en atten­dant d’être com­plè­te­ment inté­grés à l’É­tat comme dans les pays sta­li­niens ou de style fran­quiste. Ceux qui nous parlent du Mou­ve­ment Syn­di­cal Uni et Démo­cra­tique comme d’une tarte à la crème ne font que nous ser­vir la même mar­chan­dise sous un embal­lage à peine plus présentable.

La recette, c’est le par­ti. Cer­tains syn­di­ca­listes de la C.F.T.C. et quelques poli­ti­ciens notam­ment du M.R.P., ont au cours de l’é­té envi­sa­gé la for­ma­tion d’un « mou­ve­ment de la démo­cra­tie fran­çaise ». C’est-à-dire, une sorte de par­ti démo­crate-chré­tien, social par rap­port à celui de MM. Bidault et Tixier-Vignan­court. Ver­ba­lisme social-chré­tien aurait per­mis un recru­te­ment dans le mou­ve­ment ouvrier. Cette idée n’est pas com­plè­te­ment aban­don­née, lors­qu’elle se repré­sen­te­ra, nous aurons l’oc­ca­sion d’en par­ler. Tou­te­fois, nous pré­ci­se­rons dès main­te­nant que la nais­sance d’un par­ti poli­tique ne peut que ren­con­trer notre hos­ti­li­té. À plus forte rai­son s’il est d’ins­pi­ra­tion confes­sion­nelle et même si celle-ci se pré­sente sous le cou­vert de syndicalisme.

1.600.000 élec­teurs habi­tuels du par­ti sta­li­nien, n’ayant voté ni « non » au réfé­ren­dum ni « sta­li­nien » aux élec­tions, les bureau­crates de ce par­ti se penchent sur la ques­tion des rap­ports entre le par­ti et les masses. Ser­vin s’a­per­çoit avec inquié­tude et stu­pé­fac­tion « qu’un mil­lion d’é­lec­teurs com­mu­nistes, et même d’a­van­tage, ont voté “oui” au réfé­ren­dum, et qu’au cours de la cam­pagne du plé­bis­cite le pari et ses mili­tants n’ONT PAS SENTI ce qui se pré­pa­rait ». Ser­vin, dans un volu­mi­neux rap­port au comi­té cen­tral, et Tho­rez, dans un dis­cours-fleuve à l’is­sue du même C.C., en rejettent les res­pon­sa­bi­li­tés sur les mili­tants qui n’ont fait qu’ap­pli­quer les consignes des sus-nom­més. Ima­gi­nons qu’ils aient sen­ti, qu’ils aient dit, qu’ils sen­taient venir le résul­tat du 28 sep­tembre, ils auraient été exclus pour avoir osé mettre en cause la ligne « tou­jours juste » du par­ti. Ce que Ser­vin, Tho­rez et autres ne sen­ti­ront jamais, parce que leurs inté­rêts propres de bureau­crates le leur inter­disent abso­lu­ment, c’est la rup­ture entre une par­tie très impor­tante du pro­lé­ta­riat et la démo­cra­tie (sic) bour­geoise. Ce n’est que dans la mesure où des pers­pec­tives révo­lu­tion­naires sérieuses n’é­taient pas offertes aux tra­vailleurs que ceux-ci se sont mas­si­ve­ment tour­nés vers De Gaulle, par dégoût de la Répu­blique par­le­men­taire, des scan­dales nau­séa­bonds que l’on sait. En consé­quence le mot d’ordre de « la défense de la (IVe) Répu­blique », QUI FUT CELUI DES STALINIENS PENDANT LES MOIS QUI ONT PRÉCÉDÉ LE RÉFÉRENDUM, ne pou­vait que détour­ner les tra­vailleurs de ceux qui le lançaient.

Mais si les sta­li­niens ont pu, au prix d’une perte sen­sible de leur audience, faire l’é­co­no­mie d’un écla­te­ment du par­ti il n’en va pas de même pour la social-démo­cra­tie qui n’a pu évi­ter la scis­sion. Les mino­ri­taires qui ont for­mé le par­ti « socia­liste » auto­nome, se sont-ils éloi­gnés des posi­tions tra­di­tion­nel­le­ment social-démo­crates ? Un article publié par « L’Ob­ser­va­teur » et signé de Depreux ne doit pas faire illu­sion. Le prin­ci­pal tra­vail du par­ti socia­liste auto­nome a été pla­cé dans le cadre de l’U­nion des Forces Démo­cra­tiques où il ne s’u­nis­sait qu’à la mino­ri­té radi­cale, au par­ti men­des­siste jaco­bin de Mit­te­rand (U.D.S.R.) ain­si qu’à cette orga­ni­sa­tion bâtarde, mi-social-démo­crate, mi-social-chré­tienne inti­tu­lée « Union de la Gauche Socia­liste » (U.G.S.).

Tous ces cou­rants jaco­bins, social-démo­crates, chré­tiens de gauche, grou­pés dans l’U.F.D., n’ont pu dans ce cadre que jouer le rôle d’un car­tel élec­to­ral sans prin­cipes et dont le pro­gramme se résu­mait en la convo­ca­tion d’un par­le­ment constituant !

Pour les dif­fé­rents cou­rants qui com­posent l’U.F.D. après l’é­chec de leur der­nière expé­rience élec­to­ra­liste, il s’a­git de « poser » le pro­blème des formes d’or­ga­ni­sa­tion. La ques­tion se résume au sché­ma sui­vant : par­ti ou par­ti ? Pour les petits-bour­geois men­des­sistes ou men­dos­si­sants il est impen­sable de regrou­per tout le monde (le petit monde de l’U.F.D.) dans un par­ti tra­vailliste. Pour les élé­ments social-démo­crates ou crypte-social-démo­crates (P.S.A. + U.G.S.) un par­ti « socia­liste » (lire social-démo­crate) s’a­vère abso­lu­ment néces­saire. C’est-à-dire recom­men­cer, pour les uns, l’é­po­pée du PARTI radi­cal, pour les autres, celle du PARTI social-démocrate !

Mais, dira-t-on, il s’a­git là de posi­tions de per­son­nages issus de la bureau­cra­tie, il est com­pré­hen­sible que ceux-ci sor­tis des appa­reils, ils n’y aient pas aban­don­né l’i­déo­lo­gie bureau­cra­tique et les habi­tudes en décou­lant. Si on pose mal ou ne pose pas le pro­blème on peut très faci­le­ment abou­tir à de telles conclusions.

2… À la micro-bureaucratie

Le par­ti com­mu­niste inter­na­tio­na­liste (trots­kyste) peut par son ver­ba­lisme pas­ser pour révo­lu­tion­naire ; ses posi­tions devraient donc natu­rel­le­ment tran­cher sur celles des bureau­crates. Nous extra­yons ces lignes d’un article de Lam­bert pré­ci­sé­ment consa­cré « aux pro­blèmes du parti » :

« La classe ouvrière, au cours d’une lutte plus que sécu­laire a édi­fié pour la défense de ses inté­rêts immé­diats insé­pa­rables de la réa­li­sa­tion de son objec­tif his­to­rique : le socia­lisme, des orga­ni­sa­tions, par­tis et syn­di­cats, qui la ras­semblent face à la classe capi­ta­liste. Ces orga­ni­sa­tions ont toutes, HORMIS LE PARTI BOLCHEVIK DE LÉNINE ET TROTSKY [[C’est nous qui sou­li­gnons.]], failli à leur mis­sion [[La Véri­té n°513, 15/​11/​58, « Les pro­blèmes du parti ».]].»

