La Presse Anarchiste

Le « Parti Ouvrier » et les anarchistes

Avant-propos

Il y a bien long­temps que les hommes dits de gauche ne font plus confiance à l’Ac­tion ouvrière. La classe ouvrière qui depuis main­te­nant bien plus de cin­quante ans a sacri­fié sa propre action à celle des par­tis qui pré­ten­daient la repré­sen­ter, se trouve sans aucun moyen d’ac­tion, sans organe de lutte valable. Quant aux par­tis qui pla­çaient tous leurs prin­cipes d’ac­tion dans la lutte sur le plan légal et par­le­men­taire, ils se trouvent impuis­sants en face de la dis­pa­ri­tion d’un Par­le­ment réel. Si l’on veut bien ima­gi­ner un cer­veau machia­vé­lique ayant tra­vaillé pen­dant des années pour anéan­tir tout désir des masses de se libé­rer, la réus­site semble par­faite. C’est, au fond, très simple : On convainc les gens qu’ils ne peuvent agir vala­ble­ment que sur le plan légal et il suf­fit ensuite de détruire cette « Léga­li­té ». Nos grands hommes de gauche n’a­vaient jamais pen­sé à ça ! Aucune for­ma­tion poli­tique n’en­vi­sage autre chose que de s’en­fer­mer dans cette léga­li­té qui n’existe plus en fait.

Le grand mythe des der­niers ins­tants de la IVe Répu­blique a été la for­ma­tion du grand par­ti qui devait réunir toute 1a gauche. Nous avons vu naître l’U­nion de la Gauche Socia­liste, et ensui­tet l’U.P.D. — élec­to­ra­le­ment, ces petites for­ma­tions n’ont pas eu tel­le­ment de suc­cès. On se demande ce qu’il demeure de pra­tique dans leur exis­tence quand on sait d’autre part qu’elles ont été bien inca­pables d’é­la­bo­rer une doc­trine en dehors. de l’électoralisme.

Le par­ti com­mu­niste sacri­fiait aus­si au « mythe » en prê­chant l’U­nion des tra­vailleurs com­mu­nistes et socia­listes : Il ne ris­quait pas grand chose, à vrai dire, car les tra­vailleurs socia­listes peuvent se comp­ter sur les doigts de la main. Nous avons mon­tré récem­ment (voir notre der­nier numé­ro) que cette atti­tude cor­res­pon­dait, en fait, à un retour du P.C. aux thèses réfor­mistes de la Sociale-Démo­cra­tie (voir le fameux rap­port Kroutehev).

S’il existe encore un corps élec­to­ral « de gauche », il vote tou­jours pour les par­tis clas­siques : Et la petite escro­que­rie gaul­liste fait que le seul par­ti clas­sique à être repré­sen­té vala­ble­ment à la Chambre fan­tôme est le par­ti socia­liste S.F.I.O.

On voit déjà où seront entraî­nés nos élec­to­ra­listes impé­ni­tents. Ils vote­ront « utile » c’est-à-dire « socia­liste » même s’ils ont dit NON au réfé­ren­dum, même s’ils com­battent la guerre d’Al­gé­rie et même s’ils com­battent toutes les thèses de la S.F.I.O. Mais on dira : « il vaut mieux tout de même un socia­liste à un réac­tion­naire ou à un fas­ciste ». Nous savons, ou croyons savoir, ce qui se trouve au bout de tout cela : le décou­ra­ge­ment et dans le meilleur des cas, un gou­ver­ne­ment socia­liste en régime fas­ciste. Outre qu’en matière sociale, il y a très peu de dif­fé­rence entre le réfor­misme bon teint et le fas­cisme, un natio­nal-socia­lisme n’est donc pas exclu. Bien de l’eau a pas­sé sous les ponts, on le voit, depuis que Jean Cou­trot, « chef de la Synar­chie », était chef du cabi­net de Léon Blum en 1936 !

C’est dans cette his­toire de fou que la « Gauche » évo­lue pré­sen­te­ment. Le par­ti com­mu­niste ne s’est pas encore payé le ridi­cule de faire voter ses mili­tants pour le par­ti socia­liste, mais cela vien­dra sûre­ment ! Mes­sieurs Her­vé et Lecœur ont pas­sé le cap allé­gre­ment depuis plu­sieurs mois en adhé­rant à la S.F.I.O. Les argu­ments invo­qués en faveur de leur adhé­sion furent que la S.F.I.O. est le seul par­ti de « gauche » valable, que si l’on est pas d’ac­cord avec elle, la démo­cra­tie règne en son sein, il n’y a donc pas d’autre solu­tion que d’y adhé­rer, etc.

Pierre Her­vé écrit dans « Nation Socia­liste » de décembre 1958 :

« Je suis per­sua­dé que les par­ti­sans d’un socia­lisme démo­cra­tique revien­dront ou vien­dront à la S.F.I.O., qui, dans les cir­cons­tances nou­velles, est appe­lée par la force des choses à jouer un rôle diri­geant à gauche. C’est pour­quoi qui­conque entre­prend sys­té­ma­ti­que­ment de rendre plus dif­fi­cile ou impos­sible l’en­tente néces­saire entre la S.F.I.O. et toute la gauche démo­cra­tique et socia­liste, me parait faire le jeu de la réaction. »

Cet état d’es­prit n’est pas du tout excep­tion­nel. Nous l’a­vons enten­du nous-mêmes de la bouche de mili­tants mino­ri­taires de la S.F.I.O. qui res­tent per­sua­dés que le par­ti socia­liste auto­nome rejoin­dra le « giron » du « Par­ti », (Remar­quons que d’autres sou­haitent voir ces socia­listes adhé­rer à l’U.G.S. que sa trop grande diver­si­té de ten­dance conduit et condui­ra de plus en plus à l’im­puis­sance et à la dis­pa­ri­tion). Il se peut, en fin de compte, que les pré­vi­sions d’Her­vé se réa­lisent. Cela est nor­mal à nos yeux : le pro­blème de fond reste avant tout (et trop peu s’en rendent compte) un pro­blème idéo­lo­gique. La Gauche se refu­sant de sor­tir de l’é­lec­to­ra­lisme, la seule théo­rie propre à son action est le réfor­misme. La source du réfor­misme de gauche est tra­di­tion­nel­le­ment la sociale-démo­cra­tie. Son cadre natu­rel : le par­ti S.F.I.O. Mais nous sommes beau­coup moins convain­cus qu’­Her­vé que tout cela bat­tra la « réac­tion ». On pen­sait déjà sous les Répu­bliques bour­geoises IIIe et IVe que la réac­tion serait bat­tue par une majo­ri­té de gauche ou par la pré­do­mi­nance d’un par­ti de gauche. On abou­tis­sait à un seul résul­tat : un gou­ver­ne­ment de gauche « gérant loya­le­ment » les inté­rêts du Capi­tal. Il ne pou­vait en être autre­ment au sein du régime de classes. Et c’est là que, — n’en déplaise à Her­vé — le jeu de la réac­tion se fai­sait le mieux. Dans la situa­tion faite par la Ve Répu­blique, c’est beau­coup plus simple. On ne peut battre la réac­tion qu’au sein du Par­le­ment qui ne légi­fère pas au sein du gou­ver­ne­ment, qui, au fond, ne gou­verne presque plus lui-même.

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Outre qu’ils sont inca­pables de sor­tir du régime, même auto­ri­taire, ce qui n’est pas nou­veau pour nous et pour nos lec­teurs, cette atti­tude qu’il faut pré­voir de la part des « gau­chistes » vis-à-vis du par­ti socia­liste est condi­tion­née par un cer­tain état d’es­prit qu’il faut dénon­cer. C’est ce que nous appel­le­rons le « mythe de l’u­ni­té ». Il est cer­tain que la pré­do­mi­nance du mar­xisme dans le monde ouvrier pro­vient de ce mythe. À ceux qui envi­sa­geaient la Révo­lu­tion même immé­diate, les mar­xistes oppo­saient au début de ce siècle une théo­rie de luttes suc­ces­sives, par paliers, à par­tir de la socié­té actuelle. Cela pou­vait être rai­son­nable et le bul­le­tin de vote était quelque chose d’au­tre­ment pal­pable qu’une uto­pique grève géné­rale. On pou­vait pen­ser qu’a­vant d’en­vi­sa­ger de chan­ger radi­ca­le­ment les ins­ti­tu­tions éco­no­miques, il fal­lait tirer tout ce qu’on pou­vait du régime exis­tant. Les pre­mières réformes sociales fai­saient conclure qu’il vaut mieux, selon le vieil adage « tenir que cou­rir ». On allait d’a­bord à l’U­ti­li­té immé­diate. Au regard de cette pen­sée qui gagnait la masse, les anar­chistes d’a­lors parais­saient être des uto­pistes et des rêveurs. Savaient-ils d’ailleurs eux-mêmes qu’ils écri­vaient pour un autre temps ? Cette soif de reformes devait les gagner eux-mêmes et nous avons déjà rela­té com­ment ils s’en tirèrent en affir­mant qu’elles ne devaient être obte­nues que par « l’ac­tion directe » pour être valables. C’est ce que Jean Grave exprime dans son étude sur la Défense des Salaires (Réformes et Révo­lu­tion):

« Sans doute qu’a­vant d’a­voir com­pris que leur situa­tion ne chan­ge­ra réel­le­ment que du jour où il ne sera plus pos­sible à un indi­vi­du ou groupe d’in­di­vi­dus, d’ex­ploi­ter le tra­vail de ses sem­blables les tra­vailleurs sont appe­lés à expé­ri­men­ter l’une après l’autre les réformes qui doivent adou­cir le régime d’ex­ploi­ta­tion qu’ils subissent. Seule­ment c’est un men­songe de vou­loir leur mon­trer cette amé­lio­ra­tion comme un but défi­ni­tif de leurs efforts, alors que ce ne peut être qu’un sou­la­ge­ment momentané. »

Il y avait dans cette démarche une conces­sion mani­feste au réfor­misme mar­xiste et on sent bien que Grave ne pou­vait nier abso­lu­ment toute valeur à la réforme sans ris­quer de perdre l’au­dience de ses lecteurs.

