La Presse Anarchiste

Conférence nationale

[(Les docu­ments issus de la confé­rence natio­nale des tra­vailleurs liber­taires seront publiés ulté­rieu­re­ment, ain­si que l’analyse et les conclu­sions qu’en tirent les mili­tants de l’Alliance. Aujourd’hui, nous publions une tri­bune libre d’un cama­rade de Paris, sous sa seule responsabilité.)]

SIMPLES IMPRESSIONS

Eh bien ! nous nous sommes retrou­vés, une cen­taine envi­ron, d’un peu tous les coins de France, et nous avons dis­cu­té. Ce fut ora­geux, dif­fi­cile. Cha­cun venait avec son expé­rience ; et il est dur d’écouter l’expérience des autres, sur­tout si elle est contradictoire. 

Des anciens, de la CGTSR, de la CNTF de 1950. 

Des moyens, de 68, à la CFDT en majo­ri­té, par­fois après un pas­sage à F.O., quelques-uns à la CGT. 

Des jeunes enfin, d’après 1972. Des délé­ga­tions de la CNT fran­çaise, de la F.A.; des obser­va­teurs, dont un cama­rade du syn­di­cat des métaux de Bar­ce­lone et les cama­rades sué­dois de la S.A.C.

Des expé­riences diverses se sont heur­tées, diront les opti­mistes. Quel point com­mun pra­tique peut-on trou­ver entre des mili­tants de l’Alliance de Bor­deaux, qui ont assu­ré le fonc­tion­ne­ment mili­tant de l’U.D. de Gironde CFDT, mené une grève très dure, accom­pa­gnée de répres­sion, à la S.E.P., puis ont subi le choc fron­tal des direc­tions confé­dé­rales et de la FGM, avec les cama­rades des PTT de Paris de l’UTCL, pour qui la néces­si­té abso­lue du tra­vail syn­di­cal est née de la grève des postes de 1974, et où tout est dif­fé­rent, depuis la nature de l’entreprise jusqu’au recru­te­ment de ceux qui y tra­vaillent. Les uns et les autres estiment que le tra­vail effec­tué est posi­tif, posi­tif pour le déve­lop­pe­ment des concep­tions liber­taires par­mi les tra­vailleurs. Autre­ment dit, conti­nuent les opti­mistes, les diver­gences tiennent au vécu de cha­cun ; il s’agit donc d’organiser les confron­ta­tions, de com­pa­rer les expé­riences sur le ter­rain. Et la ques­tion de l’intervention, comme on dit, ou plu­tôt de sa forme serait une ques­tion d’opportunité, à rai­son­ner cas par cas. Pour cer­tains, il est vital, indis­pen­sable d’apparaître comme liber­taires, avec des prises de posi­tion, concré­ti­sées par des bul­le­tins ou des tracts par entre­prise ou indus­trie. Pour les autres, le risque d’extériorité, de mani­pu­la­tion est trop grand et les mili­tants liber­taires doivent se mani­fes­ter dans l’organisation syn­di­cale comme des tra­vailleurs par­mi d’autres.

Au contraire, pour les pes­si­mistes, l’arbre du vécu ne doit pas cacher la forêt des oppo­si­tions théo­riques : « Le mou­ve­ment liber­taire fran­çais, disent-ils, est cou­pé en deux tron­çons, l’un com­po­sé de mili­tants aux concep­tions qu’on peut dési­gner par le terme de syn­di­ca­liste ou d’anarchosyndicalistes – refus de consti­tuer une orga­ni­sa­tion se don­nant le rôle diri­geant et axant son acti­vi­té sur l’organisation ouvrière –, et un second cou­rant qui inverse le poids de ces deux termes, pri­vi­lé­giant l’organisation spé­ci­fique en regard de l’organisation des travailleurs. » 

À chaque géné­ra­tion, les deux sen­si­bi­li­tés se retrouvent. De 1920 à 1940, ce furent Archi­nov et Makh­no contre Voline, la direc­tion de l’Union anar­chiste et Fré­mont contre la C.G.T.S.R. et Bes­nard ; après 1945, ce sont Fon­te­nis et « Pen­sée et Bataille » contre la C.N.T. fran­çaise et les anar­cho­syn­di­ca­listes, grou­pés ou non dans la F .A.

Les conflits qui naissent de l’opposition de ces deux cou­rants sté­ri­lisent le mou­ve­ment. Par­fois menacent de le faire dis­pa­raître. Rap­pe­lez-vous « Le Liber­taire » d’après 1945 qui a tiré jusqu’à 80.000 exem­plaires chaque semaine ; com­pa­rez avec la situa­tion du mou­ve­ment en 1955. 

