La Presse Anarchiste

Trois revendications

PIERRE BESNARD fut, avant-guerre, l’un des mili­tants syn­di­ca­listes-révo­lu­tion­naire les plus en vue. À la même époque où Trots­ky publiait le « Pro­gramme de tran­si­tion », Bes­nard écrit un livre : « Les Syn­di­cats ouvriers et la Révo­lu­tion sociale », où il déve­lop­pait les thèses et le pro­gramme du syn­di­ca­lisme-révo­lu­tion­naire, en cette période de mon­tée du fas­cisme et de crise mon­diale qui devait débou­cher sur la guerre civile espa­gnole et la Deuxième Guerre mondiale. 

Dans ce livre, Bes­nard expo­sait que la lutte des classes n’est pas une affaire de choix, mais un fait objec­tif ; qu’on subit l’exploitation capi­ta­liste ou qu’on la fait subir. La bour­geoi­sie tend à favo­ri­ser la col­la­bo­ra­tion des classes dans la mesure où elle per­met d’harmoniser les contra­dic­tions du sys­tème afin d’exploiter plus ration­nel­le­ment le pro­lé­ta­riat ; mais, en cas de crise, elle n’hésite pas à répri­mer tout essai de revendication. 

Aus­si faut-il reje­ter caté­go­ri­que­ment toute théo­rie pré­ten­dant qu’on peut par­ve­nir au socia­lisme par voie de réformes gra­duelles, par la voie paci­fique. Aux par­ti­sans de l’évolution paci­fique vers le socia­lisme, Bes­nard dit : 

«… Chaque jour les actes de ceux-là mêmes qui les sou­tiennent avec brio par la plume et par la parole viennent lui infli­ger les plus cin­glants démentis. »

« Per­sonne n’est en mesure – quelles que soient les res­sources que la casuis­tique four­nisse aux beaux esprits – de prou­ver que le capi­ta­lisme ne barre pas la route au pro­grès d’une façon sys­té­ma­tique et per­ma­nente, chaque fois qu’il risque, si peu que ce soit, de mettre en péril ses inté­rêts et ses privilèges. »

Mais la bour­geoi­sie ne pour­ra pas, quels que soient les moyens mis en œuvre, arrê­ter indé­fi­ni­ment l’évolution du progrès. 

« En l’enfermant dans l’appareil “légal”, en pré­ten­dant le cana­li­ser et l’appliquer uni­que­ment à son pro­fit, en retar­dant le plus long­temps pos­sible les appli­ca­tions qui pour­raient être faites immé­dia­te­ment, en s’opposant aux réa­li­sa­tions qui s’imposent et aux trans­for­ma­tions indis­pen­sables dont l’heure est venue, le régime bour­geois tente chaque jour de bar­rer obs­ti­né­ment la route au pro­grès dans tous les domaines. » 

Seule la révo­lu­tion per­met­tra de culbu­ter les obstacles : 

« Le capi­ta­lisme ne cède­ra qu’à la force (…) les révo­lu­tions demeu­re­ront les forces néces­saires pour effec­tuer les accou­che­ments labo­rieux du pro­grès (…) La révo­lu­tion n’est en réa­li­té que l’acte violent mais néces­saire qui accé­lère et pré­ci­pite, le moment venu, la marche d’une évo­lu­tion trop vio­lente, parce que retar­dée trop long­temps par la force. »

La diver­si­té des condi­tions impose des tac­tiques dif­fé­rentes. En effet, la révo­lu­tion peut se déclen­cher soit par un sou­lè­ve­ment géné­ral de la classe ouvrière ; par un « coup de force ten­té par un par­ti poli­tique d’extrême gauche occu­pant le pou­voir d’État avec le concours des syn­di­cats ouvriers qui lui servent d’appendice» ; par un « coup de force orga­ni­sé par un par­ti poli­tique de droite» ; par une « action vio­lente du fas­cisme, appuyée par une par­tie de l’armée et de la marine, secon­dée par les par­tis de droite. » 

Dans chaque cas, les tra­vailleurs orga­ni­sés dans les syn­di­cats doivent « répondre à l’action enga­gée en dehors d’eux par l’action immé­diate de toutes leurs forces diri­gées vers les objec­tifs de classe du pro­lé­ta­riat ». En effet, Bes­nard pose comme prin­cipe qu’un « grou­pe­ment quel­conque ne peut jouer un rôle actif, en quelque cir­cons­tance que ce soit, qu’à la condi­tion de se pla­cer à l’avant-garde»…

L’objectif final du syn­di­ca­lisme, objec­tif qu’il est seul en mesure d’atteindre, est de « sup­pri­mer le sala­riat sous toutes ses formes, de faire dis­pa­raître le patro­nat sous toutes ses formes, de sub­sti­tuer à l’État l’organisation de la pro­duc­tion, de l’échange, de la répar­ti­tion et des rap­ports entre les hommes ».