Bien que cela soit ten­tant, il serait vain, parce que l’on ne peut remon­ter le cours de l’his­toire, de se deman­der cc qu’il serait adve­nu si la classe ouvrière avait épou­sé la thèse du « Tout ou Rien » déve­lop­pée par les révo­lu­tion­naires de 1900. Nous avons dû, nous aus­si, subir le cou­rant et nous n’a­vons pas échap­pé à une cer­taine déma­go­gie dans notre pro­pa­gande à cer­taines époques. Expli­quons-nous. L’ob­jec­tion la plus cou­rante qui est faite aux anar­chistes est qu’ils ne « font » rien. « Vous ne savez que dis­cu­ter » nous dit-on, « mais que faites-vous ? ». Et nos contra­dic­teurs de nous oppo­ser les par­tis « ouvriers » qui, eux, « agissent », pro­posent des réa­li­sa­tions. Nous nous sommes tous deman­dé à un moment quel­conque de notre vie de mili­tants si l’a­nar­chisme n’a­vait pas besoin d’ef­fi­ca­ci­té. Cer­tains d’entre nous, dans des périodes plus calmes de démo­cra­tie bour­geoise, s’in­ter­ro­gèrent même sur la vali­di­té finale de nos méthodes. Et c’est ain­si que nous fûmes ten­tés d’i­mi­ter nos adver­saires poli­ti­ciens. Cer­tains numé­ros du « Liber­taire » d’il y a quelques années pré­sen­tèrent à la classe ouvrière des reven­di­ca­tions immé­diates. Depuis qu’Ar­chi­nov s’é­tait inter­ro­gé sur nos impuis­sances, il fut ques­tion de se trans­for­mer en par­ti poli­tique. Il y eut à diverses reprises des polé­miques vio­lentes dans notre mou­ve­ment sur ce sujet. La par­ti­ci­pa­tion au régime fut envi­sa­gée même sous la forme élec­to­rale. Le virus de l’ef­fi­ca­ci­té à tout prix nous pos­sé­dait à tel point que des mili­tants émi­nents tel Rocker furent obli­gés de perdre leur temps à démon­trer que nous n’a­vions rien à faire dans les Assem­blées bour­geoises (lire à ce sujet l’un des der­niers numé­ro de « Views and Com­ments » publié par nos cama­rades des États-Unis). Aujourd’­hui, les anar­chistes que nous sommes sont convain­cus, au contraire, que l’or­ga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire doit être d’un type nou­veau : Nous y revien­drons en conclu­sion de cette étude.

Les sociaux démo­crates et les com­mu­nistes n’ont pas été à l’a­bri de polé­miques du même genre. Sans citer les polé­miques sou­te­nues au sein du par­ti com­mu­niste ita­lien par les bor­di­guistes adver­saires de la « par­ti­ci­pa­tion », nous ne pou­vons pas­ser sous silence les faits rap­por­tés par Lénine et les argu­ments qu’il déve­loppe dans la « Mala­die Infan­tile du Communisme ».

Les com­mu­nistes de « gauche » Hol­lan­dais écri­vaient en 1920 dans le « Bul­le­tin de l’In­ter­na­tio­nale Communiste » :

« Lorsque le sys­tème de pro­duc­tion capi­ta­liste est bri­sé… l’ac­tion par­le­men­taire perd peu à peu de sa valeur… il peut même s’a­vé­rer indis­pen­sable de répu­dier toute par­ti­ci­pa­tion, quelle qu’elle soit à l’ac­tion parlementaire. »

Ce à quoi Lénine rétorquait :

« Que la classe ouvrière des villes, les sol­dats et les pay­sans de Rus­sie aient été, en sep­tembre-novembre 1917 par suite de condi­tions par­ti­cu­lières admi­ra­ble­ment pré­pa­rés à l’a­dop­tion du régime sovié­tique et à la dis­so­lu­tion du plus démo­cra­tique des par­le­ments bour­geois, c’est là un fait his­to­rique indé­niable et par­fai­te­ment éta­bli. Et cepen­dant, les bol­che­viks n’a­vaient pas boy­cot­té l’As­sem­blée Consti­tuante ; ils avaient au contraire par­ti­ci­pé aux élec­tions avant et après la conquête du pou­voir poli­tique par le prolétariat…»

On sait ce que l’ap­pli­ca­tion de cette théo­rie en Europe Occi­den­tale a don­né là où les par­le­ments bour­geois avaient une exis­tence réelle et des années der­rière eux. Les par­tis com­mu­nistes ont été obli­gés de faire du réfor­misme, ils ont négli­gé l’ac­tion de masse à laquelle Lénine fait allu­sion et ont été fina­le­ment impuis­sants que ce soit avec 250 dépu­tés dans le « Par­le­ment le plus démo­cra­tique » ou que ce soit avec 10 dépu­tés dans un Par­le­ment fantoche.

Mais cela n’é­tait pas nou­veau, même à l’é­poque de Lénine et il y a beau temps que les par­tis sociaux-démo­crates avaient sui­vi le même che­min en étant par­tis des mêmes thèses. On pour­rait même dire qu’ils ont mieux réus­si puis­qu’ils se sont main­te­nus au pou­voir dans toute l’Eu­rope Occi­den­tale à peu près régu­liè­re­ment depuis la fin de la guerre. En France même, la IVe Répu­blique a vu les com­mu­nistes sou­te­nir allè­gre­ment les socia­listes dans les périodes où ils fai­saient le plus le jeu de la bour­geoi­sie : Vote des Pou­voirs Spé­ciaux à Guy Mol­let ou élec­tion de Le Tro­quer à la pré­si­dence de l’As­sem­blée. On arrive alors au rai­son­ne­ment sui­vant qui est, de nos jours, celui de bon nombre de mili­tants de bonne foi de la S.F.I.O.: Il vaut mieux que nous soyons pré­sents qu’ab­sents. Il vaut mieux voter les Pou­voirs Spé­ciaux à Guy Mol­let qu’à Pinay. On objecte que Guy Mol­let fait la même poli­tique mais ce n’est tout de même « pas pareil ». D’ailleurs, la pré­sence de ces « cama­rades » évite le pire. Et c’est ain­si que l’on s’en­fonce de plus en plus dans la com­pli­ci­té. Sur un plan plus idéal, les plus purs pensent d’a­bord qu’ils sont les « gar­diens du mieux-être ». On reste au pou­voir pour « sau­ve­gar­der » le patri­moine de la « gauche », pour conser­ver les conquêtes sociales ; et on donne l’im­pres­sion à la masse que l’on est en fin de compte « effi­cace ». Au reste la masse admet par­fai­te­ment ce genre de rai­son­ne­ment et il faut bien consta­ter qu’elle vote régu­liè­re­ment pour les mêmes, pour ceux qui, hélas, n’ont « pas pu » faire ce qu’ils avaient pro­mis — mais, pense-t-on, seule­ment parce qu’ils n’ont pas encore la fameuse « majo­ri­té ». Aus­si, il faut consta­ter deux points : Il est impos­sible de rem­pla­cer les par­tis dits clas­siques dans l’é­tat d’es­prit actuel de la masse ; les mots d’ordre abs­ten­tion­nistes ne seront jamais sui­vis par la masse actuel­le­ment.

Ce pro­blème, grave entre tous pour les révo­lu­tion­naires, n’a­vait pas échap­pé aux anar­chistes de la période d’entre-deux guerres ; la lec­ture de Sébas­tien Faure nous le fait pres­sen­tir. Il ne semble pas d’ailleurs que le mili­tant réflé­chi qu’il était y ait trou­vé de solu­tion satis­fai­sante. S’il se déclare lui-même réso­lu­ment abs­ten­tion­niste, il écrit dans « Le Liber­taire » qu’il est contre les cam­pagnes abs­ten­tion­nistes. Plus curieux encore sont les posi­tions qu’il déve­loppe dans ses « Pro­pos Sub­ver­sifs » où, bien qu’il le cri­tique sur le fond, il consi­dère le par­ti socia­liste comme une « Force de la Révo­lu­tion ». Il semble même quel­que­fois lui assi­gner un rôle. Il se conduit tout aus­si pru­dem­ment avec les par­ti­sans de la IIIe Inter­na­tio­nale à qui il conseille d’a­ban­don­ner la « course au pou­voir ». (C’est encore aujourd’­hui le même pro­blème qui se pose à nous devant la situa­tion que nous avons expo­sée plus haut. Il n’y a pas d’autre solu­tion que d’es­sayer de poser le pro­blème à fond.)

Il est fon­da­men­tal de faire une pre­mière remarque : L’i­déo­lo­gie « sociale-démo­crate » clas­sique existe uni­que­ment en fonc­tion d’une cer­taine forme de la démo­cra­tie bour­geoise. Quoique l’on pense d’elle, elle ne se réa­lise plei­ne­ment qu’en régime par­le­men­taire. Les idéo­logues socia­listes actuels qui ont fait la jonc­tion entre le mar­xisme et les thèses du XVIIIe siècle du « Grand Orient » pensent que la socié­té évo­lue indé­fi­ni­ment depuis que la « grande Révo­lu­tion » de 1789 est faite. Le socia­lisme ne fait que la par­ache­ver. Il est donc logique de sup­po­ser que « réfor­mistes » en régime bour­geois, ils devraient être révo­lu­tion­naires dans tous les régimes qui repré­sentent une régres­sion par rap­port à la démo­cra­tie par­le­men­taire. Ils ont « résis­té » au cours et avant la der­nière guerre contre les fas­cismes euro­péens, par exemple. On ne peut plus dire que la Ve Répu­blique fran­çaise est un régime par­le­men­taire, mais les « socia­listes » vivent sur la lan­cée et agissent comme si des pos­si­bi­li­tés de réformes par la voie des ins­ti­tu­tions leur étaient offertes. Or, il n’y aura d’is­sue pour la masse que dans un mou­ve­ment de forme révo­lu­tion­naire : Il suf­fit d’é­tu­dier la consti­tu­tion gaul­liste pour s’en rendre compte. Quelle valeur accor­der désor­mais aux thèses réformistes ?

