La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

De la Grandeur

Qu’on le veuille ou non, le pas­sé est un sûr garant de l’a­ve­nir ; c’est pour­quoi nous mépri­sons hau­te­ment les gueules d’empeignes qui vont gei­gnant un peu par­tout que la France a per­du le sens de la grandeur.

Car de tout temps notre pays a eu l’a­mour du grand, qu’il ne faut pas confondre avec le « kolos­sal » « made in Ger­ma­ny », qui natu­rel­le­ment ne peut avoir le chic des réa­li­sa­tions de chez
nous.

La France n’a-t-elle pas eu en son temps le plus grand monu­ment du monde, la tour Eif­fel ; le plus grand paque­bot du monde, le « Nor­man­die », et le 14 juillet 1939, Dala­dier « régnante », n’a-t-on pas plan­té le plus grand dra­peau du monde place de l’Hô­tel-de-Ville, emblème sur lequel non­obs­tant la modes­tie fran­çaise bien connue, on eût pu bro­der, le 14 juillet 1940, la plus grande décu­lot­tée du monde ?

La France per­dant le goût de la grandeur ?

Non, mais regar­dez-le un peu, « notre » de Gaulle. Il peut, s’il lui plaît, s’af­fir­mer le plus grand des petits et il n’est certes pas le plus petit des grands.

Et à l’ex­té­rieur voyez rayon­ne­ment : la France ne sert-elle pas d’exemple ? En juin 44, elle com­mence à se libé­rer de l’oc­cu­pant, avec l’aide exté­rieure. Bon­jour Tomn­lie, bonjour !

En juin 45, la Syrie en fait autant, mais c’est le tour des Fran­çais d’a­voir bien le bonjour.

Ces Anglais tout de même ! C’est d’ailleurs un simple mal­en­ten­du. Avec la poli­tesse qui les carac­té­rise, nos alliés héré­di­taires ont vou­lu réédi­ter Fon­te­noy. « Reti­rez-vous les pre­miers, mes­sieurs les Fran­çais. » Et ont-ils ajou­té, tou­jours poli­ment : « En vitesse ! » Car nous sommes au siècle du moteur à explosion.

Allez donc vous fâcher avec des gens polis. Autre­ment, ils auraient vu avec quel pétrole les Fran­çais se chauffent.

Ce Liban, tout de même ! « Quelle Syrie ! » comme dirait le géné­ral Dentz. 

Encore une occa­sion de gran­deur per­due. Mou­rir pour le pipe-line est le sort le plus digne d’envie !

Seule­ment, diront les esprits pru­dents, la France est iso­lée. Mais est-on jamais seul quand on peut comp­ter sur tous ses enfants ? L’ar­mée est une grande famille, nom de Dieu ! Et ça n’est ni la CGT ni les par­tis « ouvriers » qui diront le contraire. Alors en avant la pré­pa­ra­tion mili­taire. France seule ? Non ! France et com­pa­gnies et bataillons. Pour défi­ler vers la pro­chaine… une, deux ! une, deux ! Pour Alep, pour Damas, pour le Val d’Aoste ou pour n’im­porte quoi. Car les occa­sions sont comme les femmes : une de per­due, dix de retrou­vées, et il s’en pré­sen­te­ra bien une d’en­trer dans un désastre encore plus grand.

L’aviation américaine va « photographier » l’Europe

Les forces aériennes amé­ri­caines qui sta­tion­ne­ront dans les ter­ri­toires occu­pés de l’Eu­rope pen­dant une période indé­ter­mi­née vont éta­blir dans les zones qui leur sont attri­buées, à l’aide de pho­to­gra­phies aériennes détaillées, une carte stra­té­gique uti­li­sable en cas d’in­va­sion, dans l’é­ven­tua­li­té d’une troi­sième guerre mondiale.

Le tra­vail de pré­pa­ra­tion néces­saire aurait déjà été effec­tué (« Le Monde », 16 juin 1945.)

Et avec ça ! Faut-il vous faire un dessin ?

