Un malaise profond règne chez les travailleurs de l’Enseignement. L’ordonnance du 6 janvier, qui multipliait les traitements de base de 1943 par le coefficient 3, supprimait par ailleurs toutes les indemnités (sauf l’indemnité de résidence), qui constituaient une part très importante de la rémunération des éducateurs. L’«augmentation » s’est donc traduite pour eux par un déclassement, et le mécontentement est vif.
Mais pourquoi, dira-t-on, les professeurs, les instituteurs ne luttent-ils pas d’une façon effective, directe, pour l’amélioration de leur sort ? C’est que, d’abord, la Fédération de l’Enseignement, étouffée par la Fédération des fonctionnaires, n’existe pas réellement et que seuls vivent et luttent les syndicats nationaux de catégories.
Ainsi, les instituteurs ont obtenu une sorte d’aumône, une indemnité provisoire. Sans doute a‑t-on voulu ainsi calmer leur effervescence et les faire patienter pour un reclassement qui reste bien problématique. Mais le Secondaire, le Technique n’ont rien obtenu de semblable, et voici non seulement la dispersion, mais la division.
La véritable lutte aurait consisté à exiger, par la voie de la Fédération, un reclassement immédiat de toute la fonction enseignante. Cela est évident pour des syndicalistes révolutionnaires, mais répugne aux réformistes. Ils ne veulent pas voir que l’Université tout entière aurait un autre poids que nos syndicats de catégories, divisés et sans force devant un refus de l’État.
Mais la stratégie déplorable des réformistes n’est pas seule cause de nos échecs. Prenons un exemple bien actuel : les instituteurs de la Seine présentent des revendications particulières : ils demandent la revalorisation des indemnités versées aux communes et le département, dont le total atteint 477 F par mois et n’a pas varié depuis 1927 !
Des affiches, des articles de presse ont informé la population de cet état de choses. Une manifestation a eu lieu le 31 mai, groupant 4.000 maîtres, et le résultat, après des mois d’attente et de démarches, est un échec : Pleven en est encore pour une aumône, il offre moins de 1.000 F par mois.
Et pendant que dans les ministères se nouent des intrigues, disparaissent des rapports importants, que s’amplifie le complot clérical contre une école capable de devenir une école d’émancipation, quelle position prend le syndicat ?
La base gronde, s’échauffe, demande à passer à l’action. Les dirigeants réformistes font la sourde oreille. Mais dans ce tableau la plus belle figurante est l’attitude des dirigeants staliniens. Déjà, le bien connu Hénaff avait réussi à faire retarder la manifestation d’un mois. Voici maintenant qu’on nous parle de « grève inconsidérée » qui pourrait avoir de regrettables conséquences dans la « vie politique ». Puis, quelques couplets sur le C.N.R., les États Généraux de la renaissance française, etc. Passez muscade… Le dernier conseil syndical, presque unanime, estime qu’il faudra adopter des positions de repli successives. Que pensera le ministre en voyant abandonnées si vite des revendications que l’on proclamait justes et modérées ? Se montrer vaincu avant de livrer bataille conduira peut-être, en fin de compte, à déclencher pour un avantage minime une grève dont on ne voulait pas, et cela à un moment où elle n’aura plus guère d’efficacité, les vacances approchant.
Quelques élus syndicaux, quatre ou cinq, sont restés fidèles à la volonté indéniable des syndiqués de lutter énergiquement. Ils ont voté le maintien de la revendication première et se sont déclarés prêts à la grève.
Les autres exultent : les réformistes espèrent « arracher » au ministre… à peu près ce que celui-ci proposait ! Quelle victoire ! Les staliniens auront paré à tout mouvement d’ampleur et de force qui aurait pris un caractère révolutionnaire. Ils disent, ils osent dire que toute grève est souhaitée par le gouvernement qui en prendrait prétexte pour instaurer une politique profasciste.
Il ne reste donc plus qu’à se laisser étrangler peu à peu : point de lutte surtout !
Après cela, la « Tribune des Fonctionnaires » ou l’«Humanité » pourront se lamenter sur la désertion de la profession enseignante. En vérité, il est grand temps de dénoncer ces hypocrisies, de démasquer les freineurs qui trahissent leur propre classe.