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Mais il faut savoir que les socia­listes ont été aus­si révo­lu­tion­naires en régime bour­geois. Il est facile de résu­mer la théo­rie, c’est celle même que Lénine a reprise plu­sieurs dizaines d’an­nées après : Le But réel est bien de détruire la socié­té d’ex­ploi­ta­tion mais il faut envoyer des repré­sen­tants dans les assem­blées bour­geoises pour ser­vir d’a­gi­ta­teurs et don­ner une tri­bune au pro­lé­ta­riat. Au départ, on n’en­vi­sage pas une minute de par­ti­ci­per réel­le­ment au pou­voir bour­geois. Les pre­mières objec­tions sont psy­cho­lo­giques : quelle garan­tie avons-nous que l’é­lu de la « classe » ne se laisse pas prendre par le régime ? Jean Grave nous rap­porte que les socia­listes d’a­près la Com­mune se croyaient sau­ve­gar­dés par les « consi­dé­rants révo­lu­tion­naires ». Mais c’é­tait aus­si ne pas se rendre compte du rôle réel des assem­blées bour­geoises qui est de légi­fé­rer. Il est impos­sible à un élu du peuple de s’op­po­ser à tout et dès qu’il vote pour une loi, il exerce lui-même le Pou­voir qu’il se fixe pour but de détruire.

À l’é­poque de Lénine, bien qu’ils aient gar­dé les fameux « consi­dé­rants », les socia­listes avaient déjà som­bré dans la par­ti­ci­pa­tion au régime bour­geois. Le même Lénine repre­nait la thèse de l’é­lu agi­ta­teur et décla­rait néces­saire l’ac­tion directe des masses. Pour sau­ve­gar­der les « consi­dé­rants », il envi­sa­geait une dis­ci­pline de fer à l’in­té­rieur du Par­ti. Néan­moins, il n’y a plus d’ac­tion directe pour les par­tis com­mu­nistes occi­den­taux, et Krout­chev, lui-même, par­lait au XXe Congrès du P.C. de l’U.R.S.S. de la voie par­le­men­taire pour par­ve­nir au socia­lisme. C’est sans doute pour cette voie par­le­men­taire que les com­mu­nistes fran­çais ont pré­sen­té des can­di­dats au par­le­ment gaul­liste sans pou­voirs ! On voit que la remarque concer­nant la « lan­cée » du par­ti socia­liste est valable aus­si pour le P.C.

Pour savoir ce qui s’est pas­sé, il est utile de revoir les textes anciens. Voi­ci, par exemple, le pré­am­bule à la Décla­ra­tion de Prin­cipes du par­ti socia­liste belge de 1900 (qui s’ap­pe­lait le Par­ti Ouvrier):

« 1. Les richesses, en géné­ral, et spé­cia­le­ment les moyens de pro­duc­tion, sont ou des agents natu­rels ou le fruit du tra­vail — manuel ou céré­bral — des géné­ra­tions anté­rieures aus­si bien que de la géné­ra­tion actuelle ; elles doivent, par consé­quent, être consi­dé­rées comme le patri­moine com­mun de l’humanité.

2. Le droit à la jouis­sance de ce patri­moine, par des indi­vi­dus ou par des groupes, ne peut avoir d’autre fon­de­ment que l’u­ti­li­té sociale et d’autre but que d’as­su­rer à tout être humain la plus grande somme pos­sible de liber­té et de bien-être.

3. La réa­li­sa­tion de cet idéal est incom­pa­tible avec le main­tien du régime capi­ta­liste qui divise la socié­té en deux classes néces­sai­re­ment anta­go­nistes : L’une qui peut jouir de la pro­prié­té sans tra­vail, l’autre obli­gée d’a­ban­don­ner une part de son pro­duit à la classe possédante.

4. Les tra­vailleurs ne peuvent attendre leur com­plet affran­chis­se­ment que de la sup­pres­sion des classes et d’une trans­for­ma­tion radi­cale de la socié­té actuelle. Cette trans­for­ma­tion ne sera pas seule­ment favo­rable au pro­lé­ta­riat, mais à l’hu­ma­ni­té tout entière. Néan­moins, comme elle est contraire aux inté­rêts immé­diats de la classe pos­sé­dante, L’ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA ESSENTIELLEMENT L’ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES. »

Nous sommes très loin du pro­gramme de Guy Mol­let, et nous sommes tout aus­si éloi­gnés du pro­gramme du par­ti communiste.

Quel est, au fond, l’a­nar­chiste-com­mu­niste qui ne serait pas d’ac­cord avec cette par­tie du pro­gramme ? Il faut insis­ter par­ti­cu­liè­re­ment sur l’af­fir­ma­tion selon laquelle c’est la classe ouvrière qui se libé­re­ra elle-même. Cela signi­fiait pour les sociaux-démo­crates d’a­lors — et pour nous bien sûr — qu’il n’y a que l’ac­tion directe qui soit réel­le­ment valable. Il est curieux de consta­ter que le dit par­ti socia­liste était déjà enga­gé dans l’ac­tion par­le­men­taire au moment où il publiait ces lignes. Les affir­ma­tions éco­no­miques conte­nues dans cette cita­tion se suf­fi­sant à elles-mêmes, nous insis­tons sur deux de ces aspects. Il y a, à la base, une affir­ma­tion émi­na­ment maté­ria­liste : Les tra­vailleurs ne se sau­ve­ront qu’eux-mêmes, cela veut dire que l’homme ne se libé­rer. que par lui-même et qu’il n’est pas besoin de mythes qui le dépassent. Dans l’es­prit des mili­tants de l’é­poque, il n’y avait donc pas de place pour un culte spé­cial pour le « Par­ti ». Ce n’é­tait pas le par­ti socia­liste qui devait libé­rer la classe ouvrière, c’est la « classe » elle-même. Il reste à savoir quelle place on assi­gnait au « Par­ti » lui-même : ce qui ne sem­blait pas tel­le­ment être clair. La notion la plus com­mu­né­ment admise par les mar­xistes était que le Par­ti avait pour tache de concré­ti­ser les reven­di­ca­tions de la classe ouvrière et de la repré­sen­ter. À cette notion s’op­po­sait la thèse syn­di­ca­liste qui fai­sait du syn­di­cat la seule orga­ni­sa­tion de lutte de classe. Nous savons aujourd’­hui que dans bien des cas, le Par­ti est deve­nu une per­son­na­li­té en lui-même. Chez les com­mu­niste, il est lui-même une véri­table incar­na­tion de la classe. Chez les sociaux-démo­crates actuels, s’il ne cor­res­pond pas à un culte, il repré­sente une forme d’or­ga­ni­sa­tion immuable, à laquelle on apporte un atta­che­ment sen­ti­men­tal, à qui on par­donne les erreurs. On ne peut d’ailleurs se faire une idée de la lutte autre­ment qu’à tra­vers lui. Il est pro­bable que les sociaux-démo­crates ne pen­saient pas qu’il pour­rait exis­ter un jour une concur­rence entre eux et la classe qu’ils pré­ten­daient repré­sen­ter. C’est pour­tant comme cela que les choses se pré­sentent aujourd’­hui. Outre qu’il faut pré­ci­ser ce que nous avons déjà écrit dans notre, pré­cé­dent numé­ro : Les deux par­tis com­mu­niste et socia­liste parlent à eux-seuls et concur­rem­ment au nom de la « classe ». Si nous admet­tons que la doc­trine selon laquelle l’es­prit est dis­tinct de la matière et domine celle-ci est la Méta­phy­sique, nous pou­vons dire que le mythe du par­ti est lui-même d’es­sence méta­phy­sique. Il faut voir, à notre sens, dans cet état d’es­prit, l’a­ban­don des notions maté­ria­listes fon­da­men­tales par les par­tis mar­xistes. C’est, aus­si, à notre avis, au nom de cette notion qu’ont agi Lecœur et Her­vé lors­qu’ils ont rejoint le par­ti socia­liste, habi­tués qu’ils étaient au cadre du Par­ti. La nos­tal­gie de ce mythe à même tou­ché les anar­chistes dans bien des cas. Nous avons par­lé plus haut de cer­taines ten­ta­tives de consti­tu­tion de « par­ti », nous vou­drions par­ler de cer­tains vieux mili­tants habi­tués à une cer­taine forme d’or­ga­ni­sa­tion liber­taire et que nous cho­quons bien sou­vent, nous le savons, par notre essai de nou­velles méthodes (nous devrons reve­nir sur tout cela). En résu­mé mythe du par­ti inexis­tant chez les socia­listes de 1900. Mais la concep­tion de « conquête poli­tique » et d’Ac­tion directe ne pou­vait très long­temps coexis­ter. Il fal­lait sacri­fier l’une au dépend de l’autre. Nous avons vu que Lénine ten­tait de nou­veau cette coexis­tence, il n’eut pas plus de suc­cès. Enfin, le syn­di­ca­lisme qui se trou­vait à la remorque du par­ti devait s’é­dul­co­rer au point de m’a­voir plus de vie propre. De nos jours, beau­coup d’ou­vriers s’in­ter­rogent sur sa valabilité.