Si nous avons bien com­pris Lam­bert, la classe ouvrière a accom­pli en U.R.S.S. sa mis­sion his­to­rique : le socia­lisme. Et ce, à tra­vers le par­ti bol­che­vik. L’é­mi­nence grise du P.C.I. (« La Véri­té ») récite une tirade du « Mani­feste du par­ti communiste ».

Nous cite­rons un autre texte omis dans son article :

« La Révo­lu­tion russe, cette même Révo­lu­tion qui consti­tue la pre­mière expé­rience his­to­rique de la grève géné­rale, non seule­ment n’est pas une réha­bi­li­ta­tion de l’a­nar­chisme, mais encore équi­vaut à une LIQUIDATION HISTORIQUE DE L’ANARCHISME [[Sou­li­gné dans le texte.]]. La triste exis­tence, à laquelle cette ten­dance d’es­prit avait été condam­née par le puis­sant déve­lop­pe­ment de la démo­cra­tie socia­liste en Alle­magne, pou­vait jus­qu’à un cer­tain point être expli­quée par le règne exclu­sif et la longue durée de la période par­le­men­taire. On pou­vait croire qu’une ten­dance toute bâtie pour « l’ex­plo­sion » et « l’ac­tion directe », une ten­dance « révo­lu­tion­naire » au sens le plus étroit d’ap­pel à la levée des fourches ne fai­sait, dans l’ac­cal­mie de la rou­tine par­le­men­taire, que som­meiller momen­ta­né­ment pour se réveiller loin du retour de la lutte ouverte, reprendre vie dans une révo­lu­tion de rue et déployer alors sa force intérieure.

« La Rus­sie sur­tout sem­blait par­ti­cu­liè­re­ment faite pour ser­vir de champ d’ex­pé­rience aux exploits de l’a­nar­chie. Un pays où le pro­lé­ta­riat n’a­vait, abso­lu­ment aucun droit poli­tique et seule­ment une orga­ni­sa­tion faible à l’ex­trême un mélange bario­lé de popu­la­tions diverses aux inté­rêts très divers se tra­ver­sant et s’en­tre­croi­sant, le manque de culture dans la masse du peuple, la bes­tia­li­té la plus exces­sive employée par le régime régnant dans l’emploi de la force tout cela sem­blait comme créé pour don­ner à l’a­nar­chisme une force sou­daine, quoique peut-être éphé­mère. Enfin, la Rus­sie était his­to­ri­que­ment le ber­ceau de l’anarchisme.

« Mais la patrie de Bakou­nine devait deve­nir le tom­beau de sa doc­trine. Non seule­ment, en Rus­sie ce ne sont pas les anar­chistes qui se sont trou­vés et se trouvent à la tête du mou­ve­ment de grève en masse, non seule­ment la conduite de l’ac­tion révo­lu­tion­naire poli­tique et aus­si de la grève en masse est entiè­re­ment aux mains des orga­ni­sa­tions social-démo­crates, com­bat­tues avec achar­ne­ment par les anar­chistes comme un « par­ti bour­geois » ou aux mains des orga­ni­sa­tions socia­listes plus ou moins influen­cées par la social-démo­cra­tie et se rap­pro­chant d’elle, comme le par­ti ter­ro­riste des « socia­listes révo­lu­tion­naires » — mais les anar­chistes n’existent pas du tout comme ten­dance poli­tique sérieuse dans la Révo­lu­tion russe […].

«[…] L’a­nar­chisme dans la Révo­lu­tion russe n’est pas la théo­rie du pro­lé­ta­riat com­bat­tant, mais l’en­seigne idéo­lo­gique de la canaille contre-révo­lu­tion­naire, grouillant comme une bande de requins dans le sillage du navire de guerre de la Révo­lu­tion. Et sans doute, c’est par là que finit la car­rière his­to­rique de l’a­nar­chisme. » (Rosa Luxem­bourg, « Grève géné­rale, par­ti et syn­di­cats » (1907), tra­duc­tion parue dans « Spar­ta­cus » n°21 oct-nov 47, pages 15 — 16).

Pauvre Rosa ! Qui, en 1907, esti­mait la car­rière de l’a­nar­chisme ter­mi­née. Nous lais­se­rons de côté les basses injures « luxem­bour­gistes » (et autres) sur la canaille anar­chiste. Nous remar­que­rons en pas­sant que dans la géné­ra­li­té des cas on a recours à l’in­jure et à la fal­si­fi­ca­tion lorsque les argu­ments valables font abso­lu­ment défaut. Ce qui semble être par­tiel­le­ment le cas de Rosa Luxem­bourg. Par ailleurs ce n’est pas Rosa Luxem­bourg mais l’His­toire qui a mon­tré qui étaient les canailles grouillant comme des requins dans le sillage de la Révo­lu­tion. Consi­dé­rant Rosa Luxem­bourg comme une authen­tique mar­xiste nous ne « cher­che­rons pas frau­du­leu­se­ment à l’op­po­ser au léni­nisme révo­lu­tion­naire » (Lam­bert).

D’a­près Rosa Luxem­bourg, l’a­nar­chisme n’exis­tait pas comme ten­dance poli­tique sérieuse dans la révo­lu­tion russe, notam­ment lors­qu’il condam­nait la social-démo­cra­tie comme « par­ti bour­geois ». De la révo­lu­tion russe au mol­le­tisme, au nen­nisme, au beva­nisme en pas­sant par la révo­lu­tion alle­mande (au cours de laquelle Luxem­bourg a pu véri­fier elle-même les thèses anar­chistes), nous sommes pas­sés par toute une évo­lu­tion de la S.D., d’une ten­dance à un embour­geoi­se­ment — et, paral­lè­le­ment, à une bureau­cra­ti­sa­tion — à leur pro­fonde réa­li­té. Qui étaient sérieux, les anar­chistes ou Rosa Luxem­bourg en 1907 ?

Rosa Luxem­bourg avait tout de même rai­son en écri­vant que la révo­lu­tion russe était le tom­beau d’une doc­trine. Mais là où réside l’er­reur, c’est que la révo­lu­tion russe ne fut pas du tout la fin de la car­rière his­to­rique de l’a­nar­chisme ELLE CONSACRA tout sim­ple­ment, LA FIN DE LA CARRIÈRE HISTORIQUE DU MARXISME COMME COURANT COMMUNISTE.

Ou l’a­nar­chisme pour­suit tou­jours sa car­rière his­to­rique (depuis 1907) ou il ne s’est rien pas­sé en Ukraine en 1917 — 21, en Espagne en 1936, en Hon­grie en 1956, etc.

Aujourd’­hui, lorsque les tra­vailleurs se placent sur des posi­tions de classe ils vomissent le par­le­men­ta­risme et se résolvent à l’ac­tion directe. Rejoi­gnant par là les anar­chistes et négli­geant « la période par­le­men­taire » aus­si chère à Tho­rez qu’à Luxembourg.