« Les syn­di­cats ouvriers repré­sentent le grou­pe­ment de classe en son sens le plus pur », dit Bes­nard. Ils doivent comme on l’a vu, assu­rer toutes les tâches de la révo­lu­tion et de la construc­tion du socia­lisme. Ces tâches, dont il n’est pas pos­sible de dire quand elles pour­ront être assu­mées, mais que la situa­tion de crise et de mon­tée du fas­cisme mettent à l’ordre du jour, doivent se pré­pa­rer dans l’immédiat, en posant ce que Bes­nard appelle les grandes reven­di­ca­tions du prolétariat. 

Ces reven­di­ca­tions ne consti­tuent pas à elles seules un pro­gramme défi­ni­tif de socia­lisme : elles sont trois axes de pro­pa­gande, de mobi­li­sa­tion et d’organisation du pro­lé­ta­riat, pré­pa­ra­toires à l’assaut final. Rien de plus. 

« Les grandes reven­di­ca­tions du pro­lé­ta­riat doivent pré­sen­ter le triple aspect sui­vant : 1) être d’ordre per­ma­nent ; 2) répondre aux pré­oc­cu­pa­tions immé­diates des tra­vailleurs ; 3) pré­pa­rer la trans­for­ma­tion sociale. Ces reven­di­ca­tions me paraissent être les sui­vantes : a) la réduc­tion de la jour­née de tra­vail ; b) le salaire unique ; c) le contrôle syn­di­cal de la pro­duc­tion. Elles sont sus­cep­tibles de consti­tuer un pro­gramme constant par le nombre de paliers de réa­li­sa­tion qu’elles com­portent. Elles seront jus­ti­fiées tant que le régime capi­ta­liste exis­te­ra et le der­nier stade qu’elles per­met­tront d’atteindre coïn­ci­de­ra avec la chute du régime actuel. Elles sont donc bien quo­ti­diennes et per­ma­nentes ; elles répondent à la fois aux pré­oc­cu­pa­tions immé­diates et d’avenir du pro­lé­ta­riat en même temps qu’elles per­mettent aux tra­vailleurs de pré­pa­rer leurs tâches révolutionnaires…» 

« Les deux pre­mières se com­plètent l’une l’autre ; elles sont d’ordre défen­sif ; elles peuvent cepen­dant être défen­sives actives, c’est-à-dire per­mettre de devan­cer une attaque adverse, de la bri­ser dans l’œuf. »

La der­nière est à la fois défen­sive, offen­sive et pré­pa­ra­toire aux tâches révolutionnaires. 

« Si la réduc­tion de la durée de la jour­née de tra­vail, le salaire unique et même une cer­taine forme – d’ailleurs très dan­ge­reuse – du contrôle dit “ouvrier”, et, en réa­li­té, de col­la­bo­ra­tion de classe sont quelque jour léga­li­sés par les par­le­ments, les tra­vailleurs doivent être convain­cus, cepen­dant, que ces conquêtes suc­ces­sives ne seront acquises et ne dure­ront que par la pra­tique constante d’une action directe vigoureuse. » 

1. – Réduction de la durée de la journée de travail

« En pré­sence de la crise per­ma­nente de chô­mage…, il est abso­lu­ment indis­pen­sable que le pro­lé­ta­riat mène une lutte vigou­reuse, active, constante et uni­ver­selle pour com­battre le moyen d’action choi­si par le patro­nat, à bon escient, en toute connais­sance de cause. 