Il nous faut dire un mot de cer­taines idées déve­lop­pées par nombre de mili­tants du par­ti socia­liste : Le fait que leur par­ti soit cou­pé de la classe ouvrière ne leur échappe pas. Ils com­prennent aus­si que la cou­pure vient du choix des socia­listes pour l’ac­tion de « conquête des pou­voirs ». Ils prônent alors, comme solu­tion, ce que l’on appelle le « Tra­vaillisme », qui est cette méthode en hon­neur en Angle­terre, qui consiste à englo­ber les syn­di­cats et autres orga­ni­sa­tions ouvrières à l’in­té­rieur du « Par­ti ». Cela signi­fie, en quelque sorte, reve­nir sur le choix. Cette solu­tion a peu de chance de se réa­li­ser en France. Depreux nous dit que les tra­vailleurs sont encore trop atta­chés aux prin­cipes de la « Charte d’A­miens » sur l’in­dé­pen­dance syn­di­cale. Et il est de fait que même « Force Ouvrière » a tou­jours été oppo­sée aux ten­ta­tives timides faites par le par­ti socia­liste pour l’en­glo­ber d’une manière appa­rente. Mais la Charte d’A­miens n’é­tait elle-même qu’une solu­tion « nègre-blanc » entre les syn­di­ca­listes purs et ceux qui étaient par­ti­sans du « par­ti ». Aus­si n’est-elle qu’un point de repli qui ne satis­fait per­sonne an fond. André Phi­lip et avec lui les socia­listes mino­ri­taires ou majo­ri­taires les plus conscients se rendent compte — nous l’a­vons vu — que le syn­di­ca­lisme ne peut demeu­rer dans la simple reven­di­ca­tion de salaire. Le tra­vaillisme pour­rait le faire évo­luer nous dit-on, « dans les sphères du pou­voir » : là il faut frap­per. Mais le syn­di­ca­lisme se trouve, en final, devant le même pro­blème que le par­ti social-démo­crate. Si le par­ti socia­liste a pen­sé arri­ver au socia­lisme par les réformes qu’il escompte de sa par­ti­ci­pa­tion au pou­voir, le syn­di­ca­lisme a uni­que­ment reven­di­qué pour ces réformes en per­dant com­plè­te­ment de vue son but ini­tial qui était « l’a­bo­li­tion du patro­nat et du sala­riat ». À son échelle, il n’a­vait pu faire le choix. Jean Grave pres­sen­tait au moins en par­tie ce pro­blème quand il écri­vait (Réformes ou Révo­lu­tion : Le syndicalisme):

« Par le fait qu’ils sont for­cés de lut­ter jour­nel­le­ment contre les exploi­teurs, les syn­di­cats, même lors­qu’ils ins­crivent dans leur pro­gramme la sup­pres­sion du sala­riat […], cela reste tou­jours une reven­di­ca­tion loin­taine, toute leur acti­vi­té étant absor­bée par la lutte quo­ti­dienne et les conflits qui sur­gissent […]. Cepen­dant, la lutte qui leur donne conscience de leur force, par contre, a l’in­con­vé­nient de faire pré­do­mi­ner les récla­ma­tions du moment, au détri­ment des réa­li­sa­tions plus éloi­gnées, IL Y A UNE PENTE sur laquelle IL EST FACILE DE GLISSER. C’est pour­quoi, il serait dan­ge­reux de voir dans le syn­di­ca­lisme le seul moyen révolutionnaire. »

Il n’y a plus de nos jours de syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire réel et les par­tis socia­listes sont inca­pables de résoudre les pro­blèmes posés par le syn­di­ca­lisme. Fina­le­ment, si l’ac­tion directe est ren­due néces­saire bien­tôt aux yeux de tous par l’im­pos­si­bi­li­té d’une action réelle du par­ti socia­liste ou du par­ti com­mu­niste, il reste à poser de nou­veau l’or­ga­ni­sa­tion nou­velle du pro­lé­ta­riat : par qui ? Com­ment ? Autant de ques­tions encore impos­sibles à résoudre par les dits partis.

Mais reve­nons à la Décla­ra­tion de Prin­cipes du Par­ti Ouvrier belge de 1900. L’ar­ticle 5 nous dit :

« Les tra­vailleurs devront avoir pur but, dans l’ordre éco­no­mique, de s’as­su­rer l’U­SAGE LIBRE et GRATUIT de tous les moyens de pro­duc­tion. Ce résul­tat ne pour­ra être atteint, dans une socié­té où le tra­vail col­lec­tif se sub­sti­tue de plus en plus au tra­vail indi­vi­duel, que par l’ap­pro­pria­tion col­lec­tive des agents natu­rels et des ins­tru­ments de travail ».

Rien, ici encore, qui puisse mettre en lumière une diver­gence quel­conque entre les socia­listes et les anar­chistes-com­mu­nistes d’a­lors. Nous croyons hors du but de cette étude d’ap­pré­cier si les notions que nous avons de la Révo­lu­tion peuvent être aus­si sim­pli­fiées de nos jours. Il n’y a pour­tant pas de doute que nombre de socia­listes et même de com­mu­nistes actuels ne nient pas que l’a­nar­chisme ou le com­mu­nisme liber­taire soit le véri­table but final. Cela était beau­coup plus sen­sible à cette époque où « Le Peuple », organe social-démo­crate écri­vait en 1901 :

« Certes l’i­déal liber­taire nous appa­raît comme le point culmi­nant de l’é­vo­lu­tion sociale et rien ne sau­rait nous séduire mieux que le beau rêve de fra­ter­nel com­mu­nisme où les hommes seront déli­vrés de toute contrainte, parce qu’ils seront débar­ras­sés de tout antagonisme […]».

Les mili­tants socia­listes de la base ne le pen­saient-ils pas dans la Cata­logne de 1937 ?

C’est sans doute pour ces rai­sons qu’un grand nombre d’a­nar­chistes-com­mu­nistes du début de ce siècle étaient membres des par­tis socia­listes. Nous croyons utile de signa­ler le fait qui est en géné­ral igno­ré même au sein de notre mou­ve­ment. Ils en furent tous exclus en fin de compte. Leur expé­rience est utile pour nous à plus d’un titre.

À l’é­poque où nos cama­rades mili­taient au sein du par­ti socia­liste, les vio­lentes polé­miques entre Marx et Bakou­nine avaient déjà eu lieu et la Ière Inter­na­tio­nale avait som­bré dans la scis­sion. Ils pen­saient pour­tant que leur pré­sence était plus utile À L’INTÉRIEUR qu’à L’EXTÉRIEUR. Ils ne s’en allèrent que lors­qu’ils furent exclus et des textes font foi qu’une fois EN DEHORS ils ne ces­saient de reven­di­quer leur appar­te­nance au par­ti et ten­taient de démon­trer que leur exclu­sion était illé­gale en fonc­tion des sta­tuts. Quels pou­vaient être leurs mobiles ? Il nous faut essayer de les ima­gi­ner si nous vou­lons répondre de la meilleure manière pos­sible à la ques­tion posée au début de cet article à pro­pos de Sébas­tien Faure et de l’ha­bi­tude des masses à n’ad­mettre que les orga­ni­sa­tions dites « classiques ».

Sans doute, à cette époque, le par­ti socia­liste repré­sen­tait la classe ouvrière et les mili­tants orga­ni­sés. Force nous est de dire qu’en­core aujourd’­hui les anar­chistes de toutes ten­dances ont été inca­pables de résoudre ce pro­blème de l’orga­ni­sa­tion. Il ne se passe pas de réunions anar­chistes où l’on ne dis­cute pas pen­dant des heures de ce pro­blème sans trou­ver de solu­tion accep­table pour tous. Qu’on nous per­mette de dire fran­che­ment que le récent Congrès Anar­chiste Inter­na­tio­nal de Londres est un modèle du genre. Aus­si, nos cama­rades de 1900 consta­taient que les buts du par­ti socia­liste étaient en fin de compte iden­tiques aux leurs. Le par­ti était réfor­miste, certes, mais ils essayaient de faire valoir leurs thèses en son sein. Nous serons très durs et nous dirons que la rai­son fon­da­men­tale étaient aus­si qu’ils avaient été inca­pables de s’or­ga­ni­ser eux-mêmes. Cer­tains anar­chistes-com­mu­nistes eux-mêmes se décla­raient (comme Grave dans sa bro­chure Orga­ni­sa­tion, ini­tia­tive, cohé­sion) contre l’or­ga­ni­sa­tion et écrivaient :

« De quoi se plaint-on ? Que les anar­chistes manquent de cohé­sion, qu’ils tiraillent un peu au hasard, sans lien d’au­cune sorte, per­dant ain­si une par­tie de leur force faute de soli­da­ri­té pour don­ner plus de suite à leur action […]. Mais je ne crois pas que cela soit un si grand. mal. C’est la méthode des par­tis auto­ri­taires de décré­ter l’en­tente, la fédé­ra­tion, en créant des orga­ni­sa­tions et des grou­pe­ments qui avaient pour but d’as­su­rer cette union et cette uni­té de but. Les anar­chistes com­bat­tant cette façon de pro­cé­der il était tout natu­rel qu’ils com­men­çassent à lut­ter cha­cun de leur côté […]».

Que se passe-t-il en 1959 ?

Les anar­chistes n’ont certes plus de vel­léi­tés à ren­trer au par­ti socia­liste. Beau­coup de nos inter­lo­cu­teurs de gauche, par­mi les plus valables sou­vent, nous posent pour­tant le pro­blème tel qu’il se posait en 1900. Résu­mons du mieux pos­sible les dif­fé­rentes pro­po­si­tions qui nous sont faites :

La plu­part des mili­tants de base du par­ti socia­liste qui se disent nos sym­pa­thi­sants (il en existe un cer­tain nombre connu) croient abso­lu­ment à la vala­bi­li­té de notre idéal consi­dé­ré sur le plan de la fina­li­té. Mais on ne manque pas de nous dire que nous sommes « jeunes » et que nous com­pren­drons un jour qu’il faut des paniers pour faire évo­luer la socié­té. C’est ce que nous appel­le­rons une sym­pa­thie « pro­tec­trice ». D’autres, plus valables, pensent que les anar­chistes sont utiles dans le régime de démo­cra­tie bour­geoise en ce sens qu’ils peuvent être un fac­teur cri­tique fécond et entre­tiennent un esprit de liber­té. C’est ce que nous appel­le­rons la concep­tion « maçon­nique ». Il n’est d’ailleurs pas exclu que cer­tains « frères » socia­listes pensent que l’é­vo­lu­tion se crée objec­ti­ve­ment parce qu’il y a des gens qui sont à l’a­vant-garde et parce qu’il y en a d’autres qui freinent : le tout for­mant un équi­libre démo­cra­tique. Ain­si que nous l’a­vons consta­té, le par­ti socia­liste étant le seul par­ti de gauche repré­sen­té sur le plan par­le­men­taire, on nous dira ce que dit Pierre Her­vé et on ne ver­ra pas pour­quoi les anar­chistes-com­mu­nistes que nous sommes n’y entrent pas.