L’Alliance est une créa­tion nou­velle, qui tient compte de cette réa­li­té et qui ambi­tionne de réunir les tra­vailleurs liber­taires se recon­nais­sant dans le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire et l’anarchosyndicalisme. Elle ne se pré­sente pas en concur­rente des autres orga­ni­sa­tions. Elle tente d’impulser une coor­di­na­tion dans les syn­di­cats, par­mi les travailleurs. 

Une hâte trop grande, un désir mal contrô­lé pour l’unité du mou­ve­ment peuvent être pré­ju­di­ciables aux deux cou­rants ensemble. 

Il faut :

  1. conti­nuer l’Alliance et déve­lop­per les concep­tions de l’anarchosyndicalisme, pra­ti­que­ment et théoriquement ; 
  2. tra­vailler le plus sou­vent pos­sible avec tous les cama­rades liber­taires, dans la clar­té, et ne rien faire d’irréversible ;
  3. par­ti­ci­per acti­ve­ment à la recons­truc­tion d’une sec­tion fran­çaise de l’A.I.T., en col­la­bo­rant avec ceux qui tentent de déve­lop­per la C.N.T. fran­çaise et avec les­quels nous sommes en accord théorique. 

Cette ana­lyse est connue, répondent les pre­miers. Mais faut-il se blo­quer sur des diver­gences qui aujourd’hui ne sont que des dis­cours et qui n’ont pas d’applications concrètes ? Par exemple, pen­dant la grève du Pari­sien Libé­ré, la plu­part des tra­vailleurs liber­taires du Livre – de la F.A., de l’Alliance, les anciens d’«Anarchisme et non-vio­lence » et indi­vi­duels – ont fait bloc pour entra­ver sur le plan syn­di­cal l’expansionnisme du P.C.F., sans faire le jeu du patro­nat, avec d’autres cou­rants de gauche et d’extrême gauche d’ailleurs. Il leur a man­qué un orga­nisme pour s’opposer aux sta­li­niens sur le plan géné­ral, afin de mon­trer aux tra­vailleurs du Livre que les liber­taires sou­te­naient leur lutte. Cette absence a lais­sé le champ libre aux mili­tants du P.C.F., qui ont occu­pé com­plè­te­ment ce terrain. 

Actuel­le­ment, il nous faut construire cet orga­nisme. Pour ce faire, ren­con­trons-nous pra­ti­que­ment et com­men­çons à inter­ve­nir sur le ter­rain, avec ceux qui au moins sont d’accord pour le tra­vail dans les syn­di­cats. On ver­ra en marchant. 

Accep­tons, en conclu­sion, une cer­taine plu­ra­li­té de concep­tions, et essayons d’agir en com­mun sur les lieux de tra­vail, là où se trouve prin­ci­pa­le­ment l’opposition des classes. 

Et la C.N.T.F.? Au cours de la confé­rence, les inter­ven­tions de sa délé­ga­tion ont sur­pris ; une nou­velle géné­ra­tion de mili­tants est pré­sente, qui ana­lysent plu­tôt que d’excommunier. La pro­po­si­tion du groupe de Rouen de consti­tuer des syn­di­cats C.N.T. dans les sec­teurs peu syn­di­ca­li­sés est à étu­dier sérieu­se­ment. Entre les syn­di­ca­listes liber­taires, il est néces­saire de nouer ce dia­logue qui s’est tou­jours rom­pu, afin de liqui­der le conten­tieux qui existe et dont la pierre de touche est l’analyse de la stag­na­tion puis de la régres­sion de la C.N.T.F. jusqu’à ces der­nières années 

Pour nous, une seule conclu­sion s’impose : continuer.

Mais conti­nuer avec une optique de mou­ve­ment et non pas d’organisation. Etre par­mi ceux qui dans les groupes pensent à l’unité d’action du mou­ve­ment des tra­vailleurs liber­taires, pour ensuite aller plus loin. Appuyer des confé­rences régio­nales des tra­vailleurs liber­taires, impul­ser des groupes uni­taires par sec­teurs indus­triels, coor­don­ner le tra­vail dans les confé­dé­ra­tions, sou­te­nir les syn­di­cats C.N.T. là où ils existent. 

Ne soyons pas trop gran­di­lo­quents. Mais n’oublions pas que nous avons raté le coche un cer­tain nombre de fois ; fai­sons en sorte de ne pas le rater aujourd’hui.

J.T.

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