« Au chô­mage per­ma­nent plus ou moins total ou par­tiel, le pro­lé­ta­riat doit oppo­ser la reven­di­ca­tion per­ma­nente de la réduc­tion de la jour­née de tra­vail. Une telle lutte doit être entre­prise par prin­cipe, dans des condi­tions telles que le capi­ta­lisme sache que chaque crise de chô­mage déclen­chée par lui aura comme consé­quence une action ouvrière en faveur d’une nou­velle réduc­tion de la durée du travail. »

Pré­ci­sons que les congrès d’Amsterdam et de Liège de l’Association inter­na­tio­nale des tra­vailleurs (A.I.T.), en 1925 et 1928, avaient fixé la durée de la jour­née à six heures et la semaine à trente-trois heures. 

Cette reven­di­ca­tion a un double carac­tère : défen­sif, car elle per­met de limi­ter le chô­mage, d’empêcher la ratio­na­li­sa­tion capi­ta­liste sur le dos des tra­vailleurs ; mais, aus­si, indi­rec­te­ment offen­sive pour les pos­si­bi­li­tés d’éducation, d’instruction qu’elle donne. « Arra­cher une heure, deux heures de liber­té au patron, c’est faire une conquête ines­ti­mable. » C’est pour­quoi « la réduc­tion de la jour­née de tra­vail a tou­jours figu­ré dans les pro­grammes du pro­lé­ta­riat ; qu’elle y soit à sa place : la première. » 

« Mais plus que jamais, afin de ne pas per­mettre aux “négriers” d’accomplir leur triste rôle de four­nis­seurs de “chair à tra­vail” avec l’aide de leurs com­plices, les gou­ver­nants, posons bien cette reven­di­ca­tion sur le plan inter­na­tio­nal et qu’une action s’exerce tou­jours et par­tout pour son appli­ca­tion générale. »

2. – Le salaire unique

« Le salaire unique est le com­plé­ment direct et néces­saire de la réduc­tion de la jour­née de tra­vail. Comme la pré­cé­dente, cette reven­di­ca­tion est défen­sive, d’ordre moral et matériel. »

« Le syn­di­ca­lisme-révo­lu­tion­naire doit s’élever contre les prin­cipes de la loi d’airain qui s’énoncent ain­si : dans un milieu don­né, un ouvrier ayant des charges moyennes reçoit un salaire cor­res­pon­dant à ses charges, ce qui veut dire que son salaire lui per­met de pro­duire et de se reproduire.

« En décla­rant que le coût de la vie ne pou­vait ser­vir de base au cal­cul du salaire, le IIe congrès C.G.T.-S.R. (2, 3 et 4 novembre 1928, à Lyon) a enten­du signi­fier au capi­ta­lisme qu’il s’opposait à cette vieille concep­tion réga­lienne qui vou­lait que les besoins des ouvriers soient mesu­rés et fixés par les patrons. » 

En posant de telles reven­di­ca­tions, en allant bien au-delà de la simple reven­di­ca­tion de salaire, où se can­tonne le syn­di­ca­lisme réfor­miste, nos cama­rades de la C.G.T.-S.R. savaient bien qu’ils dépas­saient les limites per­mises par la bourgeoisie. 

« En adop­tant cette reven­di­ca­tion, en spé­ci­fiant que le salaire unique doit être attri­bué à tout pro­duc­teur, quels que soient son sexe et son âge, et cela uni­ver­sel­le­ment, le deuxième congrès a dépas­sé de loin – et il le sait – le cadre des réa­li­sa­tions immédiates.

« Il a tenu, cepen­dant, à faire sor­tir de l’ornière la ques­tion des salaires, à la poser sur un ter­rain nouveau… 

« Le pro­lé­ta­riat sait par­fai­te­ment que, pour réa­li­ser inté­gra­le­ment tout ce que contient la reven­di­ca­tion du salaire unique et uni­ver­sel, des efforts consi­dé­rables et répé­tés seront nécessaires. 

« Il n’ignore pas que s’il par­vient à ce résul­tat, l’heure de sa libé­ra­tion sera proche ; mais il sait aus­si que c’est pour lui le seul moyen de poser la ques­tion des salaires sous son jour véri­table, sur son vrai terrain. » 

 C’est ce qui fait la dif­fé­rence entre syn­di­ca­lisme réfor­miste et syn­di­ca­lisme-révo­lu­tion­naire. « Grou­pe­ment de classe dans son sens le plus pur », le syn­di­ca­lisme se doit de défendre la condi­tion maté­rielle immé­diate des tra­vailleurs. Mais, grou­pe­ment révo­lu­tion­naire, il lie, au lieu de sépa­rer, les inté­rêts immé­diats aux inté­rêts futurs, « dia­lec­ti­que­ment », dans une pers­pec­tive à long terme.

