La Presse Anarchiste

Impérialismes en lutte

Les com­bats ont ces­sé et pour­tant on n’a pas l’im­pres­sion de cette sécu­ri­té qu’une fin de guerre aurait dû don­ner au monde. Bien plus, les coups de force, les finas­se­ries, la méfiance donnent à pen­ser que la guerre conti­nue sous une autre forme. Une tren­taine de points de fric­tion existent entre les alliés. Les­quels seront le point névral­gique, les­quels seront la cause déter­mi­nante qui met­tra les impé­ria­lismes en lutte autre­ment qu’au­tour d’un tapis vert ?

Alle­magne. — Le pro­blème alle­mand, dont nous avons situé l’im­por­tance dans un de nos pré­cé­dents articles, et que nous étu­dions par ailleurs, res­te­ra en tout cas un des pôles de la diplo­ma­tie future, le trai­te­ment dif­fé­rent que les alliés imposent au vain­cu donne déjà des indi­ca­tions sur l’a­ve­nir de cette puis­sance incon­tes­table que repré­sente l’Al­le­magne, puis­sance actuel­le­ment en som­meil, mais qu’un coup de fouet vigou­reux, sous forme d’in­ves­tis­se­ments de capi­taux, peut très bien remettre en valeur.

Pologne. — M. Hop­kins, envoyé de Tru­man, après son voyage et ses conver­sa­tions directes avec Sta­line, fut repré­sen­té comme le grand vain­queur des conver­sa­tions. Aujourd’­hui on nous dit que la ques­tion polo­naise n’é­tait pas la plus impor­tante, mais une des ques­tions en dis­cus­sion. La réponse ne s’est pas fait attendre. Les seize « traîtres » sont en juge­ment. Ce juge­ment, par la pré­sen­ta­tion que nous en fait une cer­taine presse, nous rap­pelle le pro­cès des trente et des dix-huit de l’é­poque anti-trotz­kiste : tous ces traîtres avouent beau­coup plus de crimes que la cause leur en reproche.

You­go­sla­vie. ― Le maré­chal Tito, après de vio­lentes dia­tribes avec le géné­ral Alexan­der, s’est plié sur la ques­tion de Trieste et de la Véné­tie Julienne ; des conseils d’a­pai­se­ment lui furent pro­di­gués par le Krem­lin, mais aus­si par l’es­cadre patrouillant en Adria­tique, pour de simples manoeuvres (on ne nous dit pas les­quelles!), don­nant au fou­gueux maré­chal un esprit de com­pré­hen­sion dont on ne le sup­po­sait pas capable.

Bien d’autres pro­blèmes devraient être ana­ly­sés : à San-Fran­cis­co le veto a été voté de jus­tesse, quoi­qu’en assem­blée géné­rale il eut la qua­si-una­ni­mi­té. La poli­tique ita­lienne, la ques­tion royale belge, ali­tant d’exemples après la Grèce, où la liber­té des peuples libé­rés est sou­mise à la pres­sion pré­ser­va­trice de la grande dic­ta­ture économique.

Colo­nies. — La ques­tion syrienne a fait cou­ler beau­coup d’encre. « Franc-Tireur », « Com­bat », le « Monde » ont pré­sen­té des études inté­res­santes dont la solu­tion una­nime, qui est la nôtre éga­le­ment, c’est le pétrole. Il y a pour­tant un piège à déce­ler pour nous et nous allons cher­cher à trou­ver dans ce fatras d’in­té­rêts ce que l’on nous cache. La masse de ces peuples veut son indé­pen­dance, et elle a rai­son ; mais cette indé­pen­dance pour les diri­geants n’est qu’à sens unique. Lors de la confé­rence de Yal­ta, Chur­chill et Roo­se­velt pas­sèrent au Caire et à Alexan­drie où ils eurent des conver­sa­tions avec les princes arabes ; c’é­tait la mise en place du dis­po­si­tif. Les princes, s’ils adorent Maho­met, ne sont pas insen­sibles aux dieux plus maté­riels : dol­lar et ster­ling ont éga­le­ment leur obé­dience. L’in­dé­pen­dance, pour eux, c’est celui qui paie. Nous devons donc ne pas tom­ber dans la défense sen­ti­men­tale de cette indé­pen­dance qui pour­rait être le leit­mo­tiv d’un futur conflit dans lequel nous ne ser­vi­rions que les inté­rêts camou­flés d’im­pé­ria­lismes sor­dides appuyés sur une idée fixe. Que les peuples se révoltent et conquièrent leur indé­pen­dance, toute leur indé­pen­dance, qu’ils ren­versent toutes les formes d’op­pres­sion, de quelque façon qu’elles se dénomment, nous sommes avec eux, mais que cette indé­pen­dance ne soit que le dra­peau qui couvre les inté­rêts inavouables, alors là, nous deman­dons à réflé­chir et nous nous cabrons : la libé­ra­tion des masses ne peut être que l’œuvre des masses elles-mêmes, et là-des­sus nous n’a­ban­don­nons rien.

