Les bâtisseurs de gouvernements vont réviser ou rénover la Constitution si démocratique de 1875. Autant dire que ces plaisantins vont édifier quelque chose de neuf sur des fondements vermoulus. On nous promet une nouvelle cage dont les barreaux sont les mêmes, et le prisonnier de Sing-Sing, malgré tout le confort moderne, est tout de même privé de liberté.
C’est contre les lois régissant la presse et par conséquent la libre expansion de la pensée par l’écrit qu’aujourd’hui nous jetons le cri d’alarme. Les lois sur la presse, connues sous le nom de « lois scélérates », contre lesquelles tous les partis de révolution ont lutté tant qu’ils ont été de l’autre côté de la barricade, mais qu’ils ont maintenues et appliquées dès qu’à leur tour ils ont eu le ventre à table et le dos au feu.
Socialistes, communistes ont connu chacun dans leur période héroïque une répression inouïe contre leur presse et contre leurs militants, tous ont mené une action violente contre cette législation d’étouffement. Puis, le pouvoir pourrissant leur étant dévolu, ils ont oublié, n’ayant de souvenir que pour s’en servir, le cas échéant, contre ceux qui ne se prosternaient pas devant leur dogme. Hier Blum, aujourd’hui Tillon et Billoux, lequel de ces ex-représentants de la pensée révolutionnaire se souvient seulement que ces lois existent ? Il est vrai que la pensée révolutionnaire n’a pas suivi le même chemin qu’eux !
La presse est régie par les lois des 29 juillet 1881, 16 mars 1893 et 28 juillet 1894, et une bonne douzaine d’autres, ce qui n’éclaircit pas la question. La loi de 1881 fixe surtout les modalités du droit de création, d’édition, de rédaction et d’administration des journaux. La responsabilité des gérants, les délits contre la chose publique y sont longuement définis, le droit de réponse et de rectification ainsi que la procédure de répression y sont exposés dans ce style spécial aux textes législatifs.
Conclusions : afin de ne pas tomber sous le coup de la loi, disciplinez votre pensée avant de la livrer à la discussion publique. La plus rigide des lois scélérates est celle du 28 juillet 1894 visant les menées anarchistes. Les peines visées vont de l’emprisonnement à la réclusion et peuvent, en certains cas, être assimilées aux crimes d’association de malfaiteurs et de détention illégitime d’explosifs. Les tribunaux ont le droit d’interdire la reproduction des débats lorsque ceux-ci pourraient présenter un danger pour la sécurité publique ; les circonstances atténuantes prévues par l’article 463 du Code pénal sont applicables.
On le voit, la répression est brutale. Quant à la bourgeoisie, qui a enfanté ce monstre, elle a fait pour le mieux afin qu’il soit viable, et à une époque où la Résistance a usé de la publication clandestine, poursuivant l’acte individuel sous toutes ses formes, glorifiant la confection d’explosifs et leur emploi, invoquant le sabotage comme un droit sacré, mais réservé à une période donnée et historique, on semble ignorer que dans le conflit social la lutte des classés pourrait, avec les mêmes moyens, devenir un droit, issu d’un exemple récent, et que les lois scélérates n’ont pas frappée, ni empêché.
Maintenant tout est rentré dans l’ordre, dans l’ordre établi, entendons-nous. La presse légalisée, mise de nouveau en tutelle, n’est tolérée qu’en raison inverse de son esprit révolutionnaire.