Les deux reven­di­ca­tions sur le temps de tra­vail et le salaire unique empêchent d’une part la ratio­na­li­sa­tion capi­ta­liste ; d’autre part, bri­sant la concur­rence entre tra­vailleurs face à l’emploi, elles tendent à sup­pri­mer le carac­tère de mar­chan­dise du tra­vail en ces­sant de le sou­mettre à la loi de l’offre et de la demande. Ces deux reven­di­ca­tions sont révo­lu­tion­naires car elles tendent, non à amé­na­ger le capi­ta­lisme, mais à l’attaquer à deux de ses racines prin­ci­pales. De plus, elles contri­buent à mobi­li­ser les tra­vailleurs dans leur com­bat quo­ti­dien en don­nant des pers­pec­tives concrètes et à long terme à leur action. Car si la satis­fac­tion inté­grale de ces reven­di­ca­tions n’est pos­sible que si un pro­ces­sus révo­lu­tion­naire inter­na­tio­nal est déclen­ché, pro­ces­sus qui ne s’en tien­drait pas là, elle per­met de res­ser­rer les rangs grâce aux suc­cès par­tiels qui peuvent être obte­nus sur le. plan local, régio­nal ou industriel. 

« La réa­li­sa­tion du salaire unique, même local, fera plus pour faire tom­ber les bar­rières cor­po­ra­tives entre tous les ouvriers d’une même ville que toutes les réunions, tous les appels à la conscience. » 

Ceux qui n’ont pas appris la lutte des classes dans les livres savent bien que dans un ate­lier, un bureau, lorsque les tra­vailleurs en arrivent à se mon­trer les uns aux autres leurs fiches de paie et constatent les dif­fé­rences de salaires entre eux pour une même caté­go­rie, un même tra­vail, dif­fé­rences qui consacrent la concur­rence que le patron veut impo­ser aux sala­riés, un pas énorme est fait vers l’unification de la lutte. La lutte pour le salaire unique com­mence déjà là, elle se ter­mine par la révo­lu­tion sociale. Entre les deux termes, il y a une conti­nui­té qui ne peut être assu­rée que par le syndicalisme-révolutionnaire. 

« Par son carac­tère per­ma­nent et géné­ral, la reven­di­ca­tion du salaire unique doit figu­rer au pro­gramme du syn­di­ca­lisme-révo­lu­tion­naire international. »

3. – Le contrôle syndical de la production

P. Bes­nard dit que les deux pre­mières reven­di­ca­tions men­tion­nées étaient d’ordre défen­sif, et que la troi­sième est à la fois « défen­sive, offen­sive et pré­pa­ra­toire des tâches révolutionnaires ».

Le contrôle syn­di­cal de la pro­duc­tion découle logi­que­ment de ce qui pré­cède. C’est par lui que « les syn­di­cats se pré­pa­re­ront à leur tâche de direc­tion, d’organisation et de ges­tion de la pro­duc­tion dès le déclen­che­ment de la révolution ».

Il est donc clair dès le départ que le contrôle syn­di­cal de la pro­duc­tion ne consti­tue, dans le cadre du sys­tème capi­ta­liste, qu’un moyen de lutte, qu’il n’est pas la ges­tion du capi­ta­lisme par les tra­vailleurs. Le mot dit bien ce qu’il est : contrôle syn­di­cal et non ges­tion syndicale. 

« Consi­dé­rant, à juste titre, que cette pré­pa­ra­tion ne peut s’effectuer en col­la­bo­rant avec le capi­ta­lisme dans les orga­nismes de direc­tion de ce der­nier, les syn­di­cats doivent trou­ver eux-mêmes les moyens de se pré­pa­rer, néan­moins, à la tâche qui leur incombe et pous­ser cette pré­pa­ra­tion aus­si loin que possible. 