D’une manière assez curieuse, les par­ti­sans du par­ti com­mu­niste nous tiennent sou­vent le même lan­gage au pro­fit de ce der­nier. À savoir : « Quoique vous disiez et fas­siez, vous n’êtes qu’une poi­gnée d’in­di­vi­dus. Mal­gré ses erreurs que nous ne contes­tons pas, le par­ti com­mu­niste reste le seul capable de regrou­per la classe ouvrière. Vous pour­riez y for­mer son aile gauche. » Il arrive à cer­tains anar­chistes de répondre déma­go­gi­que­ment au mili­tant com­mu­niste qui lui tient ce lan­gage, que nous pour­rions éven­tuel­le­ment révi­ser notre posi­tion si le libre jeu des ten­dances pou­vait s’exer­cer au sein du dit P.C. — Mais le libre jeu des ten­dances existe bien au par­ti socia­liste et nous n’a­vons pour­tant pas une seule rai­son d’y entrer. Une seule dif­fé­rence semble-t-il pour­rait nous faire hési­ter : le par­ti com­mu­niste traîne une cer­taine masse der­rière lui, ce qui n’est pas le cas de la S.F.I.O. Mais c’est là qu’il faut en finir avec le com­plexe « P.C. » qui existe chez nombre de mili­tants à appar­te­nance sou­vent mal défi­nie (sou­vent U.G.S.) et qui sont per­sua­dés qu’on ne peut pas se cou­per du par­ti com­mu­niste sans se cou­per du même coup de la classe ouvrière. Nous pou­vons ima­gi­ner que le même état d’es­prit régnait vis-à-vis des socia­listes avant le Congrès de Tours. C’est d’ailleurs la même forme de pen­sée qui règne par­mi les mili­tants de la ten­dance « l’É­tin­celle » ou de la « Voie Com­mu­niste ». Quelles que soient leurs diver­gences avec la direc­tion du par­ti com­mu­niste, ces mili­tants affirment et ont tou­jours affir­mé qu’il n’est pas ques­tion pour eux de le quit­ter. Mieux, ils ne peuvent envi­sa­ger une quel­conque forme d’ac­tion qui se pla­ce­rait en dehors du « Par­ti ». C’est là où nous tou­chons encore au mythe du par­ti tel que nous le défi­nis­sions plus haut. Quelle solu­tion adop­ter dès lors ? La seule pro­po­sée est la liqui­da­tion de la direc­tion auto­ri­taire du par­ti. Par quel moyen ? C’est là où la tâche semble dif­fi­cile et on escompte beau­coup du pro­chain congrès. Cer­tains mili­tants dans les « nuages », tels ceux de la ten­dance « Unir », ont été jus­qu’à écrire au par­ti com­mu­niste sovié­tique afin qu’il les sou­tienne ! Mais il y a un point plus impor­tant et plus sérieux à nos yeux. « La Voie Com­mu­niste » nous apprend que les oppo­si­tion­nels se fixent aus­si pour but de recher­cher pour­quoi beau­coup de mili­tants révo­lu­tion­naires sont en dehors du par­ti et n’ont jamais eu l’en­vie d’y ren­trer. Mieux, l’un des buts de « L’Op­po­si­tion Com­mu­niste » est de regrou­per les mili­tants révo­lu­tion­naires autour d’elle, même s’ils ne sont pas membres du P.C. C’est ici que nous sommes encore dans la même situa­tion que celle de nos cama­rades en 1900.

Il y a aus­si ceux qui appar­tiennent à d’autres mino­ri­tés révo­lu­tion­naires que la nôtre et qui rêvent du Par­ti Révo­lu­tion­naire qui regrou­pe­rait tous les petits grou­pus­cules mar­xistes ain­si que les trots­kystes. Il y a, enfin, ceux qui croient que le Par­ti Ouvrier de demain sera l’U.G.S. et qui estiment qu’il faut tra­vailler dans son sein pour faire valoir des posi­tions révo­lu­tion­naires. De toute manière, par­tout le sou­ci de don­ner le jour à une for­ma­tion valable, aux yeux de la classe ouvrière. Cha­cun dira, bien sûr, que c’est la sienne. En pra­tique étant don­né ce que nous avons déjà consta­té — l’ha­bi­tude des masses pour les formes clas­siques — il n’y a que le par­ti com­mu­niste et le par­ti socia­liste qui pour­rait pré­sen­ter quelque inté­rêt pra­tique. C’est ici qu’il faut dire que, dans notre pers­pec­tive anar­chiste révo­lu­tion­naire, cette solu­tion est abso­lu­ment HORS DE QUESTION et ceci pour des rai­sons très pro­fondes et fon­da­men­tales que nous allons examiner.

— O —

Réponds d’a­bord à un cer­tain nombre d’ob­jec­tions classiques.

Il est cou­rant d’en­tendre dire : « Si vous n’êtes pas satis­faits par notre poli­tique, entrez donc chez nous et vous tra­vaille­rez à réfor­mer tout cela en fai­sant valoir libre­ment vos concep­tions. » Le tout est de savoir s’il est pos­sible de réfor­mer les par­tis ouvriers « clas­siques ». Au cas où cela serait pos­sible, nous ne savons pas si cela pré­sen­te­rait quelque inté­rêt car ce n’est pas suf­fi­sant de consta­ter les affec­tions de la classe ouvrière, il faut aus­si savoir si une orga­ni­sa­tion de type don­né comme celle du par­ti ouvrier, socia­liste ou com­mu­niste, cor­res­pond aux formes néces­saires de la lutte révo­lu­tion­naire. Nous ne le pen­sons pas et nous le déve­lop­pe­rons plus loin (Nous n’in­sis­te­rons pas sur le fait qu’il n’y a même pas de démo­cra­tie inté­rieure au sein du P.C.). Cette tac­tique de com­bat par l’in­té­rieur a été appe­lée « l’en­trisme » et fut sou­vent à l’hon­neur chez les mili­tants trots­kystes. Nous n’a­vons jamais enten­du dire qu’ils obtinrent tel­le­ment de résul­tats par ce moyen.

On nous dit aus­si : « Vous devez for­mu­ler vos cri­tiques à l’in­té­rieur du par­ti car les for­mu­lant à l’ex­té­rieur, vous divi­sez la classe ouvrière. » Ceci serait, en un sens, un nou­vel ali­ment au « mythe » de l’u­ni­té de la gauche dont nous par­lions dans notre pré­cé­dent numé­ro. Mais, cette fois, l’ar­gu­ment se pré­sente sur le ter­rain de classe. Il faut, selon nos contra­dic­teurs, pré­sen­ter un front uni en face de la bour­geoi­sie. C’est en ver­tu de ce prin­cipe que le par­ti com­mu­niste prêche l’U­ni­té avec le par­ti socia­liste. Mais il y a plus : si l’on admet — et c’est le cas des com­mu­nistes — que son par­ti repré­sente la classe ouvrière tout entière, toute libre dis­cus­sion s’ar­rête, car c’est la classe ouvrière tout entière que l’on cri­tique. Outre qu’il s’a­git encore du mythe ouvrié­riste ajou­té à celui du Par­ti, on devient sus­cep­tible au plus haut point. Cela devient un véri­table com­plexe. Toute libre cri­tique, même la plus ano­dine, passe pour une attaque anti­com­mu­niste. Il est presque super­flu de men­tion­ner le com­plexe inverse qui existe chez les socia­listes dont beau­coup prennent la jau­nisse uni­que­ment au simple énon­cé du mot « com­mu­niste ». Dans les deux cas, impos­si­bi­li­té de libre dis­cus­sion. Si l’u­ni­té de « classe » passe par la para­ly­sie, nous reje­tons aus­si cette manière de voir. Il n’est d’ailleurs pas cer­tain du tout que la bour­geoi­sie se réjouisse de ce que nous cher­chions des formes de lutte plus effi­cace par une libre confron­ta­tion. Et si la forme inté­rieure est désuette, force nous est d’u­ti­li­ser l’extérieur.

— O —

Il est temps de nous expli­quer sur notre titre. Nous avons inti­tu­lé cette étude « Le Par­ti Ouvrier et les Anar­chistes ». Nous avons vou­lu dis­cu­ter du prin­cipe de l’exis­tence d’un par­ti ouvrier et aus­si ana­ly­ser ce qui s’est pas­sé pra­ti­que­ment. C’est pour­quoi, nous avons men­tion­né indif­fé­rem­ment le par­ti socia­liste ou le par­ti com­mu­niste. Outre que tout autre par­ti ouvrier pro­je­té uto­pi­que­ment dans l’a­ve­nir est, à notre sens, du domaine de la rêve­rie, nous avons vu que les diver­gences entre ces deux par­tis ne viennent que d’un déca­lage d’é­poque. Ils sont, en fait, basés sur les mêmes prin­cipes et la même idéo­lo­gie. Une expé­rience de près de cent années nous semble suf­fi­sante pour savoir si oui ou non, le prin­cipe d’or­ga­ni­sa­tion de la lutte révo­lu­tion­naire sur cette base est juste ou fausse. Quand on en constate les résul­tats pratiques…

Notre titre est aus­si celui d’une étude parue en 1901 et publiée par nos cama­rades belges en pro­tes­ta­tion contre leur exclu­sion du par­ti socia­liste. Il nous a paru impor­tant de l’ac­tua­li­ser au regard de notre époque. Son intro­duc­tion est tou­jours actuelle :

« Dès que les mino­ri­tés révo­lu­tion­naires atteignent ou s’ap­prochent du Pou­voir, chaque fois qu’une secte ou qu’un par­ti arrive à l’hé­gé­mo­nie — irré­mé­dia­ble­ment — ses diri­geants, se croyant indis­pen­sables et jouis­sant des hon­neurs d’a­bord et des pro­fits ensuite, tendent à cris­tal­li­ser les doc­trines, à arrê­ter l’es­sor de la pen­sée, à mettre hors la loi les insou­mis qui essayent d’a­dap­ter les socié­tés à de nou­velles condi­tions de vie. Les brillants appels à l’in­dé­pen­dance, à la liber­té de conscience, sont, dès lors, rem­pla­cés par les exhor­ta­tions au calme au res­pect des textes et des règle­ments, à la dis­ci­pline pour tout dire. Les pro­grammes accep­tés (et tout de cir­cons­tance) deviennent des DOGMES INTANGIBLES.