Enfin, la méthode qui consiste à « conduire l’ac­tion révo­lu­tion­naire » ne peut mener à la révo­lu­tion sociale, mais au contraire à la révo­lu­tion bureau­cra­tique. La révo­lu­tion russe en est l’illustration.

Face à la situa­tion pré­sente, en France, que pro­posent donc les dis­ciples de Marx, Lénine et Luxem­bourg réunis ? C’est-à-dire prin­ci­pa­le­ment les trots­kystes. Les chefs actuels du pro­lé­ta­riat étant des « traîtres », il faut chan­ger de chef, il faut refaire un PARTI révo­lu­tion­naire, état-major de la classe et de la révo­lu­tion. Mais lais­sons la parole aux inté­res­sés, ne ris­quant pas ain­si de défor­mer leur pensée :

« Cette crise (celle du 13 mai) est néces­saire et sera salu­taire si les mili­tants com­mu­nistes font l’ef­fort indis­pen­sable pour reve­nir à la poli­tique de Lénine, pour éli­mi­ner une direc­tion faillie et pour créer les condi­tions de dis­cus­sion démo­cra­tique dans le mou­ve­ment ouvrier néces­saires à la renais­sance d’une nou­velle direc­tion afin d’as­su­rer la revanche. » (« Qua­trième Inter­na­tio­nale » n°4, 16ème année, page 11, nov 1958).

Nous ne sommes nul­le­ment éton­nés de cette inca­pa­ci­té congé­ni­tale des mar­xistes ortho­doxes à déga­ger une quel­conque leçon de l’ex­pé­rience du « par­ti révo­lu­tion­naire », celle-ci pour­rait cent fois abou­tir aux résul­tats obte­nus par le bol­che­visme en U.R.S.S. Il y aurait tou­jours des Lam­bert ou des Frank pour être prêts à recom­men­cer une cent et unième fois la même chose, pour esti­mer en même temps que le par­ti « a rem­pli sa mis­sion his­to­rique », pour insis­ter sur la « néces­si­té de la défense de l’U.R.S.S. (ou de ce qui en tien­drait lieu)» et pour réci­ter par cœur, imper­tur­bables, le « pro­gramme de tran­si­tion » sans on oublier la moindre virgule.

On ne s’embarrasse pas de l’His­toire, chez les mar­xistes. Qu’im­porte donc si Trots­ky lui-même a diri­gé la san­glante répres­sion de Crons­tadt ! qu’im­porte si en Hon­grie, éga­le­ment, la classe ouvrière entre en conflit violent avec le PARTI « OUVRIER » et l’É­TAT « OUVRIER ». On com­mence par pas­ser les évé­ne­ments de Crons­tadt sous silence, On conti­nue en qua­li­fiant le sta­li­nisme de « régime ouvrier dégé­né­ré » (?). On ter­mine en pre­nant la pré­cau­tion de pla­cer les faits his­to­riques dans un cadre éta­bli, Sur ce der­nier point nous cite­rons Lambert : 

« AVANT de ten­ter d’é­ta­blir ce bilan indis­pen­sable à une défi­ni­tion cor­recte des condi­tions de la construc­tion d’un par­ti ouvrier révo­lu­tion­naire, et, pour ce faire, de confron­ter l’en­sei­gne­ment du mar­xisme avec l’ex­pé­rience his­to­rique concrète, IL NOUS FAUT FIXER LES CADRES DE NOTRE TRAVAIL ». (« La Véri­té » n°513, 15/​11/​58, « Les pro­blèmes du par­tit » — C’est nous qui soulignons).

Les copieuses cita­tions de Marx et Rosa Luxem­bourg qui jalonnent le texte de Lam­bert, nous donnent une idée du cadre. Comme ni Marx ni Luxem­bourg n’ont ana­ly­sé la bureau­cra­tie et le phé­no­mène de la burau­cra­ti­sa­tion de la socié­té, la lutte des classes, réa­li­té sociale de 1959, sera pla­cée dans un cadre, un sché­ma qui date de Babeuf.

3. Notions et perspectives communistes

Les trots­kystes ne sont pas les seuls mar­xistes. Le groupe « Socia­lisme ou Bar­ba­rie » qui publie la revue du même nom s’est, lui aus­si, posé le pro­blème du par­ti révo­lu­tion­naire. Le malaise qui exis­tait dans le groupe sur cette ques­tion depuis ses ori­gines est arri­vé à matu­ri­té sous l’in­fluence des évé­ne­ments du 13 mai.

Les cama­rades du groupe « S. ou B. » ont quit­té l’or­nière trots­kyste en essayant d’a­na­ly­ser les struc­tures de la socié­té sta­li­nienne. Ce qui les a ame­nés à reje­ter l’af­fir­ma­tion du régime « ouvrier dégé­né­ré » chère à la IVe Internationale.

Mais ils ne devaient pas en res­ter à cette atti­tude néga­tive. Très rapi­de­ment ils pro­dui­saient dans la revue d’ex­cel­lentes ana­lyses sur la Bureau­cra­tie et sa nature de classe en U.R,S.S. Ils déniaient, et dénient tou­jours, tout carac­tère socia­liste au régime sta­li­nien, forme d’ex­ploi­ta­tion sub­sti­tuée a une autre.

Les articles de Chau­lieu « sur le conte­nu du socia­lisme », de Lefort « Le tota­li­ta­risme sans Sta­line », ou ceux trai­tant de la révo­lu­tion hon­groise, nous changent des textes sacrés de MM. Lam­bert ou Frank.

Dans le conte­nu du socia­lisme, Chau­lieu nous explique que le conseil ouvrier (soviet) n’a de pou­voir de déci­sions que pour des ques­tions de rou­tine. Pour toutes les ques­tions impor­tantes seule l’as­sem­blée de TOUS LES OUVRIERS dis­cute et décide. Pro­grès par rap­port aux mar­xistes « tra­di­tion­nels », la notion de délé­ga­tion de pou­voirs à un conseil semble avoir dis­pa­ru. À une récente réunion publique Mothé et Guillaume étendent ce pou­voir direct au-delà de l’en­tre­prise et contestent la néces­si­té de la prise du pou­voir par le parti.

Mais une telle évo­lu­tion devait engen­drer des contra­dic­tions Tous les membres du groupe « S. ou B. » n’é­vo­luaient pas au même rythme. La scis­sion s’est pro­duite à l’au­tomne der­nier entre ceux (Socia­lisme ou Bar­ba­rie) qui croient encore à la néces­si­té du par­ti, dans un but d’ef­fi­ca­ci­té, doté d’or­ga­nismes cen­traux, de sta­tuts et dis­ci­pli­né (loi de la majo­ri­té, dis­ci­pline des mino­ri­taires dans la pra­tique), et ceux (Infor­ma­tion et liai­sons ouvrières — I.L.O.) qui rejettent toute pers­pec­tive de parti.

