Plus jeune, je possédais un caméléon. Le petit animal était ma joie. De sa langue rapide il captait les mouches en roulant des yeux drolatiques. Dans l’herbe du jardin il était vert comme une prairie, sur la margelle du puits il n’était plus qu’un morceau de plâtre sale.
Un jour quelqu’un écrasa mon caméléon. L’animal poussa un cri dont je me souviendrai longtemps : pour moi un voile se levait, un voile terrible.
En effet, je retrouvai facilement des caméléons parmi les hommes. Ces animaux-géants avaient presque la langue aussi longue, une langue en forme de flèche. Les yeux, seuls, n’offraient pas le même caractère curieux. Ils étaient obscurs, hypocrites, méchants. Mais ces grands animaux, comme le petit, changeaient de couleur : blanc là, rouge ici, bleu plus loin, plus loin gris.
Ma sympathie pour eux n’était toutefois pas la même. Ces grands caméléons étaient des monstres horribles. Plus tard je devais l’apprendre.
Robert Peyronnet