La Presse Anarchiste

78 : Syndicalisme indépendant ?

Lorsque, début octobre, deux membres de la com­mis­sion exé­cu­tive de la C.G.T. votaient contre la décla­ra­tion pré­sen­tée par le bureau confé­dé­ral sur la rup­ture des négo­cia­tions entre les par­tis de gauche, beau­coup de cama­rades se sont éton­nés. Le fameux mono­li­thisme de la C.G.T. n’aurait-il été que de façade ? 

Caras­sus et Ger­mon, membres du P.S., ayant tous deux voté contre, se sont expli­qués dans la presse ; pour le pre­mier « s’appuyant sur la défi­ni­tion que l’I.N.S.E.E. donne des groupes indus­triels, le bureau confé­dé­ral de la C.G.T. a don­né son inter­pré­ta­tion de la pro­po­si­tion de natio­na­li­sa­tion des neuf groupes conte­nue dans le Pro­gramme com­mun. Pour lui, une seule signi­fi­ca­tion exacte : il faut natio­na­li­ser la socié­té mère et les filiales (plus de 50 %). L’arbitrage ren­du est sans ambi­guï­té : « la seule signi­fi­ca­tion exacte des natio­na­li­sa­tion est celle rete­nue par le Par­ti com­mu­niste » ; pour Ger­mon, la crise actuelle montre que des nuances appa­raissent aujourd’hui dans la Confé­dé­ra­tion, il est néces­saire que non seule­ment elles se reflètent dans le recru­te­ment des per­ma­nents mais aus­si dans la presse de la C.G.T. À quand des tri­bunes libres dans la « V.O. » ? On en par­le­ra à une pro­chaine C.E.

Les troubles allaient conti­nuer : d’autres mili­tants du P.S., à Nantes notam­ment, en vinrent à lais­ser entendre que la C.G.T. pre­nait par­ti pour le P.C. dans la que­relle. Il y eut même des bavures. Alors que la C.E. confé­dé­rale, réunie de nou­veau, réus­sis­sait à trou­ver une una­ni­mi­té fra­gile sur le mani­feste « Pour que vive le Pro­gramme com­mun », dans laquelle la ques­tion des filiales était éva­cuée ; à Paris, les res­pon­sables déci­dèrent de « s’occuper » de Carassus. 

La réso­lu­tion pré­sen­tée au Comi­té géné­ral de l’U.D. était, elle, par­fai­te­ment conforme à la ver­sion numé­ro un : il faut natio­na­li­ser les filiales ; et voyons un peu qui n’est pas d’accord. À part une abs­ten­tion – celle du Syn­di­cat des cor­rec­teurs, l’unanimité se fit. En effet, au Comi­té géné­ral des syn­di­cats C.G.T. de Paris, seuls les syn­di­cats ont le droit de vote. La com­mis­sion exé­cu­tive n’a que voix consul­ta­tive et ne vote pas. On assis­ta donc à une savante manœuvre de congrès pour faire en sorte que tous les pré­sents puissent s’exprimer. Et Caras­sus remit cela ! 

On pour­rait sou­rire. Qu’est-ce que cela a à voir avec les inté­rêts des tra­vailleurs ? N’oublions pas que la C.G.T. influence une grande par­tie des sala­riés et pour la pre­mière fois depuis des années l’unanimité de l’appareil diri­geant se fis­sure, jetant le mili­tant d’entreprise dans le désar­roi le plus com­plet. Au Cré­dit lyon­nais pari­sien, l’absence de pers­pec­tive décou­rage les adhé­rents, qui oscil­lent entre le replie­ment sur la reven­di­ca­tion quo­ti­dienne et l’envoi de délé­ga­tions aux par­tis poli­tiques. Par­mi les conduc­teurs du métro, les mili­tants ont peur de s’adresser aux tra­vailleurs, parce que dans les dis­cus­sions qui s’engagent chaque res­pon­sable donne la posi­tion de son par­ti et non celle de la Confé­dé­ra­tion. Cela est vrai aus­si dans une grande par­tie des U.L., à l’EDF-GDF et dans les syn­di­cats du Crédit. 