Depuis que les anar­chistes existent en tant que mou­ve­ment orga­ni­sé, ils ont reje­té les formes d’or­ga­ni­sa­tion en par­ti mili­ta­ri­sé, créé pour s’emparer du pou­voir poli­tique et diri­ger la révo­lu­tion. Un siècle d’ex­pé­rience his­to­rique amène des « mar­xistes » à la même atti­tude. Mais pour cela il leur a fal­lu aban­don­ner un à un les élé­ments du sché­ma mar­xiste. En se per­met­tant le « luxe » de ne pas empri­son­ner les faits, depuis le babou­visme. jus­qu’à la révo­lu­tion hon­groise dans un « cadre », trots­kystes ou non, ces cama­rades ont pu consta­ter que tous les par­tis poli­tiques. et les syn­di­cats « ouvriers », sans aucune excep­tion, n’é­taient deve­nus que des bureau­cra­ties (ou des micro-bureau­cra­ties ; style P.C.I.), et que les régimes domi­nés par ces par­tis, ou plu­tôt expri­més poli­ti­que­ment par eux, n’a­vaient rien de com­mun avec la socié­té com­mu­niste, qu’il ne s’a­gis­sait pas de « régimes ouvriers dégé­né­rés » qu’il faut défendre contre le capi­ta­lisme (défense de l’URSS : slo­gan « IVe Inter­na­tio­nale »), mais qu’il s’a­gis­sait bien d’une autre forme d’ex­ploi­ta­tion, d’un autre impérialisme.

Le rôle des révo­lu­tion­naires n’est donc pas de se subor­don­ner à l’un ou à l’autre de ces impé­ria­lismes, il est de faie corps avec le pro­lé­ta­riat dans les luttes que celui-ci engage pério­di­que­ment contre l’ex­ploi­ta­tion bour­geoise ou bureaucratique.

Nous consta­tons avec satis­fac­tion l’é­vo­lu­tion dans un sens liber­taire du groupe ILO qui trans­pa­raît dans cer­tains textes. À titre d’exemple, nous don­nons ci-des­sous un extrait significatif :

« Une orga­ni­sa­tion de l’a­vant-garde est néces­saire, nous en sommes tous per­sua­dés, mais celle-ci doit répondre aux besoins nou­veaux du mou­ve­ment ouvrier. Elle doit être fon­dée sur des prin­cipes qui n’ont rien de com­mun avec ceux qui ont gui­dé les orga­ni­sa­tions com­mu­nistes pas­sées et qui ont fait faillite avec la bureau­cra­ti­sa­tion du mou­ve­ment ouvrier.

Il serait tra­gique que notre vision révo­lu­tion­naire de la socié­té n’ins­pire pas une concep­tion révo­lu­tion­naire de notre orga­ni­sa­tion propre.

Il serait absurde que nous soyons révo­lu­tion­naires en paroles quand il s’a­git de défi­nir les rap­ports sociaux que les ouvriers ont ins­ti­tué, et conser­va­teurs dans la pra­tique, quand il s’a­git d’é­ta­blir des rap­ports entre nous-mêmes […].

[…] Ou bien notre théo­rie de la bureau­cra­tie s’a­bî­me­ra dans le ver­ba­lisme, ou nous serons capables de faire valoir pra­ti­que­ment, dans notre propre orga­ni­sa­tion, la for­mule de la coopé­ra­tion et de démon­trer dans les faits la vani­té des appa­reils. L’au­to­no­mie dont nous avons fait le prin­cipe théo­rique de la lutte et de l’or­ga­ni­sa­tion des tra­vailleurs, nous devons l’é­ri­ger en prin­cipe pra­tique de notre propre acti­vi­té et de notre propre orga­ni­sa­tion. La pre­mière consé­quence de ce prin­cipe, c’est que notre orga­ni­sa­tion ne sau­rait se situer vis-à-vis des tra­vailleurs comme se sont situés les par­tis tra­di­tion­nels. Ces par­tis se situent comme des direc­tions qui appellent la classe ouvrière à adhé­rer à leur pro­gramme, à répondre à leurs mots d’ordre, à les suivre avec dis­ci­pline. Notre orga­ni­sa­tion n’est qu’un ins­tru­ment au ser­vice des ouvriers pour qu’ils consti­tuent leur propre direc­tion et qu’ils s’or­ga­nisent eux-mêmes de manière auto­nome, c’est-à-dire dans des comi­tés, dans le cadre de la pro­duc­tion. Qu’il s’a­gisse de l’ac­ti­vi­té théo­rique du groupe ou de son acti­vi­té pro­pa­gan­diste, celles-ci se déve­loppent dans l’es­prit d’ai­der les tra­vailleurs à prendre conscience de leurs propres tâches et d’a­bord, de celle de l’au­to-orga­ni­sa­tion. » (Texte de la ten­dance I.L.O. à l’as­sem­blée de « S. ou B. » du 6 juin 1958.)

Nous insis­te­rons sur le fait que les deux groupes sont RÉVISIONNISTES en ce sens qu’ils s’ef­forcent de repen­ser le mar­xisme à la lumière des évé­ne­ments. Ceci ne peut pas ne pas ren­con­trer notre vive sym­pa­thie. Notam­ment parce que cette dis­po­si­tion d’es­prit pré­sup­pose une évo­lu­tion ulté­rieure comme elle explique celle déjà réa­li­sée. Une bonne par­tie de l’é­dite du n°26 de la revue « Socia­lisme ou Bar­ba­rie » reprend cer­taines de nos posi­tions en matière d’or­ga­ni­sa­tion, en voi­ci un extrait des plus intéressants :

« L’ac­tion poli­tique n’a pas de sens, en effet, si elle n’est pas effi­cace. Mais effi­cace par rap­port à quoi, c’est toute la ques­tion. Une poli­tique révo­lu­tion­naire est effi­cace dans la mesure où elle élève la conscience et la com­ba­ti­vi­té des tra­vailleurs, les aide à se débar­ras­ser des mys­ti­fi­ca­tions de la socié­té éta­blie et de ses ins­tru­ments bureau­cra­tiques, enlève les obs­tacles de leur route, aug­mente leur propre capa­ci­té à résoudre leurs pro­blèmes. Il est effi­cace d’ai­der dix ouvriers à voir clair dans les pro­blèmes actuels ; il ne l’est abso­lu­ment pas de faire élire dix dépu­tés Com­mu­nistes supplémentaires.

« L’ac­tion poli­tique n’a pas de sens en dehors d’une orga­ni­sa­tion. Mais quelle orga­ni­sa­tion et pour­quoi faire ? L’or­ga­ni­sa­tion n’est rien si son fonc­tion­ne­ment, son acti­vi­té, sa poli­tique quo­ti­diennes ne sont pas l’in­car­na­tion visible et contrô­lable par tous des fins qu’elle pro­clame. Cela est infi­ni­ment plus impor­tant que la taille de l’or­ga­ni­sa­tion comme telle, qui n’a, à pro­pre­ment par­ler, aucune signi­fi­ca­tion en dehors du conte­nu de l’or­ga­ni­sa­tion : une orga­ni­sa­tion bureau­cra­tique trois fois plus impor­tante est sim­ple­ment trois fois plus néfaste, un point c’est tout.