Oh ! j’y crois ! Oh ! là là, j’y crois, moi ! Oh ! la la ! Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! Pom ! (Sur l’air de la « Marche lorraine ».)

Poursuivons et concluons !

550.000 véhi­cules amé­ri­cains de tous genres ont été débar­qués en Europe, dont 350.000 ont été uti­li­sés par les forces com­bat­tantes, le reste consti­tuant une réserve de guerre. 70.000 engins de com­bat sont arri­vés sur le théâtre d’o­pé­ra­tions euro­péen, dont 52.000 furent utilisés.

(« Le Monde », juin 1945.)

Milord l’arsouille

La sec­tion finan­cière de la Police judi­ciaire vient de pro­cé­der à l’ar­res­ta­tion de 17 lycéens âgés de 13 à 17 ans, qui avaient consti­tué une bande de cam­brio­leurs. Le mon­tant de leurs vols s’é­lève à 51 mil­lions, dont 35 ont été retrouvés.

L’en­quête n’é­tant pas encore ter­mi­née, la Police judi­ciaire garde le silence sur l’i­den­ti­té des jeunes mal­fai­teurs, qui appar­tiennent tous à d’ex­cel­lentes familles. (Les journaux.)

S’il s’a­gis­sait de Durand, fils du plom­bier de la rue Mouf­fe­tard, les cognes pren­draient moins de gants.

Il est vrai que, dans cinq ou six ans, ces jeunes pra­ti­quants, que nous ne condam­nons pas pré­ci­sé­ment, car 51 mil­lions ce n’est pas dans la poche des pro­los qu’ils les ont trou­vés, ces jeunes pra­ti­quants seront sans doute des juges aus­tères ou des éco­no­mistes dis­tin­gués, en tout cas des sou­tiens d’un régime et défen­seurs d’une classe, de leur classe, et ils condam­ne­ront à tour de bras le pauvre bougre qui aura fau­té… à titre d’exemple, bien enten­du, et pour la défense de la morale, comme il se doit.

Les grands et les petits

On nous annonce que les cinq Grands ont enfin trou­vé un accord, pour le plus grand bon­heur des peuples dans l’a­ve­nir. Cinq c’est peu. On pré­fé­re­rait que ce bon­heur soit éta­bli par les mil­lions de petits eux-mêmes, ceux qui font les frais de toutes les erreurs et de toutes les com­bines, parce que tout de même, pour le prix qu’ils paient, ils pour­raient bien aus­si avoir leur mot à dire.

Utilisation de compétences

Dites donc, les copains ! Vous admet­tez que faire la guerre, c’est le bou­lot des mili­taires (ça devrait d’ailleurs être leur seule rai­son d’exis­ter). Mais pour la paix ? Vous vous ren­dez compte, deux maré­chaux, un géné­ral et deux hommes d’É­tat ; les civils sont en mino­ri­té. Drôle de paix après une drôle de guerre.

Comme le temps passe !

En 1941, Chur­chill décla­rait solen­nel­le­ment : « Je garan­tis que la France sera réta­blie dans son inté­gra­li­té natio­nale, ain­si que dans la tota­li­té de son Empire colo­nial. » Et les résis­tants du micro de Londres de pro­cla­mer : « Fran­çais ! Vous savez où sont vos vrais amis ! » Nous, la Syrie, le Liban et tout et tout, on s’en fout ! Parce que le pétrole, il y a long­temps que nous avons l’élec­tri­ci­té pour nous éclai­rer. Seule­ment, mon petit copain le méca­no me dit que le pétrole c’est bon pour dérouiller les métaux fer­reux ; ça doit être pour cela que la ques­tion du pétrole est liée à la ques­tion du dérouillage.

Comme le temps passe ! (suite)

Le R. P. Mau­rice Schu­mann a cas­sé deux mots aux Anglais, par radio bien enten­du. Le géné­ral de Gaulle, leur en a cas­sé quatre au cours d’une confé­rence de presse. Il y a un an, tout indi­vi­du qui met­tait en doute la cor­rec­tion diplo­ma­tique anglaise était un col­la­bo, membre de la Ges­ta­po, vichys­sois notoire, pétai­niste, cin­quième colon­nard, et le bon popu­lo fonc­tion­nait, comme avec un peu de pro­pa­gande bien tas­sée il va fonc­tion­ner de nou­veau. On peut bien le dire, la masse est mal­léable et cocu­fiable à merci.