Beau­coup de tra­vailleurs et de mili­tants estiment en outre que « c’est fou­tu ! » et baissent le dos. À Paris, alors que la Confé­dé­ra­tion pousse très fort pour lan­cer des débats sur le mani­feste « Pour que vive le Pro­gramme com­mun », accom­pa­gné de pro­cès-ver­baux des dis­cus­sions, seule­ment dix docu­ments sont remontes à l’U.D.

Et le 1er décembre ?

Dans cette situa­tion confuse, le mot d’ordre de grève de vingt-quatre heures de grève du 1er décembre appa­raît comme une bouée, et cha­cun se lance dans la pré­pa­ra­tion de l’action. Atten­tion, dit-on du côté des direc­tions, à la fuite en avant ! 

Dans cer­tains sec­teurs de la SNCF, il sem­ble­rait que « les choses ne sont pas claires » ; des tra­vailleurs, des mili­tants pensent « encore » que pour être effi­caces les grèves doivent blo­quer l’économie. Il faut que la direc­tion apporte ses expli­ca­tions : les grèves natio­nales sont l’expression d’un mécon­ten­te­ment. Évi­dem­ment, après cela, les tra­vailleurs sont las des grèves de vingt-quatre heures… 

Ris­que­rait-il d’y avoir des « débor­de­ments » ? Les ouvriers fati­gués ne don­ne­ront-ils pas le beau spec­tacle du 24 mai, dans l’unité, pour le pro­gramme com­mun et l’union de la gauche ? 

On peut mesu­rer à ces quelques indi­ca­tions com­bien on a mar­ché chez les tra­vailleurs, com­bien l’aspiration au chan­ge­ment a pu être cap­tée par les par­tis de la gauche par­le­men­taire et com­bien la déma­go­gie élec­to­ra­liste peut être néfaste. 

Fai­sons écla­ter les contra­dic­tions ; mon­trons aujourd’hui que les cra­que­ments de la C.G.T. ne sont qu’escarmouches de par­tis sur des pro­blèmes d’hégémonie dans les appa­reils syn­di­caux ; agran­dis­sons la fis­sure qui appa­raît entre le P.C. et le C.E.R.E.S. à l’intérieur des syn­di­cats ; par­ti­ci­pons au débat et plu­tôt que de par­ler des filiales dis­cu­tons des tra­vailleurs, de leurs orga­ni­sa­tions, de leurs reven­di­ca­tions et du socialisme ! 

Mon­trons le scan­dale qui consiste pen­dant cinq ans à matra­quer les tra­vailleurs pour les lan­cer à l’assaut des urnes de la Ve Répu­blique, pour tout cas­ser ensuite, avec pour consé­quence le décou­ra­ge­ment et la lassitude. 

Crapules ou incapables ?

Et ce n’est pas fini ; un res­pon­sable de l’U.D. de Paris CGT ne disait-il pas que « si l’Union de la Gauche n’est qu’un accord de désis­te­ment, la C.G.T. ne pour­ra pas appor­ter son sou­tien à un niveau aus­si grand qu’elle l’a fait pour le pro­gramme com­mun ». En clair, la frac­tion du P.C.F. est prête à tout blo­quer, y com­pris jusqu’à lais­ser la droite gagner les élections. 

Les voi­là les com­pli­ci­tés objec­tives ! L’appareil du P.C.F. est, comme il y a cin­quante ans en U.R.S.S., qua­rante en Espagne, prêt à tout pour conser­ver son hégé­mo­nie sur les tra­vailleurs. Nous avons là, avec l’ensemble des syn­di­ca­listes, l’occasion de le mon­trer aux tra­vailleurs, afin qu’ils recon­quièrent la direc­tion de leurs syndicats.

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