« Les mili­tants qui tirent les leçons de la faillite des orga­ni­sa­tions tra­di­tion­nelles et veulent aller de l’a­vant, doivent com­prendre que, s’ils ne veulent pas reprendre le même cal­vaire avec le même néant au bout, il faut com­men­cer par le com­men­ce­ment. Ils doivent aban­don­ner l’i­dée qu’ils peuvent faire l’é­co­no­mie d’une révi­sion radi­cale des idées sur les­quelles ils ont vécu pen­dant des années. Ils doivent se débar­ras­ser de cette illu­sion — qui s’empare curieu­se­ment aujourd’­hui de l’«opposition com­mu­niste » et montre com­bien les sur­vi­vances du sta­li­nisme peuvent être pro­fondes — qu’il suf­fit de cri­ti­quer le P.C. sur des pro­blèmes fina­le­ment conjonc­tu­rels, comme son atti­tude sur l’Al­gé­rie ou le 13 mai, et qu’il faut sur­tout évi­ter de poser les grandes ques­tions « abs­traites » : s’ils s’en­ga­geaient sur cette voie ils se pré­pa­re­raient le même sort poli­tique que le P.C. lui-même, lorsque la ques­tion algé­rienne ne sera plus là et que le 13 mai sera oublié. Ils doivent sur­tout com­prendre que les débuts d’une nou­velle orga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire seront fata­le­ment modestes, qu’on n’a ni à s’en attris­ter ni à s’en réjouir, mais sim­ple­ment à recon­naître que c’est la seule voie ouverte aujourd’­hui et que tout le reste c’est du char­la­ta­nisme poli­tique. Ceux qui veulent du « grand » peuvent res­ter au P.C., ceux qui se contentent de moins : aller à l’UGS. Mais ceux qui veulent habi­ter quelque chose de solide auront à le construire eux-mêmes. Presque tous les maté­riaux sont là, mais la terre est rase. » (« Socia­lisme ou Bar­ba­rie » n°26 pages 17 à 19, décembre 58).

Mais si dans le texte ci-des­sus on omet de s’é­tendre sur le conte­nu et la struc­ture de « l’or­ga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire », une réso­lu­tion parue anté­rieu­re­ment dans la même revue pré­cise ce que l’on entend par là. Étant don­né notre désac­cord for­mel avec les concep­tions qu’elle exprime, nous en don­nons les extraits sui­vants à titre indicatif :
« Dans la mesure où l’on admet que l’ac­ti­vi­té poli­tique révo­lu­tion­naire est dans la période actuelle la forme suprême de la lutte de l’hu­ma­ni­té pour son éman­ci­pa­tion on recon­naît par-là même que la pre­mière tâche qui s’im­pose à tous ceux qui ont pris conscience de la néces­si­té de la révo­lu­tion socia­liste, est de se grou­per pour pré­pa­rer col­lec­ti­ve­ment cette révo­lu­tion. De là découlent inévi­ta­ble­ment des traits fon­da­men­taux de toute action poli­tique col­lec­tive per­ma­nente, à savoir : la base de la cohé­rence de toute action col­lec­tive, c’est-à-dire un pro­gramme his­to­rique et immé­diat, un sta­tut de fonc­tion­ne­ment, une action constante vers l’extérieur.

« C’est à par­tir de ces traits que l’on peut défi­nir le par­ti révo­lu­tion­naire. Le par­ti révo­lu­tion­naire est l’or­ga­nisme col­lec­tif, fonc­tion­nant selon un sta­tut déter­mi­né et sur la base d’un pro­gramme his­to­rique et immé­diat qui tend à coor­don­ner et diri­ger les efforts de la classe ouvrière, pour détruire l’É­tat capi­ta­liste, ins­tal­ler à sa place le pou­voir des masses armées et réa­li­ser la trans­for­ma­tion socia­liste de la société.

« La néces­si­té du par­ti révo­lu­tion­naire découle sim­ple­ment du fait qu’il nexiste pas d’autre orga­nisme de la classe capable d’ac­com­plir ces tâches de coor­di­na­tion et de direc­tion d’une manière per­ma­nente avant la révo­lu­tion, et qu’il est impos­sible qu’il en existe […].

«[…] Si les comi­tés de lutte ne résolvent pas la ques­tion de la direc­tion révo­lu­tion­naire, du par­ti, ils sont cepen­dant le maté­riel de base pour la construc­tion du par­ti dans la période actuelle […].

«[…] La néces­si­té du par­ti révo­lu­tion­naire ne cesse pas avec l’ap­pa­ri­tion d’or­ga­nismes auto­nomes de masses (orga­nismes sovié­tiques). Aus­si bien l’ex­pé­rience du pas­sé que l’a­na­lyse des condi­tions actuelles montrent que ces orga­nismes n’ont été et ne seront, au départ, que for­mel­le­ment auto­nomes et en fait domi­nés et influen­cés par des idéo­lo­gies et des cou­rants poli­tiques his­to­ri­que­ment hos­tiles au pou­voir pro­lé­ta­rien. Ces orga­nismes ne deviennent effec­ti­ve­ment auto­nomes qu’à par­tir du moment où leur majo­ri­té adopte et assi­mile le pro­gramme révo­lu­tion­naire, que jusque là le par­ti est seul à défendre sans com­pro­mis­sion » (« Socia­lisme ou Bar­ba­rie » n°2, juin 49, pages 100 à 101).

On pour­rait nous objec­ter que ces textes datent de 49. Soit, voi­ci donc du plus neuf : 

« 5. — Entre deux assem­blées géné­rales ou assem­blées de délé­gués, les acti­vi­tés du groupe sont coor­don­nées par UN COMITÉ RESPONSABLE [[C’est nous qui sou­li­gnons.]] qui assure en outre l’ac­com­plis­se­ment des tâches cen­trales, rela­tions avec les cama­rades de pro­vince et avec d’autres orga­ni­sa­tions, ETC. [[Idem.]] […].

« 6. — Les cama­rades en désac­cord avec les déci­sions MAJORITAIRES [[Idem.]] régu­liè­re­ment prises de leur cel­lule, de l’as­sem­blée ou du C.R. [[Idem.]] sont tenus à les appli­quer. Ils ont le droit d’ex­pri­mer leurs désac­cords […]» (Texte sur l’or­ga­ni­sa­tion du groupe « S. ou B. » (majo­ri­taires), 6 juin 58.)

Cette der­nière cita­tion d’un texte récent des majo­ri­taires de Socia­lisme ou Bar­ba­rie tend sim­ple­ment à démon­trer que l’on n’y a pas encore dépas­sé « la néces­si­té du par­ti » ni de l’é­tat d’es­prit s’y rapportant.

Notre récente et cui­sante expé­rience de feu la Fédé­ra­tion Com­mu­niste Liber­taire nous amène à confir­mer plus que jamais notre oppo­si­tion irré­duc­tible au concept même du « par­ti ». D’au­tant plus que l’en­sei­gne­ment de l’his­toire nous donne rai­son sur ce terrain.

Nous devons tirer nos propres conclu­sions de ce qui pré­cède. En bref, nous pour­rions écrire que l’é­man­ci­pa­tion des tra­vailleurs, ne sera l’œuvre que des tra­vailleurs eux-mêmes. Mais d’autres ayant, par notam­ment des notions comme « la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » qui s’est dans la pra­tique révé­lée comme étant la dic­ta­ture du par­ti ET DE L’ÉTAT contre le pro­lé­ta­riat, déna­tu­ré, fal­si­fié une telle notion et les pers­pec­tives qu’elle implique, force nous est de pré­ci­ser ce que nous enten­dons par là.

