La Presse Anarchiste

Racisme !

Il est bien enten­du que les États-Unis d’A­mé­rique ont décla­ré la guerre aux puis­sances de l’Axe pour défendre la démo­cra­tie et la liber­té du monde entier, comme l’An­gle­terre et la France l’a­vaient fait pour défendre les fron­tières polo­naises dès sep­tembre 1939. Du moins sont-ce le pré­texte et la rai­son évo­qués ! Depuis, les Fran­çais tant soit peu intel­li­gents ont été éclai­rés par les faits et savent ce que l’on doit entendre par démo­cra­tie et liber­té dans le monde capitaliste.

L’un des prin­cipes les plus chers aux démo­crates est la lutte contre le racisme. Le rédac­teur en chef par inté­rim du « Droit de vivre » décla­rait à Tou­louse dès sep­tembre 1944 que la Ligue inter­na­tio­nale contre l’an­ti­sé­mi­tisme éten­dait sa pro­tec­tion et don­nait son appui à tous les peuples oppri­més. Quel magni­fique programme !

Cer­tains jour­naux fran­çais nous avaient par­lé, avant guerre, du racisme aux U.S.A., des sévices contre les Noirs, des ciné­mas pour Noirs, des quar­tiers réser­vés aux Noirs, avec inter­dic­tion pour eux de se mon­trer dans les ciné­mas et les quar­tiers fré­quen­tés par les Blancs. Nous n’y croyions pas beau­coup, tant ces faits nous sem­blaient para­doxaux et mons­trueux. Pour­tant c’é­tait vrai. Je viens de le véri­fier au cen­tral pos­tal des troupes alliées, bou­le­vard Lamou­roux, à Vitry-sur-Seine, diri­gé par des offi­ciers amé­ri­cains. Deux Noirs, un Congo­lais et un Séné­ga­lais, chô­meurs envoyés par le bureau de pla­ce­ment de la rue de la Jus­sienne, ont été mis à la porte par les auto­ri­tés mili­taires ci-devant nom­mées parce qu’ils étaient noirs, parce qu’il est indé­cent, paraît-il, de faire tra­vailler des hommes noirs avec des hommes blancs. Quelle belle démo­cra­tie que celle des États-Unis ! Quelle belle défense de la liber­té ! Voir cela en France ! Et com­ment croire désor­mais les textes dans le genre de celui-ci :

« Les ins­ti­tu­tions locales et le droit alle­mand res­tent en vigueur dans les ter­ri­toires libé­rés, mais la vie publique est « déna­zi­fiée ». Tous les textes raciaux, notam­ment, sont abro­gés. » (Dis­cours de John Fos­ter, chef du dépar­te­ment juri­dique de la divi­sion de l’É­tat-Major allié.) Humour ? Humour sinistre. Que pen­se­raient aujourd’­hui les Amé­ri­cains des États du Nord si, lors de la guerre de Séces­sion, les États du Sud — où les Noirs consti­tuent la presque tota­li­té de la popu­la­tion — avaient vain­cu et avaient appli­qué les lois raciales en sens inverse ? Et ne trou­vez-vous pas que des hommes que l’on envoie se faire tuer ont le droit de faire entendre leur voix une fois la guerre finie, ont le droit de tra­vailler, ont le droit d’être libres ?

Nom­breux ont été les témoins, aux États-Unis, des bri­mades appli­quées aux « colou­red men ». Ils ont bai­gné dans l’at­mo­sphère Ku Kluks Klan, de sinistre mémoire, dont les Nazis fai­saient des gorges chaudes lors­qu’ils par­laient de la « démo­cra­tie amé­ri­caine ». Nous leur deman­dons aujourd’­hui d’a­voir le cou­rage de réagir et de prendre ouver­te­ment avec nous le par­ti des mal­heu­reux dont le seul crime est de pos­sé­der un épi­derme trop pigmenté.

La Presse Anarchiste