La ques­tion du pétrole, nous en repar­le­rons, car en Syrie il n’y a pas de pétrole, mais seule­ment des points d’ap­pui qui garan­tissent la sécu­ri­té de l’ex­ploi­ta­tion. Qui est inté­res­sé ? L’An­gle­terre, les États-Unis, la Rus­sie, qui détiennent ou les conces­sions, ou les moyens d’ex­por­ta­tion. Lais­sons le temps faire son oeuvre ; la guerre du pétrole exis­ta bien avant la guerre actuelle et les concur­rences ne man­que­ront pas de se faire jour, mais pour nous, qui savons qu’il n’y a pas une « goutte de pétrole qui ne soit le prix d’une goutte de sang » (Cle­men­ceau dixit), ne nous lais­sons pas embar­quer dans l’affaire.

Le sta­tut du Maroc va être une nou­velle rai­son de dis­corde. Tan­ger et Gibral­tar, c’est la fer­me­ture de la Médi­ter­ra­née occi­den­tale qui est en jeu, ce sont les bases maro­caines qu’il faut garan­tir. Or, quelle garan­tie peut don­ner un pays comme le nôtre et qui, de plus, est allié à l’URSS, sus­cep­tible un jour de nous deman­der l’ac­cès des bases mili­taires, sans nous obli­ger à entrer dans un conflit où elle serait par­tie active ? Les peuples colo­niaux remuent, l’Inde s’a­gite à son tour, les pro­messes tou­jours ren­voyées aux calendes ne suf­fisent plus, il faut des actes ; or, que peut-on deman­der à un impé­ria­lisme qui trouve dans ces peuples un pro­lé­ta­riat à bon mar­ché, sus­cep­tible d’être enca­dré par un pro­lé­ta­riat majeur, mais qui a per­du son sens de classe ? Rien, les contra­dic­tions sont irré­mé­diables. Les plus misé­rables cherchent leur voie ; le moins que nous puis­sions faire, c’est de ne pas entra­ver cette évo­lu­tion par une concep­tion natio­na­liste d’un pro­blème où seul l’in­té­rêt des trusts est en jeu. En Algé­rie, 25 émeu­tiers ont été fusillés à Sétif. Ceux-là n’au­ront plus faim…

Vati­can. — Pour finir, une nou­velle du Vati­can. Le secré­taire géné­ral futur serait une émi­nence amé­ri­caine. C’est le cham­bar­de­ment de la poli­tique tra­di­tion­nelle des milieux romains où, de tout temps (excep­tion faite pour Mer­ry del Val, qui était Espa­gnol), la direc­tion était choi­sie dans le cler­gé ita­lien. L’im­por­tant c’est que le secré­taire géné­ral est en prin­cipe le suc­ces­seur dési­gné au trône de saint Pierre. Un pape amé­ri­cain ? Pour­quoi pas ? On est très oppor­tu­niste et les tour­nants brusques ne sont pas mono­po­li­sés qu’au Krem­lin ; les deux extrêmes se rejoignent d’ailleurs par plus d’un point où le jésui­tisme est en faveur dans les deux centrales.

[|― O ―|]

L’Al­le­magne est rayée du monde pour les mois qui viennent. Elle ne sau­rait nous don­ner que peu d’in­di­ca­tions sur l’é­tat de la poli­tique inter­na­tio­nale. Mais il est cer­tain que pour la période sui­vante elle sera l’un des baro­mètres du monde. À tra­vers elle nous assis­te­rons à toutes sortes d’o­pé­ra­tions qui seront le signe de tout le mal et de tout le bien que l’a­ve­nir nous réserve. Il est donc sou­hai­table que le pro­blème alle­mand reçoive très vite une solu­tion satis­fai­sante pour tous.

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