Nous ne sommes pas, nous ne vou­lons pas être des théo­ri­ciens abs­traits du genre de ceux qui mettent les « faits dans un cadre » pour ne pas mettre en cause les textes sacrés et autres tabous. Nous sommes des révo­lu­tion­naires, en ce sens que nous sommes réa­listes et objec­tifs. Nous ne jugeons et n’é­la­bo­rons que sur des faits, fidèles en cela à la pen­sée matérialiste.

Ain­si l’ex­pé­rience his­to­rique est pour nous pri­mor­diales. Or, elle condamne sans appel le par­ti. En 1905, en Rus­sie, grève géné­rale et muti­ne­rie conduisent les masses à créer leurs organes de lutte : les soviets. Dans quelques cas les par­tis s’emparent de cette expé­rience pour la diri­ger. Mais, il fal­lut attendre 1917 pour assis­ter au pas­sage de la révo­lu­tion bour­geoise com­men­cée en février à la révo­lu­tion d’oc­tobre. C’est là que les par­tis, ou plu­tôt très rapi­de­ment le plus cen­tra­li­sé, le plus dis­ci­pli­né : le par­ti des « révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels », le par­ti bol­che­vik, colo­nisent, puis colo­nise les soviets. Ceux-ci per­dant pro­gres­si­ve­ment leur carac­tère d’or­ga­nismes auto­nomes des masses pour ne deve­nir que les appen­dices du par­ti, véri­table déten­teur du pou­voir. On sait que par la suite la bureau­cra­tie ne prit pas le pou­voir en ren­ver­sant le par­ti « révo­lu­tion­naire » (bol­che­vik) mais prit nais­sance dans ce par­ti ET DANS L’APPAREIL D’ÉTAT que celui-ci avait recons­ti­tué. Plus de qua­rante années du pou­voir du par­ti « de Lénine et de Trots­ky » abou­tissent au tota­li­ta­risme bureau­cra­tique de MM. Sta­line, Krout­ch­chev, and C°.

Vou­loir don­ner un état-major à la classe ouvrière et à la révo­lu­tion sociale c’est condam­ner cette der­nière à n’être pas socia­liste mais bureaucratique.

D’au­tant plus que la néces­si­té du par­ti, ce n’est pas seule­ment les anar­chistes que nous sommes qui la contes­tons. L’HISTOIRE LA CONTESTE TOUT AUTANT OU ALORS IL NE S’EST RIEN PASSE EN HONGRIE EN 1956, ‘ENTRE AUTRES.

En effet, non seule­ment le pro­lé­ta­riat hon­grois de 1956, au cours d’un sou­lè­ve­ment dont presque tout le monde semble avoir oublié les ensei­gne­ments fon­da­men­taux, n’a pas uti­li­sé un par­ti pour trou­ver le che­min de la révo­lu­tion ; mais n’a même pas éprou­vé le besoin d’en créer un (le « par­ti révo­lu­tion­naire de la jeu­nesse » n’a été dû qu’à l’i­ni­tia­tive d’é­tu­diants aux­quels ne s’é­taient joints que de rares ouvriers). L’es­sen­tiel des formes d’or­ga­ni­sa­tion de la lutte des ouvriers rési­dait dans les « conseils ouvriers » (les soviets) élus et révo­cables à tout ins­tant. Mais pour ten­ter d’im­po­ser leur pou­voir les tra­vailleurs grou­pés dans ou autour des soviets, se trou­vaient dans l’o­bli­ga­tion de se dres­ser CONTRE LE PARTI QUI FUT CELUI DE BELA KHUN, CONTRE L4ÉTAT « OUVRIER », CONTRE L’ARMÉE ROUGE FONDÉE PAR… TROTSKY.

Ceci nous amène aus­si à cri­ti­quer non seule­ment les insuf­fi­sances du groupe « Socia­lisme ou Bar­ba­rie » sur le par­ti, mais aus­si celles du groupe « Infor­ma­tion et Liai­sons Ouvrières » sur l’É­tat. Car per­sonne hor­mis les anar­chistes n’a pro­cé­dé à une cri­tique de l’É­tat aus­si radi­cale que celle du parti.

Pour­tant si l’on veut sérieu­se­ment contri­buer à une pré­pa­ra­tion de la révo­lu­tion et, par là, tendre à éle­ver le niveau actuel­le­ment très bas de la conscience de classe, pré­lude à la prise de conscience révo­lu­tion­naire, il est indis­pen­sable de reje­ter toutes les notions et formes d’or­ga­ni­sa­tion propres à toute socié­té d’ex­ploi­ta­tion bour­geoise ou bureaucratique.

Avant de pou­voir vala­ble­ment défi­nir les struc­tures et le rôle de l’or­ga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire, il est néces­saire de défi­nir ; ne serait-ce que briè­ve­ment, ce qu’est l’É­tat, ce qu’est le parti.

Pour le pre­mier, n’im­porte qui sait voir ce qui l’en­toure, sait qu’il ne s’a­git là que d’un ins­tru­ment de coer­ci­tion par la police, par l’ar­mée, par le tri­bu­nal, par le par­le­ment, le gou­ver­ne­ment, etc. Il ne s’a­git que d’un appa­reil d’exer­cice par­tiel du pou­voir pour la classe exploi­teuse et de pro­tec­tion de ce pou­voir. C’é­tait du moins le sché­ma clas­sique valable il y a trois quarts de siècle. Les anar­chistes l’a­vaient com­pris comme le démontre cet extrait d’un texte que Car­lo Caf­fie­ro rédi­geait en 1872 à l’a­dresse d’Engels :

« Tous, nous vou­lons conqué­rir, ou mieux, exi­ger le capi­tal pour la col­lec­ti­vi­té, et pour ce faire, nous pro­po­sons deux pro­cé­dés divers. Les uns conseillent un coup de main sur la for­te­resse prin­ci­pale, l’É­tat, laquelle étant tom­bée en notre pou­voir, la porte du capi­tal sera ouverte à tous, tan­dis que les autres envi­sagent d’a­battre tous ensemble tous les obs­tacles et de s’emparer col­lec­ti­ve­ment, DE FAIT, de ce capi­tal que l’on veut assu­rer pour tou­jours pro­prié­té collective.

