La Presse Anarchiste

Le cinéma et le peuple

« Espoir »

André Mal­raux nous a déçu et mal­heu­reu­se­ment c’est plus le scé­na­riste que le met­teur en scène qui nous déçoit. Et pour­tant d’un film sur la révo­lu­tion espa­gnole qui atten­dait depuis long­temps qu’un pro­duc­teur veuille bien le faire pro­je­ter, nous étions en droit d’at­tendre quelque chose de grand.

Nous pen­sions : au moins ce film pros­crit du monde ciné­ma­to­gra­phique conven­tion­nel va être une révé­la­tion de ce que fut la révo­lu­tion espa­gnole. Et com­bien auraient été salu­taires et vivi­fiantes des images pleines de lutte révo­lu­tion­naire du peuple espa­gnol, défi­lant devant les yeux des tra­vailleurs fran­çais, leur démon­trant que la guerre d’Es­pagne. appe­lée ain­si dans les milieux offi­ciels, avait été autre chose qu’une seule résis­tance armée au coup de force de Franco.

Et, à la place de cela, que voyons-nous ? Un film débu­tant très mal, puisque pré­sen­té par le très catho­lique Mau­rice Schu­mann, fai­sant un paral­lèle entre la résis­tance en France et la lutte du peuple espa­gnol contre Fran­co (et ce sera la seule exac­ti­tude de son expo­sé), le fait que la misère et la dou­leur de cette tra­gé­die espa­gnole allaient être par rebon­dis­se­ment quelques années plus tard notre propre tragédie.

Le film se situe dans la région de Teruel. Nous assis­tons à la lutte d’an­ti­fas­cistes espa­gnols res­tés dans une petite ville occu­pée par les fran­quistes, ras­sem­blant péni­ble­ment quelques armes pour pou­voir pas­ser de l’autre côté de la bar­ri­cade et trans­mettre des ren­sei­gne­ments sur les posi­tions de l’en­ne­mi. Un pay­san, aban­don­nant sa mai­son, va pas­ser les lignes après maints inci­dents dra­ma­tiques et se rendre auprès du com­man­dant d’un camp d’a­via­tion orga­ni­sé par les bri­gades inter­na­tio­nales. En pas­sant, une scène sur le ter­rain nous montre les hommes d’é­qui­page des avions se recueillant auprès de la dépouille d’un cama­rade venant d’être tué à la suite d’un raid, et l’ar­ri­vée du com­man­dant les fai­sant se figer au garde-à-vous. Ce détail mili­taire n’est pas mis outre mesure en relief, mais il détonne déjà de figu­rer dans un pareil film. Après des dif­fi­cul­tés maté­rielles vain­cues grâce au dévoue­ment de cha­cun, c’est l’en­vol pour le bom­bar­de­ment d’un ter­rain d’a­via­tion fran­quiste que va indi­quer le pay­san venu appor­ter les pré­cieux ren­sei­gne­ments. Le bom­bar­de­ment effec­tué, c’est la lutte contre la chasse enne­mie, et un des bom­bar­diers fau­chés va s’é­cra­ser au retour contre le som­met d’une montagne.

Et le film s’a­chève avec le long défi­lé des­cen­dant de la mon­tagne et escor­tant le cer­cueil d’un tué et les civières des bles­sés, accom­pa­gnés par les habi­tants accou­rus de toute part.

Il est évident que le film est sac­ca­dé sans grande cohé­sion. Nous ne repro­che­rons pas à Mal­raux ce manque de tech­nique, — à cha­cun son métier, — mais sur­tout d’a­voir com­mis une grave escro­que­rie morale en pré­sen­tant la lutte espa­gnole sous cet angle de la seule résis­tance armée. L’es­prit d’ab­né­ga­tion et la froide réso­lu­tion du peuple espa­gnol sont exal­tés dans quelques images, mais qu’est deve­nu le sens révo­lu­tion­naire et créa­teur de ces pay­sans espa­gnols col­lec­ti­vi­sant les terres, de ces ouvriers fai­sant fonc­tion­ner les usines sous l’é­gide des syn­di­cats, de tous ces anti­fas­cistes espa­gnols liber­taires dans leur majo­ri­té, trans­for­mant les églises en musées, créant des écoles en pleine guerre ? En un mot, la grande leçon d’un peuple qui, à tra­vers une lutte inégale et aban­don­né par tous, mon­trait aux tra­vailleurs du monde entier le sens de leurs sacri­fiées et de leurs aspi­ra­tions. Si cette révo­lu­tion avait été secou­rue, nous aurions peut-être main­te­nant l’exemple d’un peuple libre, s’é­pa­nouis­sant sans contrainte, ayant sup­pri­mé les para­sites et démon­trant aux autres peuples les pos­si­bi­li­tés créa­trices des tra­vailleurs orga­ni­sés libre­ment sous l’ins­pi­ra­tion du fédé­ra­lisme libertaire.

André Mal­raux, vous saviez tout cela, vous avez man­qué de cou­rage pour en faire la démons­tra­tion ; votre film nous a fait regret­ter votre livre.

Il est vrai que le Mal­raux d’au­jourd’­hui com­mande une uni­té de la nou­velle armée fran­çaise, et noblesse oblige, pas vrai ?

P. S. — À la décharge de Mal­raux, remer­cions-le cepen­dant d’a­voir mis en bonne place la figure de l’an­ti­fas­ciste alle­mand se sacri­fiant pour la cause espagnole.

Les livres

Nous devons à M. Gal­tier-Bois­siere un ouvrage fort vivant et par­fois spi­ri­tuel inti­tu­lé « Mon jour­nal pen­dant l’oc­cu­pa­tion ». Un cer­tain Jean Gal­tier-Bois­sière édi­tait naguère une excel­lente revue « Le Cra­pouillot » Nous pen­sons qu’il s’a­git d’un homo­nyme ou peut-être d’un loin­tain parent. Jean Gal­tier-Bois­sière (l’autre) fut le pro­mo­teur de plu­sieurs belles cam­pagnes contre le bour­rage de crâne pen­dant la guerre (l’autre). Nous nous délec­tons rétros­pec­ti­ve­ment des fines, intel­li­gentes et cou­ra­geuses études sur « la Cen­sure », « Sep­tembre 38 », « les Anglais ». Dom­mage que M. Gal­tier-Bois­sière (celui-ci) n’ait pas lu « le Cra­pouillot ». Nul doute que s’il s’y résoud un jour, nous aurons une suite au « Jour­nal pen­dant l’oc­cu­pa­tion » digne de ce ver­tueux com­men­ce­ment. Nous nous en réga­lons par avance.

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