Les chefs deviennent sacrés, et sacri­lège qui met en doute leur sin­cé­ri­té et leur omni­science, Dès lors pleuvent les excom­mu­ni­ca­tions d’a­bord, les per­sé­cu­tions ensuite. Le « Hors de l’É­glise point de sasa­lut » résume les aspi­ra­tions […]. Comme pour ses devan­ciers dans l’his­toire, ces véri­tés tristes vont se répé­ter pour le mou­ve­ment socia­liste contem­po­rain, gran­diose comme une reli­gion nou­velle, mais par­ti­ci­pant des tares de toute religion […]».

Au demeu­rant, nos cama­rades vou­laient res­ter dans le Par­ti. Ils vou­laient sim­ple­ment que le par­ti ne par­ti­cipe pas au pou­voir bour­geois. Ils pen­saient, à juste titre, que tout s’ex­pli­quait par là. Ce n’est pas si simple. Il y a déjà dans l’i­dée du par­ti un germe per­ma­nent de dog­ma­tisme et d’au­to­ri­té. Le par­ti a pour but, au fond, de diri­ger la classe ouvrière. Au stade pri­maire, cela cor­res­pond chez le mili­tant moyen à une men­ta­li­té d’i­ni­tié en face de la masse « qui ne sait pas se diri­ger toute seule ». Méta­phy­sique, disions-nous ? Une direc­tion arbi­traire sur une masse ou un groupe d’in­di­vi­dus est méta­phy­sique en ce sens qu’elle reprend le dogme anti­scien­ti­fique de la sépa­ra­tion de l’es­prit et du corps et de la direc­tion de cet esprit sur la matière. Si nos cama­rades consta­taient déjà que les pro­grammes accep­tés deve­naient des « dogmes intan­gibles », c’est que le prin­cipe du par­ti ne pou­vait que conduire à des posi­tions HORS DES FAITS ANALYSÉS ET CONSTATÉS, c’est-à-dire anti­ma­té­ria­listes et « idéa­listes » au sens où Marx l’en­tend. C’est ce que Dji­las explique beau­coup mieux que nous dans « La Nou­velle Classe » :

« Le com­mu­nisme contem­po­rain, en prin­cipe, ne nie point l’exis­tence d’un ensemble fixe de lois objec­tives gou­ver­nant la nature et la socié­té. Cepen­dant, lors­qu’ils sont au pou­voir, ses par­ti­sans se conduisent envers la socié­té humaine et l’in­di­vi­du tout autre­ment que ne l’im­pli­que­rait une théo­rie déter­mi­niste du monde et ils se servent de méthodes capri­cieuses ou arbi­traires. Par­tant de ce pos­tu­lat qu’ils connaissent seuls les lois inhé­rentes au social, les mili­tants com­mu­nistes en tirent une conclu­sion sim­pliste et scien­ti­fi­que­ment illé­gi­time. Ils pro­clament que cette connais­sance sup­po­sée leur confère le pou­voir et le droit exclu­sif de chan­ger la socié­té et d’en régler sou­ve­rai­ne­ment les activités. »

Il n’est d’ailleurs pas sûr que les socia­listes échappent tel­le­ment à ce mode de pen­sée. S’ils pré­co­nisent la méthode réfor­miste abso­lue, c’est bien au nom de dogmes scientifiques.

Allons jus­qu’au fond du pro­blème : Si les par­tis ouvriers ne sont arri­vés qu’à démo­bi­li­ser la classe ouvrière c’est sans nul doute, au sens de l’a­na­lyse maté­ria­liste la plus rigou­reuse, parce qu’ils se sont trom­pés. Et s’ils sont fidèles à leurs prin­cipes et à leur doc­trine, c’est qu’elle est fausse, c’est que les prin­cipes sont faux. (Disons en pas­sant que nous nous refu­sons à faire par­tie de ces esprits retors qui déclarent que les curés ont tra­hi le Christ, que les mar­xistes ont tra­hi le mar­xisme, que les socia­listes ont tra­hi le socia­lisme, etc… Nous ne voyons pas pour­quoi on ne peut pas accor­der le pré­ju­gé de la bonne foi. Il n’est d’ailleurs pas de dis­cus­sion pos­sible hors de là. Il est d’ailleurs peu scien­ti­fique de tout expli­quer par un seul fac­teur, à savoir le fac­teur psy­cho­lo­gique ain­si que le font les métaphysiciens).

La notion du par­ti conduit au dog­ma­tisme parce que le par­ti est une enti­té. Le Pou­voir c’est avant tout vou­loir s’emparer le l’É­tat. Aus­si le par­ti est for­cé­ment appe­lé lui-même à être l’É­tat quand il sera au pou­voir, et, avant la prise du pou­voir, à être un État dans l’É­tat. Si la notion de l’É­tat dans l’É­tat prise au sens bour­geois signi­fie comme le disait Miche­let « le droit de conspi­ra­tion », cela ne serait certes pas pour nous déplaire. Mais il ne s’a­git que de concur­rence. Le par­ti est auto­ri­taire parce qu’il est déjà l’É­tat pour ses mili­tants et il pré­tend l’être éga­le­ment pour la classe ouvrière et pour l’en­semble de la socié­té. C’est pour­quoi une orga­ni­sa­tion « révo­lu­tion­naire » du type « Par­ti Ouvrier » est abso­lu­ment inca­pable de se livrer à une ana­lyse scien­ti­fique des faits. Nous dirons môme qu’elle est IMPROPRE à être l’ins­tru­ment de cette ana­lyse. C’est ce que Cafie­ro fai­sait déjà remar­quer à Engels dans une lettre deve­nue célèbre où il décla­rait ne pas com­prendre com­ment on peut être à la fois par­ti­san d’une ana­lyse maté­ria­liste et en même temps étatiste.

Ici, il nous faut cher­cher plus loin : La Décla­ra­tion de Prin­cipe du Par­ti ouvrier de 1900 dit encore :

« La trans­for­ma­tion du régime capi­ta­liste en régime col­lec­ti­viste doit néces­sai­re­ment être accom­pa­gnée […] par la trans­for­ma­tion de l’É­tat en admi­nis­tra­tion des choses. »

On peut consta­ter com­bien ce texte conte­nait d’é­qui­voque. On voit qu’à cette époque, on essayait encore de trou­ver des for­mules inter­mé­diaires entre les thèses mar­xistes et les thèses anar­chistes. C’est pour­quoi, sans doute, il ne satis­fait per­sonne. Il se peut aus­si que cette ques­tion de l’É­tat n’ait pas tou­jours été très claire dans l’es­prit des socia­listes de ce temps-là. En tout cas éta­tistes et anti-éta­tistes coha­bi­taient. Ber­trand inter­pré­tait la Décla­ra­tion de Prin­cipe ainsi :

« La terre, les mai­sons, les ate­liers, les machines seraient la pro­prié­té de l’É­tat, c’est-à-dire de tous ».

Par contre, « L’Es­sai sur le Socia­lisme Scien­ti­fique » publié par le par­ti ouvrier belge déclarait :

« L’É­tat n’est pas, ain­si que l’im­prime cer­tain bour­geois entré dans le par­ti socia­liste comme le ver dans le fruit pour conten­ter ses appé­tits mal­sains en le désor­ga­ni­sant, “l’en­semble des ser­vices publics déjà consti­tués”, c’est-à-dire quelque chose qui n’a besoin que de cor­rec­tions par-ci, d’ad­jonc­tions par-là. Il n’y a PAS À PERFECTIONNER, mais à SUPPRIMER L’ÉTAT, qui n’est que l’Or­ga­ni­sa­tion de la classe exploi­tante […]. Or, c’est un mau­vais sys­tème pour détruire quelque chose que de com­men­cer par le for­ti­fier. Et ce serait aug­men­ter la force de résis­tance de l’É­tat que de favo­ri­ser l’ac­ca­pa­re­ment par lui des moyens de pro­duc­tion, c’est-à-dire de DOMINATION. »

On éton­ne­rait fort les mili­tants socia­listes et com­mu­nistes d’au­jourd’­hui en leur lisant cette cita­tion ! Nous avons par­lé de déca­lage entre les socia­listes et les com­mu­nistes force nous est de consta­ter que les décla­ra­tions des com­mu­nistes hol­lan­dais com­bat­tues par Lénine étaient déjà bien plus timides que celle-là. De toute façon, c’est la thèse de la conquête de l’É­tat qui a pré­va­lu. On nous objec­te­ra que les mar­xistes, même les plus auto­ri­taires, n’ont jamais nié qu’un jour l’É­tat dis­pa­raî­tra. Dans le pro­blème du « mythe » du par­ti qui nous occupe, on peut sup­po­ser alors que le « par­ti » lui-même dis­pa­raî­trait à ce moment là éga­le­ment. Il reste qu’il est dif­fi­cile d’ex­pli­quer cette dis­pa­ri­tion et l’ar­gu­ment cité, selon lequel « on ne détruit pas en for­ti­fiant », prend toute sa valeur.