« Je me suis ran­gé avec les seconds, mon cher, et vous, bon maté­ria­liste, com­ment pou­vez-vous être avec les pre­miers ? La théo­rie des cir­cons­tances déter­mi­nantes, que vous savez, à l’oc­ca­sion, si bien déve­lop­per, n’ar­rive-t-elle pas à déter­mi­ner dans votre esprit le doute sur la nature de l’œuvre que vous accom­pli­rez une fois ins­tal­lé au pou­voir constitué ? »

Ce doute, dans l’es­prit de Caf­fie­ro, sur la nature de l’œuvre que l’on peut accom­plir une fois ins­tal­lé au pou­voir consti­tué, la révo­lu­tion russe après plus de qua­rante ans le trans­forme en réa­li­té. La conquête du pou­voir poli­tique, l’a­mé­na­ge­ment de l’É­tat, son uti­li­sa­tion à des fins révo­lu­tion­naires, etc., n n’a­bou­tissent pas en effet à la pro­prié­té col­lec­tive du capi­tal, à la ges­tion ouvrière des usines (que récla­maient les insur­gés hon­grois), à la démo­cra­tie (que récla­maient les insur­gés de Crons­tadt, ain­si que des mesures éga­li­taires) MAIS AU POUVOIR DE LA BUREAUCRATIE, EN TANT QUE NOUVELLE CLASSE EXPLOITEUSE. Or qu’est donc cette bureau­cra­tie, si elle n’est pas consti­tuée des cadres, des cadres syn­di­caux, des cadres des entre­prises et de tous les hauts fonc­tion­naires directs de l’ap­pa­reil d’É­tat. L’É­tat inter­vient en U.R.S,S. comme étant la classe bureau­cra­tique née du par­ti bol­che­vik, Ce n’est donc pas là la réa­li­sa­tion de la révo­lu­tion socia­liste, mais la révo­lu­tion bureau­cra­tique achevée.

En U.R.S.S., en You­go­sla­vie, en Chine, les tra­vailleurs n’ont fait que chan­ger d’ex­ploi­teurs, que pas­ser de la domi­na­tion de la bour­geoi­sie capi­ta­liste à celle de l’É­tat bureaucratique.

Le rôle des révo­lu­tion­naires COMMUNISTES n’est pas de favo­ri­ser cette trans­for­ma­tion là. Or le par­ti est l’ins­tru­ment indis­pen­sable… pour dévier la révo­lu­tion, socia­liste à l’o­ri­gine (en admet­tant qu’elle le soit, ce qui n’est pas tou­jours le cas = la révo­lu­tion anti­co­lo­niale), de sa route et l’ai­guiller vers une trans­for­ma­tion de la socié­té, syno­nyme de bureaucratisation.

Nous avons de tout temps, depuis que nous exis­tons sous forme orga­ni­sée, nous liber­taires- com­mu­nistes repous­sé l’É­tat pour ce qu’il était, quelle que soit la sauce à laquelle il était accom­mo­dé› il en fut de même pour le par­ti (les pré­ten­dus anar­chistes qui pério­di­que­ment vont « vers le par­ti » finissent mal, dans le style F.C.L.). L’ex­pé­rience his­to­rique n’in­firme en rien nos posi­tions tra­di­tion­nelles. AU CONTRAIRE. Mais ceci n’im­plique pas que notre atti­tude soit négative.

À l’É­tat nous oppo­sons les dif­fé­rentes expé­riences déjà réa­li­sées par les tra­vailleurs, sous la forme des soviets auto­nomes dans leurs déci­sions et leur orga­ni­sa­tion interne (ce, de la Com­mune à la révo­lu­tion hon­groise). Nous pen­sons que seule une fédé­ra­tion de ces soviets peut consti­tuer une forme réel­le­ment com­mu­niste des rap­ports entre eux dans une socié­té socia­liste. Pour que cette fédé­ra­tion des soviets soit liber­taire, la dis­pa­ri­tion de la police, de l’ar­mée, des tri­bu­naux, de toute DÉLÉGATION de pou­voir à un par­ti, à un par­le­ment, à un gou­ver­ne­ment, c’est-à-dire : DE L’ÉTAT, EST UNE NÉCESSITÉ VITALE. L’É­tat ne peut pas être « ouvrier », pas plus que les géné­raux « anti­mi­li­ta­ristes » ou les évêques « libres-penseurs ».

Au par­ti « révo­lu­tion­naire » clas­sique, ou de style nou­veau (Socia­lisme ou Bar­ba­rie), NOUS OPPOSONS DES FORMES D’ORGANISATION, PRÉFIGURATION DE LA SOCIÉTÉ QUE NOUS APPELONS DE TOUS NOS VŒUX ET DONT NOTRE ACTION À POUR BUT DE FAVORISER L’AVÈNEMENT.

Cela signi­fie : Que l’or­ga­ni­sa­tion, pour assi­mi­ler dans ses formes et son com­por­te­ment l’ex­pé­rience révo­lu­tion­naire acquise, refuse d’être la direc­tion, l’é­tat-major de la classe et de la révolution.

— Que les rap­ports entre les révo­lu­tion­naires orga­ni­sés ne peuvent pro­cé­der du sché­ma sui­vant : le comi­té cen­tral dirige, la base exé­cute (défi­ni­tion som­maire du par­ti). C’est-à-dire que des com­mu­nistes véri­tables ne peuvent avoir entre eux des rap­ports hié­rar­chi­sés, com­por­tant des délé­ga­tions de pou­voir. Même si les délé­gués sont « contrô­lés ». Parce que de tels rap­ports SONT LA NÉGATION MÊME DU COMMUNISME LIBERTAIRE et que paral­lè­le­ment ils ne sont que L’HÉRITAGE DES TARES IDÉOLOGIQUES de toute socié­té d’exploitation.

— Que l’or­ga­ni­sa­tion com­mu­niste ne peut être qu’une fédé­ra­tion de groupes, les­quels groupes peuvent se consti­tuer soit sur la base du lieu de tra­vail, soit sur la base du quar­tier ou toute autre base jugée valable.

— Que le groupe a une entière res­pon­sa­bi­li­té dans la déter­mi­na­tion des rap­ports qu’il aura avec les tra­vailleurs, de son orien­ta­tion, de son appré­cia­tion des faits, enfin de ses rap­ports avec les autres groupes dans le cadre fédé­ral ain­si que de son orga­ni­sa­tion interne.

— Que la fédé­ra­tion et cha­cun des groupes la com­po­sant ne se pré­sentent devant la classe ouvrière que pour l’ai­der à par­ve­nir à une prise de conscience révo­lu­tion­naire, et, pour ce faire, lui four­nir toutes infor­ma­tions, mettre le plus pos­sible des tra­vailleurs en contact entre eux soit au cours de luttes et pour favo­ri­ser leur exten­sion, soit en période calme pour per­mettre la pré­pa­ra­tion et la coor­di­na­tion de luttes ulté­rieures par les tra­vailleurs eux-mêmes.

— Que ce qui pré­cède n’empêche nul­le­ment les com­mu­nistes orga­ni­sés de faire connaître leur propre appré­cia­tion, leurs propres sug­ges­tions, d’a­voir leur propre orien­ta­tion et d’a­voir, outre ceux qu’ils mettent à la dis­po­si­tion des tra­vailleurs, leurs propres organes de presse.