« Ce n’est pas à l’heure de l’action qu’il fau­dra pen­ser à orga­ni­ser toute la vie indus­trielle et agraire d’un pays. C’est pen­dant la période pré-révo­lu­tion­naire qu’il fau­dra pré­pa­rer cette tâche, tra­cer la besogne dans ses lignes générales. » 

Rejet, par consé­quent, de toute col­la­bo­ra­tion, de toute ges­tion pari­taire avec le patro­nat, de tout « syn­di­ca­lisme d’œuvres sociales » où des délé­gués consacrent quatre mois de l’année à pré­pa­rer l’arbre de Noël. Le contrôle syn­di­cal a pour seul but de pré­pa­rer le pro­lé­ta­riat à la prise en main de la pro­duc­tion dès le len­de­main de la révo­lu­tion. Et, puisqu’il est appe­lé à s’exercer « sans com­pro­mis­sion ni liai­son avec le patro­nat, son appli­ca­tion ne dépend donc que de la capa­ci­té des syn­di­cats à le réaliser ».

Le terme de contrôle implique la notion de « connais­sance », de « cri­tique », de « sur­veillance », de « véri­fi­ca­tion ». Il n’implique en rien que le syn­di­cat par­ti­cipe de concert avec le patron à la ges­tion ni que soit tenu compte de ses opi­nions. Ce der­nier point ne peut être appli­qué que par un rap­port de forces. Le contrôle syn­di­cal, dans le sens le plus strict du terme, n’est donc dans l’immédiat qu’un moyen de lutte. L’exemple le plus récent de contrôle syn­di­cal par­tiel est celui de Lip, où les tra­vailleurs étaient au cou­rant des dif­fé­rentes opé­ra­tions finan­cières et comp­tables de l’entreprise, de l’organisation du tra­vail, etc., connais­sance qui leur a per­mis de mener le com­bat comme ils l’ont fait.

Puisqu’il ne consiste pas à gérer la pro­duc­tion aux lieu et place du patron, en quoi consiste-t-il ? «…Il va du simple regard dans l’administration et la fabri­ca­tion des entre­prises patro­nales, jusqu’à la conquête de celles-ci. » Mais, tant que sub­siste le régime de pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion il ne peut s’agir que d’un regard critique. 

« La brèche pra­ti­quée au début dans la for­te­resse patro­nale va en s’élargissant, au fur et à mesure que le contrôle devient plus pré­cis et plus sévère ; que, sous les coups répé­tés, le coin pénètre plus pro­fon­dé­ment ; que les com­mis­sions de véri­fi­ca­tion et de pro­pa­gande du syn­di­cat se montrent plus aptes à leur besogne ; que le syn­di­cat connaît mieux, pour atteindre plus sûre­ment son but, la struc­ture et le fonc­tion­ne­ment des firmes qu’il a mis­sion de contrôler.

« C’est alors que, connais­sant, par les inves­ti­ga­tions de leurs rouages de contrôle, le nombre et la pro­ve­nance des com­mandes ; sachant d’où viennent et à quel prix les matières pre­mières ; pou­vant déter­mi­ner exac­te­ment la valeur des trans­for­ma­tions subies suc­ces­si­ve­ment par la matière pre­mière avant de deve­nir un pro­duit fini ; étant à même de savoir les prix de revient et de vente, de connaître les béné­fices bruts et nets, les syn­di­cats pour­ront lut­ter effi­ca­ce­ment pour l’augmentation du salaire, la limi­ta­tion du tra­vail et la sta­bi­li­sa­tion du coût de la vie. »

Il ne s’agit pas, encore une fois, pour les tra­vailleurs, d’étudier la marche de l’entreprise afin d’avoir des chiffres en main qui « démon­tre­ront » au patron qu’il « peut » aug­men­ter les ouvriers, car, chiffres en main ou pas, un patron n’accorde d’augmentation que lorsqu’il y est contraint. Il s’agit de démon­trer – et de démon­ter face aux tra­vailleurs les méca­nismes de leur propre exploi­ta­tion, autre­ment qu’avec des for­mules déma­go­giques. Il est cer­tain, dit Bes­nard, « que la pra­tique constante du contrôle sti­mu­le­ra, par les ren­sei­gne­ments sans cesse plus pré­cis que les contrô­leurs décou­vri­ront, le zèle des ouvriers et les enga­ge­ra à per­sé­vé­rer. Ils sau­ront enfin ce que le patro­nat fait de leur pro­duc­tion, ce qu’elle lui a rap­por­té, où elle va. » 

Pour ce faire, il est indis­pen­sable que les tech­ni­ciens joignent leurs efforts à ceux des ouvriers. 

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