La Presse Anarchiste

Aux travailleurs des villes et des campagnes

Il y a dans l’air un fré­mis­se­ment bizarre, comme un trem­ble­ment sus­ci­té par le vent du nord vif et gla­cé. L’or­ga­ni­sa­tion sociale semble agi­tée dans ses fon­de­ments, elle semble chan­ce­ler sur sa base ; et le chêne capi­ta­liste — moins fier de sa force que celui de La Fon­taine — paraît avoir le pres­sen­ti­ment d’un déchaî­ne­ment vaste et furieux, du ter­rible aqui­lon, de l’a­qui­lon de la révo­lu­tion sociale.

Écou­tez le mur­mure de la foule, ren­dez-vous compte de ses dési­rs inavoués, de ses sen­ti­ments d’in­dé­pen­dance et de bien être ins­tinc­tifs, de ses aspi­ra­tions concen­trées dans son cœur ; et vous ver­rez par là que la classe pos­sé­dante a bien rai­son de redou­ter le châ­ti­ment de demain et folle, de frap­per à tort et à tra­vers, se fai­sant sans en avoir conscience — aveu­glée qu’elle est par sa folie — de pro­fondes, de mor­telles bles­sures. Quelles coïn­ci­dences entre la socié­té capi­ta­liste et bour­geoise d’au­jourd’­hui avec la socié­té romaine. Coïn­ci­dences qui se rap­portent non pas aux grands jours des triomphes, mais aux jours tristes, puants et san­gui­naires de la décandence.

Par­tout la pros­ti­tu­tion éhon­tée, l’a­gio­tage sans ver­gogne, la vente ignoble des consciences, les pots-de-vin qui pro­voquent les infa­mies et les lâche­tés ; les pour­ri­tures s’é­talent par­tout aux regards indi­gnés des tra­vailleurs conscients. Depuis les hauts fonc­tion­naires, jus­qu’aux bou­doirs dorés des filles du grand monde, où viennent se pré­las­ser dans leur igno­mi­nies infâmes ceux qui [vont ?] pour nous ser­vir d’une heu­reuse [oppres­sion ?], de l’or avec du sang.

[Et ?] c’est parce que la bour­geoi­sie [sent ?] l’é­pui­se­ment s’emparer d’elle qu’elle fré­mit et qu’elle pro­voque ceux qui ont le cou­rage de leur opi­nion, qui réclament pour tout le monde ce qui est néces­saire à l’homme pour vivre heu­reux, libre et assu­ré du lendemain.

Gare à l’in­va­sion des bar­bares modernes, gare à l’i­dée ouvrière disent-ils ! Sans doute, c’est nous qui détrui­rons cette socié­té, c’est à nous qu’in­combe le devoir de puri­fier radi­ca­le­ment la socié­té d’au­jourd’­hui. Nous le disons et on le sait : les gou­ver­ne­ments le savent mieux que per­sonne. Pour­quoi ces alliances inter­na­tio­nales ? Pour­quoi ces ententes cos­mo­po­lites entre capi­ta­listes et fli­bus­tiers ? Ah ! c’est qu’on ne veut pas que l’ou­vrier aie une idée, c’est que l’on veut qu’il reste une bête de somme, de la viande à engrais. C’est qu’on voit l’i­dée ouvrière qui se lève puis­sante et gigan­tesque ; c’est qu’on veut empê­cher les idées sociales et reven­di­ca­trices de se déve­lop­per tout à l’aise, qu’on pour­suit tous ceux qui réclament une exis­tence meilleure qu’on les chasse des ate­liers comme étant des révol­tés. Car qui­conque est juste et signale les injus­tices qu’il voit ou qu’on lui fait, devien­dra fata­le­ment par la force des choses un défen­seur de l’i­dée ouvrière, que nous défen­dons, que nous pro­pa­geons mal­gré les per­sé­cu­tions tou­jours crois­santes. Ce qu’on envi­sage dans les vexa­tions sans nombre dont sont acca­blés les indi­gènes de la socié­té bour­geoise, c’est le nombre tou­jours crois­sant de nos adhé­rents. En vou­lant empê­cher notre pro­pa­gande de se faire, les jour­na­listes nous aident au contraire dans notre tâche en atti­rant sur nos idées une atten­tion sym­pa­thique. Vrai­ment la peur fait com­mettre bien des fautes !

On craint le déve­lop­pe­ment de nos idées, et c’est parce que nous repré­sen­tons vrai­ment la liber­té et la jus­tice, que les pou­voirs quels qu’ils soient regardent avec épou­vante l’a­ve­nir qui s’as­som­brit. Cela nous réjouit, nous que l’on per­sé­cute et que l’on traque, car si la bour­geoi­sie tremble, si elle est affo­lée, c’est qu’elle sent l’im­puis­sance s’emparer d’elle. Le souffle des reven­di­ca­tions ouvrières la fait fré­mir, c’est un fait que l’on ne conteste plus.

Par­tout, dans n’im­porte quel peuple, sous n’im­porte quelle lati­tude le tres­saille­ment de l’é­man­ci­pa­tion ouvrière se mani­feste apeu­rant la classe pro­prié­taire, capi­ta­lise et gou­ver­ne­men­tale. C’est vrai­ment le souffle des­truc­teur de cette socié­té inhu­maine que nous subis­sons, de cette orga­ni­sa­tion sociale à son déclin, mais qui sème encore les misères, les déses­poirs et les cadavres sur les champs de bataille de la lutte pour l’exis­tence et les com­bats san­glants des diri­geants inter­na­tio­naux. Toutes les ter­reurs bour­geoises, tous les cris que pousse la presse ven­due, toutes les infa­mies que com­mettent ces pitres de la lit­té­ra­ture, ces para­sites, ces jean-foutres, ne sont après tout que les râle­ments écu­mant de colère et de rage en voyant le flot popu­laire broyer tout ce qui lui fait obs­tacle, et pro­cla­mer le règne de l’i­dée nou­velle, triom­pha­le­ment, sur les ruines de l’au­to­ri­té détruite à tout jamais.

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Lire dans le pro­chain numé­ro : la poli­tique du Petit Hâvre, ses capa­ci­tés, son opi­nion, ses tur­pi­tudes et ses palinodies.

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À par­tir du pro­chain numé­ro, nous publie­rons chaque semaine une Chro­nique locale et régio­nale ouverte à tous nos amis et cor­res­pon­dants, où ils pour­ront ain­si por­ter à la connais­sance du public les vexa­tions impo­sées aux ouvriers dans cer­tains bagnes indus­triels, dans les chan­tiers, par­tout où se com­met­tra une injus­tice. Les abus admi­nis­tra­tifs, les actes arbi­traires de dame Thé­mis, les plaintes des ouvriers sans tra­vail, leurs cris de dou­leur, leurs espé­rances etc. etc. En un mot tout ce qui est sus­cep­tible d’in­té­res­ser les tra­vailleurs révo­lu­tion­naires de la Nor­man­die. Nous sommes per­sua­dés que nos lec­teurs nous sau­ront bon gré de l’i­ni­tia­tive que nous avons prise dans l’in­té­rêt des tra­vailleurs et de la révolution.

Toutes les cor­res­pon­dances et com­mu­ni­ca­tions doivent être adres­sées aux bureaux du jour­nal, 25 rue des Galions, Le Hâvre (Seine Inf.). Les noms ne seront jamais publiés, et le secret le plus abso­lu sera gardé. 

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