Variétés de prisonniers

Ce 8 mai, jour de la vic­toire, la foule enthou­siaste accla­mait le long convoi de véhi­cules rapa­triant les pri­son­niers, bou­le­vard de Cli­chy. Poi­gnées de main, ciga­rettes, argent, et c’est bien ain­si que le peuple mani­feste sa sym­pa­thie à ceux qui furent si long­temps pri­vés de liberté.

Prisonniers intouchables

Mais pour­quoi ces cris ? C’est que dans ce camion décou­vert, en capote sous l’ardent soleil, des hommes sont habillés en vert. Sont-ce des hit­lé­riens ? Rien n’est moins sûr ! Ce sont des petits, des simples sol­dats ayant eu le mal­heur de naître sous d’autres cieux, d’a­voir obéi à d’autres chefs. Et la foule les conspue ; celui qui vou­drait esquis­ser un geste de com­pas­sion, leur appor­te­rait un peu d’eau, pas­se­rait sans doute un mau­vais quart d’heure. Le peuple est dur pour les frères de classe.

Prisonnier de luxe

Le maré­chal Goe­ring s’est ren­du à un géné­ral amé­ri­cain. Dès qu’ils furent en pré­sence, l’of­fi­cier nazi et le géné­ral du pays démo­cra­tique se ser­rèrent la main. Puis mon­sieur le maré­chal prit un bain, revê­tit son plus bel uni­forme, mit toutes ses déco­ra­tions en or, consen­tit une audience aux jour­na­listes et pho­to­graphes, mais leur deman­da d’être brefs, car il vou­lait dîner. Les géné­raux se recon­naissent entre frères de classe.

Depuis, le « scan­dale » a ces­sé, paraît-il, et le maré­chal pri­son­nier ne rece­vra plus que la ration des pri­son­niers ordi­naires. On peut tout de même ouvrir le pari que, sauf mala­die, le maré­chal sor­ti­ra de cap­ti­vi­té avec un ventre ne le cédant en rien à celui de cet autre pri­son­nier de marque : Herriot.

Prisonniers déchaînés

La fin de la guerre ne consacre pas seule­ment la vic­toire des sol­dats alliés, mais aus­si celle des com­mer­çants. Ils ont, en effet, obte­nu sans grande lutte la levée des taxes sur les pro­duits ali­men­taires. « On peut prou­ver la liber­té en grim­pant », se sont dit les prix offi­ciels, tout fiers d’ap­par­te­nir à un pays démo­cra­tique. Et ils s’empressèrent d’al­ler rejoindre les prix du mar­ché noir, avec les­quels ils dansent à perdre haleine.

Prisonniers des épiciers

C’est pour­quoi plus d’un pri­son­nier « libé­ré » sent que du train où vont les choses, son espace vital va bien­tôt s’ar­rê­ter au seuil des bou­tiques aus­si sûre­ment qu’au seuil des bar­be­lés, car au prix où est la moindre salade… Il est vrai que l’É­tat fait un effort : un pri­son­nier a double carte, autre­ment dit deux fois rien.

Prisonniers à perpétuité

Mal­gré tout, il faut admi­rer leur haut moral, à part quelques cen­taines de « fortes têtes » qui ont jugé que la reprise indi­vi­duelle dans les maga­sins était pré­fé­rable aux défi­lés du comi­té des ména­gères, les pri­son­niers sont tout heu­reux de rede­ve­nir de bons citoyens, de bons ouvriers, de bons pères, et d’en­gen­drer une nou­velle géné­ra­tion de futurs prisonniers.

Au fait, les pri­son­niers, ce sont eux et c’est nous, c’est l’hu­ma­ni­té tout entière qui refuse de secouer ses chaînes et dont le geô­lier est la peur.

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