On ne peut com­prendre le « mythe » du par­ti et de l’É­tat chez les mar­xistes  — mais c’est le même — qu’en ana­ly­sant Engels.

Peut-on accor­der la qua­li­fi­ca­tif de « maté­ria­listes » aux par­ti­sans du par­ti ouvrier ? Telle est la pre­mière question.

— O —

Dji­las recon­naît dans « La Nou­velle Classe » qu’on ne peut « jus­ti­fier le zèle des com­mu­nistes modernes fai­sant pieu­se­ment de Marx l’in­ven­teur de toutes les lois qui régissent la socié­té. ». Gas­ton Leval le fai­sait remar­quer récem­ment dans ses « Cahiers ». Mais tout ceci n’est pas nou­veau pour les anar­chistes-com­mu­nistes et dès 1896, notre cama­rade Tcher­ke­soff le fai­sait remar­quer dans ses « Pages d’His­toire Socia­liste ». Mais le dog­ma­tisme dont nous avons par­lé ne date pas d’hier. Engels écri­vait dans « Neue Zeit » :

« Les lois de la pro­duc­tion capi­ta­liste décou­vertes par Marx sont aus­si stables que celles de New­ton et de Kel­ler dans le mou­ve­ment du sys­tème solaire. »

Et dans la pré­face de « Lud­wig Feuerbach » :

« Nous avons déci­dé de nous adon­ner aux recherches néces­saires pour éla­bo­rer l’ex­pli­ca­tion maté­ria­liste de l’his­toire décou­verte par Marx ».

Quelle est cette concep­tion maté­ria­liste ? Voi­ci la défi­ni­tion de Engels :

« La concep­tion maté­ria­liste de l’His­toire se base sur cette idée : que la pro­duc­tion et l’é­change des pro­duits, valeurs, etc., forment le fon­de­ment de toute orga­ni­sa­tion sociale ; dans chaque socié­té humaine, la répar­ti­tion des richesses et la for­ma­tion des classes ou des États dans la socié­té sont le résul­tat du mode de pro­duc­tion et d’é­change pra­ti­qué par la société. »

Tcher­ke­soff nous apprend que cela « était connu bien avant la nais­sance de Engels ». Mais il nous faut le citer :

« L’en­semble des fac­teurs éco­no­miques que nous appe­lons éco­no­misme, n’est pas encore LE maté­ria­lisme. Le mode de pro­duc­tion est seule­ment UN fac­teur, ou plu­tôt un élé­ment par­mi beau­coup d’autres qui servent aux géné­ra­li­sa­tions évo­lu­tio­nistes connues sous le nom des doc­trines maté­ria­listes. La par­tie ne peut conte­nir le tout. »

Et Tcher­ke­soff de citer nombre d’au­teurs qui admet­taient une défi­ni­tion ana­logue à celle de Engels et qui étaient « non seule­ment idéa­listes et méta­phy­si­ciens, mais déistes accom­plis et chré­tiens fervents. »

Voi­là qui met sin­gu­liè­re­ment en lumière le fait qu’il n’y a pas, au fond, tel­le­ment à s’é­ton­ner que la concep­tion méta­phy­sique du par­ti soit ancrée chez les mar­xistes. Car, si le Par­ti c’est l’É­tat, c’est aus­si l’É­glise. Aus­si, pour Kro­pot­kine et pour nous, le maté­ria­lisme c’est l’é­tude scien­ti­fique et le rai­son­ne­ment scien­ti­fique appli­qués à tous les domaines. Et si, pour nous, l’a­na­lyse éco­no­mique est impor­tante, nous ne sau­rions négli­ger les lois natu­relles et les fac­teurs psy­cho­lo­giques. Nous n’a­vons jamais nié les consta­tions de Engels. Reste à savoir si ces consta­ta­tions pour être néces­saires sont suf­fi­santes. Bakou­nine, dans son « Anti­théo­lo­gisme » com­bat les pseu­do-maté­ria­listes qui, parce qu’ils nient le spi­ri­tua­lisme, renoncent aux aspects humains. En réa­li­té, ces aspects humains consti­tuent ce que nous pour­rions appe­ler les « lois propres » de l’homme consi­dé­ré comme pro­duit de la nature. La psy­cha­na­lyse et la décou­verte du sys­tème neu­ro-végé­ta­tif nous en disent long à ce sujet.

— O —

Com­ment la concep­tion du par­ti ouvrier se conçoit-elle d’a­près la thèse de Engels ? Nous savons que pour lui, TOUT s’ex­plique par l’a­na­lyse des modes de pro­duc­tion et d’é­change. Dans la socié­té capi­ta­liste où existent des classes sociales dif­fé­rentes, il est logique que chaque classe anta­go­niste tra­duise ses aspi­ra­tions AU SEIN de la SOCIÉTÉ EXISTANTE. Aus­si, le par­ti ouvrier devient néces­saire. On peut logi­que­ment pen­ser qu’il dis­pa­raî­tra quand il n’y aura plus de classes sociales. Mais le par­ti devient néces­sai­re­ment l’É­tat. Or qu’est-ce que l’É­tat ? C’est d’a­bord la ten­ta­tive de conci­lia­tion des inté­rêts des indi­vi­dus en fonc­tion des anta­go­nismes. En socié­té com­mu­niste sans classes, il n’y a donc logi­que­ment plus d’É­tat (c’est le dépé­ris­se­ment dont nous par­lions) et, par­tant, plus de « par­ti ». Mais l’É­tat, donc le par­ti, est encore néces­saire quand le capi­ta­lisme n’a pas entiè­re­ment dis­pa­ru au cours de la période de tran­si­tion. C’est ici qu’il y a diver­gence entre les com­mu­nistes et les socia­listes. Pour les com­mu­nistes, la socié­té de tran­si­tion est la « dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat » qui est, en réa­li­té la dic­ta­ture du Par­ti (ou de l’É­tat). Pour les socia­listes, la période de tran­si­tion existe en per­ma­nence au sein de la socié­té capi­ta­liste en pleine évo­lu­tion, et le Par­ti a inté­rêt a être aus­si l’É­tat. Lénine pré­co­ni­sait l’ac­tion armée. Main­te­nant, et même dans le régime gaul­liste, les com­mu­nistes ne voient que l’ac­tion par­le­men­taire. Il y a très peu de dif­fé­rence entre les deux thèses.

Mais le par­ti ouvrier au pou­voir est aus­si la réa­li­sa­tion des aspi­ra­tions de la classe ouvrière qui devient la com­mu­nau­té tout entière. Le par­ti ouvrier en lutte est un essai de com­mu­nau­té au milieu des forces hos­tiles. Dans la situa­tion actuelle, il est un point de ras­sem­ble­ment, aus­si bien dans la concep­tion de Her­vé que dans celle de Tho­rez. Il est totem et incar­na­tion. Et quand l’É­tat dis­pa­raît, quand le par­ti dis­pa­raît, c’est tout sim­ple­ment parce que c’est le par­ti qui est deve­nu com­mu­nau­té. (Il faut remar­quer ici que la concep­tion maçon­nique de cer­tains socia­listes n’est pas aus­si éloi­gnée des autres mar­xistes que l’on pour­rait le sup­po­ser). Nous ne pen­sons pas être contre­dits par aucun mar­xiste dans le dérou­le­ment de cette pen­sée. Mais alors, pour nous, anar­chistes, il suf­fit de rem­pla­cer les mots « par­ti » par « État » ou « Église » et aucun terme de la démons­tra­tion ne change. Nous ima­gi­nons qu’un éven­tuel contra­dic­teur mar­xiste se décla­re­rait au fond tou­jours d’ac­cord. Mais il nous don­ne­rait sans doute l’ex­pli­ca­tion sui­vante : « État, Église, Par­ti, sont les expres­sions objec­ti­ve­ment néces­saires des aspi­ra­tions de la com­mu­nau­té aux stades dif­fé­rents de son évo­lu­tion. Dans les trois cas il y a essai de conci­lia­tion des anta­go­nismes et rôle his­to­rique. » De toute manière, du point de vue mar­xiste, État, Par­ti, Église sont des pro­duits de l’é­vo­lu­tion éco­no­mique et jamais des causes.