— Qu’il existe un inté­rêt de la révo­lu­tion. Que celui-ci se confond avec les inté­rêts de toutes natures du pro­lé­ta­riat ouvrier-pay­san. QUE L’ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE NE SAURAIT AVOIR D’INTÉRÊT PROPRE, DISTINCT DE CEUX DU PROLÉTARIAT ET DE SA RÉVOLUTION. Que dans une telle optique, peu importe l’im­por­tance numé­rique de l’or­ga­ni­sa­tion, peu importe s’il y a une ou plu­sieurs orga­ni­sa­tions révo­lu­tion­naires com­mu­nistes, peu importe s’il y a une majo­ri­té et une mino­ri­té, si cette der­nière estime que ce qui la sépare de la majo­ri­té est plus impor­tant que ce qui l’y unis­sait, elle crée une orga­ni­sa­tion nou­velle qui peut col­la­bo­rer avec les autres sur la base de méthodes et de pers­pec­tives com­munes. Il ne sau­rait donc y avoir de dis­ci­pline, que libre­ment consen­tie par chaque révo­lu­tion­naire com­mu­niste. LE SORT DE LA RÉVOLUTION, SI ELLE EST SOCIALISTE, N’EST PAS LIÉ À CELUI D’UN OU PLUSIEURS GROUPES RÉVOLUTIONNAIRES. CEUX-CI NE PEUVENT QUE SE DISSOUDRE, DEVANT LE POUVOIR DIRECT DES TRAVAILLEURS. N’AYANT ÉTÉ, DANS LA PÉRIODE PRÉ-RÉVOLUTIONNAIRE ET DANS LA RÉVOLUTION QUE DES ORGANISES DE PROPAGANDE, DES CENTRES DE RÉFLEXIONS, DES GROUPES ORGANISÉS POUR DES ACTIONS PRATIQUES que nous pré­ci­sons par ailleurs.

— Que l’OR­GA­NI­SA­TION RÉVOLUTIONNAIRE, N’ÉTANT PAS UNE FIN MAIS UN MOYEN, ET QUE LA LUTTE ANTI-BUREAUCRATIQUE AYANT AUTANT D’IMPORTANCE QUE LA LUTTE ANTICAPITALISTE, AUCUN COMPROMIS BÂTARD, VICIEUX, PAR ESSENCE, ET SURTOUT PAR LA CONFUSION QU’IL RÉPAND, AUCUN COMPROMIS AVEC LA GAUCHE N’EST POSSIBLE QUE S’IL SIGNIFIE LE PASSAGE DE LA GAUCHE À L’ACTION RÉVOLUTIONNAIRE, CE QUI NE SERAIT DONC PLUS UN COMPROMIS.

— Que l’ac­tion révo­lu­tion­naire pour aller dans un sens com­mu­niste ne peut que s’ins­crire dans l’op­tion de la lutte des classes ; que faire corps avec la lutte des pro­lé­taires, tant contre le capi­tal et son sys­tème que contre la bureau­cra­tie et son propre système.

— Que l’on ne peut s’as­so­cier avec l’une des deux classes exploi­teuses, même si elle n’est qu’à l’é­tat de ges­ta­tion, si elle n’est que poten­tiel­le­ment future classe exploi­teuse, sous le fal­la­cieux pré­texte de com­battre l’autre « plus effi­ca­ce­ment ». Cette pré­ten­due « effi­ca­ci­té » n’existe que dans l’i­ma­gi­na­tion de ceux qu’elle tour­mente, De la « Libé­ra­tion » au 13 mai, il n’a pas été effi­cace de sou­te­nir ou de ne pas dénon­cer sans appel la bureau­cra­tie sous toutes ses formes. En l’ab­sence de pers­pec­tives révo­lu­tion­naires, il n’y eut pas d’ac­tion révo­lu­tion­naire et la classe bour­geoise au pou­voir fit ce qu’elle vou­lut faire. En France, aujourd’­hui, comme hier, s’al­lier à la bureau­cra­tie, contre la bour­geoi­sie par exemple, en par­ti­ci­pant aux élec­tions poli­ti­ciennes ou aux syn­di­cats, c’est dans cer­taines condi­tions (comme celles qui exis­taient le 13 mai en France) lais­ser les mains entiè­re­ment libres à la bour­geoi­sie ou dans des condi­tions tout à fait dif­fé­rentes ce serait par­ti­ci­per acti­ve­ment au pas­sage d’un type de socié­té capi­ta­liste clas­sique au sys­tème bureau­cra­tique ou semi-bureau­cra­tique. C’est-à-dire s’as­so­cier aux sta­li­niens ou aux fas­cistes. Col­la­bo­rer aux ins­ti­tu­tions du régime que nous pré­ten­dons vou­loir abattre, qu’elles soient inté­grées au sys­tème (comme le par­le­ment en France ou les syn­di­cats dans les pays sta­li­niens) qu’elles soient semi-inté­grées (comme les syn­di­cats en France), c’est consciem­ment ou non, COLLABORER À CE RÉGIME direc­te­ment ou indi­rec­te­ment. Ceci n’a ni signi­fi­ca­tion socia­liste, ni uti­li­té socia­liste. Au contraire. Pour don­ner une signi­fi­ca­tion et une uti­li­té socia­listes à notre action nous ne pou­vons que favo­ri­ser à la base, dans les entre­prises, l’au­to-orga­ni­sa­tion, l’au­to-déter­mi­na­tion, l’au­to-expres­sion, l’au­to-direc­tion des tra­vailleurs dans leurs luttes et y par­ti­ci­per on tant que tra­vailleurs. Ceci conduit à la réa­li­sa­tion de la socié­té socia­liste, parce que cette forme d’ac­tion pré­pare net­te­ment les tra­vailleurs, manuels et intel­lec­tuels, à une prise de conscience de classe, puis révo­lu­tion­naire. La réa­li­sa­tion de la socié­té socia­liste ne sup­pose pas seule­ment la dis­pa­ri­tion de la divi­sion de la socié­té en classes sociales anta­go­nistes (parce que l’une est exploi­tée, l’autre exploi­teuse), en tant que telles, dans leur nature sociale pro­fonde et les rap­ports sociaux en décou­lant, mais aus­si la dis­pa­ri­tion, jusque dans le sein d’une même couche sociale, de la divi­sion entre les fonc­tions de DIRECTION et d’EXÉCUTION.

Pour nous le socia­lisme, c’est-à-dire la FIN pour­sui­vie, ne peut qu’être la réa­li­sa­tion har­mo­nieuse de l’é­pa­nouis­se­ment com­plet de l’in­di­vi­du et de l’au­to-ges­tion de la socié­té dans tous les domaines de l’ac­ti­vi­té humaine (éco­no­mique, cultu­rel, etc.).

Donc, pour que les formes d’or­ga­ni­sa­tion, des com­mu­nistes d’a­bord, des autres tra­vailleurs ensuite, soient sus­cep­tibles d’ap­por­ter la révo­lu­tion com­mu­niste, elles ne peuvent que s’in­té­grer à l’ac­tion directe dans le cadre de la socié­té d’ex­ploi­ta­tion pour faire écla­ter ce cadre. Elles ne peuvent que rame­ner, que pré­pa­rer les masses au retour à leur propre ini­tia­tive créa­trice dans tous les domaines y com­pris à la réin­tro­duc­tion de la poé­sie (créa­tion) dans le tra­vail. Elles ne peuvent qu’être auto­nomes, puisque remet­tant en cause toute la socié­té actuelle et la refu­sant dans sa totalité.

ELLE NE PEUVENT, COMME MOYENS, QUE PRÉFIGURER LA FIN POURSUIVIE.

Ber­nard Prat-Cotter 

La Presse Anarchiste