Mais,pour autant qu’il y a dans les trois cas essai de réa­li­sa­tion des aspi­ra­tions, il y a « subli­ma­tion » et recherche d’ab­so­lu. Il y a dans les trois cas une forme de pen­sée iden­tique qui est abso­lu­ment méta­phy­sique. La dif­fé­rence de stade entre les trois cas se trouve dans le degré d’abs­trac­tion et c’est tout. Nous nous trou­vons en face d’un méca­nisme de pen­sée très pré­cis et c’est en géné­ral ce qui échappe aux mar­xistes. Nous avons par­lé de la men­ta­li­té d’i­ni­tié du membre du par­ti, elle est la même que celle de l’in­di­vi­du qui repré­sente l’É­tat ou l’É­glise. Sur l’autre face, elle cor­res­pond à l’es­prit de sou­mis­sion de la masse qui confie à d’autres ce qu’elle ne peut réa­li­ser elle-même. On a pu dire que Dieu était l’ex­pres­sion de la propre impuis­sance de l’Homme. Ne peut-on pas dire que la notion de par­ti est l’ex­pres­sion de la propre impuis­sance de la classe ouvrière ? Si le degré d’é­vo­lu­tion ne se situe que dans le degré d’abs­trac­tion, on peut ima­gi­ner encore pour les masses une notion incon­nue qui serait encore plus abs­traite que l’i­dée du par­ti, mais on ne voit pas com­ment les par­ti­sans du par­ti ouvrier peuvent s’en sor­tir pour nous expli­quer sa dis­pa­ri­tion. Nous vou­lons bien pous­ser jus­qu’au bout le rai­son­ne­ment : L’É­glise joue, du point de vue mar­xiste, un rôle his­to­rique « pro­gres­siste » quand elle favo­rise l’é­vo­lu­tion des moyens de pro­duc­tion, elle devient réac­tion­naire quand elle est dépas­sée par les évé­ne­ments et qu’elle freine l’é­vo­lu­tion. Dans ce der­nier cas, elle fait le jeu des classes domi­nantes. Repre­nons notre phrase pré­cé­dente en chan­geant les termes : L’É­tat, joue­rait un rôle his­to­rique iden­tique à un autre stade. Mais par un coup de baguette magique que les mar­xistes ne peuvent nous expli­quer, l’É­tat ne devient pas un frein pour l’é­vo­lu­tion à une cer­taine époque, il n’est pas l’ex­pres­sion d’une classe domi­nante, il DISPARAÎT TOUT SEUL. Nous avons vu que dans cette der­nière période l’É­tat c’est le par­ti, il fau­drait être plus logique et dire que le par­ti c’est la classe et à ce moment, la classe domi­nante qui ne peut s’a­mal­ga­mer. Mais pour nous, anar­chistes, se confirme une loi de l’é­vo­lu­tion des socié­tés. Nous ne connais­sons pas d’ex­cep­tion. Elle peut s’é­non­cer ain­si : Tout orga­nisme véhi­cu­lant une pen­sée reven­di­ca­trice est révo­lu­tion­naire dans l’OP­PO­SI­TION et réac­tion­naire au POUVOIR. Mais si les orga­nismes changent, il reste deux choses immuables : L’Au­to­ri­té et le moyen de l’exer­cer c’est-à-dire la FORCE. Lorsque le par­ti ouvrier sera au pou­voir, il exer­ce­ra la force lui-même. On pour­ra nous répondre d’une manière sim­pliste : contre qui ? puis­qu’il n’y aura plus de classes. Nous pour­rons répondre : À moins qu’il ne soit deve­nu « classe » lui-même.

Il faut logi­que­ment conclure que le par­ti ouvrier devien­dra un frein à l’é­vo­lu­tion de la socié­té et qu’il fau­dra un autre par­ti pour ren­ver­ser sa domi­na­tion ! Il y a un cer­tain côté sim­pliste dans le rai­son­ne­ment de nom­breux mar­xistes. Disons tout de suite que si tout semble s’ar­ran­ger selon le bon sens popu­laire « comme les che­veux sur la soupe », c’est que la masse garde le sen­ti­ment reli­gieux qui cor­res­pond à l’as­pi­ra­tion vers le Para­dis. L’a­vè­ne­ment du com­mu­nisme et du socia­lisme relève de l’as­pi­ra­tion édé­nique. Récem­ment un théo­ri­cien du P.C. retour­nait la pro­po­si­tion dans la « Nou­velle Cri­tique » en disant que la croyance des masses dans le para­dis chré­tien n’est rien d’autre que l’as­pi­ra­tion vers une socié­té sans classes du fait qu’il n’y a pas de classes au ciel ! (Ce ne serait pas tout à fait vrai car il y a encore les Saints qui eux sont sans doute, aux yeux de notre grand socio­logue « aux ordres », membres du par­ti ! On voit que nous débou­chons de plein-pied dans la plus douce rigolade…).

Mais, pour les mar­xistes sérieux, tout s’ar­range aus­si bien. Il est logique qu’il y ait un par­ti ouvrier parce qu’il est logique de prendre le pou­voir. Il faut prendre le pou­voir parce que c’est tou­jours, à leurs yeux, la classe domi­nante qui mène l’é­vo­lu­tion. Elle laisse sa place à une autre quand elle a fini de jouer son rôle his­to­rique. Nous avons par­lé de « frein » à l’é­vo­lu­tion sociale. Cette concep­tion est vraie pour les com­mu­nistes, mais elle n’existe même plus chez les socia­listes qui nient toute pos­si­bi­li­té de résis­tance à la classe « des­cen­dante ». C’est pour­quoi le réfor­misme inté­gral est à leurs yeux moteur de l’é­vo­lu­tion. Mais il reste qu’en fait la classe pri­vi­lé­giée résiste. Elle résiste par la force et elle ne cède le pas que lorsque le rap­port de forces est à son désa­van­tage. C’est le prin­cipe natu­rel de l’é­vo­lu­tion et de la révo­lu­tion qui existe aus­si dans la nature. Or, c’est au fond cette révo­lu­tion que le mar­xisme nie en tant que « chan­ge­ment des rap­ports de forces », c’est-à-dire en tant que VIOLENCE. Engels.écrit en effet : 

« En géné­ral, la pro­prié­té pri­vée ne fut pas dans l’his­toire le résul­tat du pillage ou de la vio­lence […]. Elle pro­vient de causes éco­no­miques. La vio­lence n’a aucune part dans sa créa­tion […]. Toute l’his­toire de l’o­ri­gine de la pro­prié­té pri­vée est basée sur des causes exclu­si­ve­ment éco­no­miques, et, pas une fois il n’est besoin pour l’ex­pli­quer de recou­rir à la violence […].»

Cela signi­fie, d’a­près cette étrange théo­rie abso­lu­ment anti-scien­ti­fique, que les hommes d’une cer­taine époque ont accep­té l’es­cla­vage sans résis­tance et qu’il n’a pas fal­lu la force pour les y sou­mettre, En ver­tu de la même théo­rie « éco­no­miste », il fau­drait admettre que l’Em­pire romain ne s’est pas écrou­lé sous les coups des Bar­bares qui l’ont conquis par la FORCE, mais que les moyens de pro­duc­tion des Bar­bares étaient plus avancés !

— O —

Nous avons dit qu’il y a un côté d’as­pi­ra­tion vers l’ab­so­lu et un dog­ma­tisme obli­ga­toire dans la concep­tion du par­ti ouvrier. Jus­qu’à l’ul­time phase de son com­bat, c’est-à-dire jus­qu’à sa dis­pa­ri­tion sup­po­sée, le par­ti ouvrier est dis­tinct de l’ou­vrier. Il exerce une direc­tion Il entre­tient dans la masse le sen­ti­ment de l’im­puis­sance pour autant qu’il « assume » et qu’il « incarne » ses revendications.

Or, nous savons aujourd’­hui que l’AB­SO­LU n’existe pas. Que l’on ne peut baser AUCUN rai­son­ne­ment scien­ti­fique sérieux en par­tant de l’AB­SO­LU. On ne peut conce­voir une orga­ni­sa­tion pour la classe ouvrière aus­si bien que pour la libé­ra­tion de l’hu­ma­ni­té en géné­ral qui ne se penche pas sur les pro­blèmes de socio­lo­gie ; qui ne cherche pas à ana­ly­ser scien­ti­fi­que­ment les évé­ne­ments et l’é­vo­lu­tion de la socié­té. Si la socio­lo­gie est une science, elle requiert des méthodes scien­ti­fiques. La masse ne peut se lan­cer aujourd’­hui dans une action sans ana­lyse pré­cise de la situa­tion et sans résul­tats escomp­tés. Quand elle le fait sans que les « condi­tions objec­tives » soient réa­li­sées, elle recule le terme de la lutte de dizaines d’an­nées. Nous avons par­lé de ce recul et de l’im­puis­sance du par­ti socia­liste et du par­ti com­mu­niste a trou­ver une solu­tion. Aus­si nous affir­mons que le prin­cipe du par­ti ouvrier est abso­lu­ment faux car il est, de par sa struc­ture, ses prin­cipes de base et l’é­tat d’es­prit méta­phy­sique qu’il entre­tient, abso­lu­ment impropre à se livrer à l’a­na­lyse sociologique.

— O —

Obser­vons ce qui se passe sur le plan scien­ti­fique pur. Il n’y a plus d’in­ven­teurs indi­vi­duels dans le monde d’au­jourd’­hui. Le savant tra­vaille en équipe avec d’autres cher­cheurs. Cette recherche se fait par la dis­cus­sion et aus­si par la confron­ta­tion des expé­riences et seuls les faits ou les résul­tats prouvent laquelle de telle ou telle hypo­thèse émise est JUSTE ou FAUSSE. Le tech­ni­cien tire ensuite pro­fit PRATIQUEMENT de telle ou telle décou­verte. Il n’y a pas de « direc­tion » ou d’au­to­ri­té nulle part.

Nous ne voyons pas pour­quoi le domaine socio­lo­gique échap­pe­rait à cette manière de faire.

Aus­si, croyons nous, seule une orga­ni­sa­tion dans laquelle n’existe aucun prin­cipe auto­ri­taire peut se livrer à ce tra­vail. Sché­ma­ti­que­ment, l’or­ga­ni­sa­tion révo­lu­tion­naire peut être le labo­ra­toire et la masse le tech­ni­cien. (Mais tout ceci est encore sim­pliste et nous invi­tons le lec­teur à consi­dé­rer le prin­cipe que nous énon­çons et non la lettre.)

Aus­si, avec ou sans les anar­chistes, on ne peut conce­voir de révo­lu­tion valable sans une orga­ni­sa­tion de type anar­chiste. Elle reste à faire [[ « L’or­ga­ni­sa­tion anar­chiste de notre temps » pour­rait être le titre d’une pro­chaine étude com­plé­tant celle-ci.]]. En atten­dant le terme de cette construc­tion qui ne peut par­tir que de la BASE, il n’est rien de plus pres­sant dans la période actuelle où l’ac­tion n’a pas encore pris corps, de com­men­cer un tra­vail de démys­ti­fi­ca­tion, sur tous les plans. ÉGLISE, ÉTAT, PARTI, avons-nous dit ? Tous les mythes auto­ri­taires (donc impropres à faire avan­cer l’hu­ma­ni­té) se rejoignent. Il n’est pas un exemple dans l’his­toire où une orga­ni­sa­tion du type « par­ti » ait fait faire un pas sur le che­min de la libération.

Guy

La Presse Anarchiste