La Presse Anarchiste

Prêtre prierait au pair chez personne pieuse

L’im­por­tance des « Petites Annonces » qui paraissent dans les quo­ti­diens n’est plus contes­tée par per­sonne : elles consti­tuent le cata­logue jour­na­lier de cet immense mar­ché-aux-puces que le monde pro­pose au monde et pour l’in­nom­brable foule des petites gens, qui ne connaissent que l’oc­ca­sion, elles sont géné­ra­trices d’es­poir, de conso­la­tion et de joie. Le concret comme l’abs­trait s’y débitent, compte tenu non pas des valeurs réelles, mais des néces­si­tés des grands besoins et des petits dési­rs ; l’A­mour, l’A­mour lui-même, délais­sant les graf­fi­ti chers aux cour­ti­sanes grecques et les oeillades pro­met­teuses des filles de joie au temps jadis, ne dédaigne pas d’y épandre des traits enflam­més sous la forme de quelques lignes imprimées.

La nature du jour­nal n’entre pas en ligne de compte dans le clas­se­ment des petites annonces ; la varié­té qui carac­té­rise celles-ci, ne gêne en rien la spé­cia­li­sa­tion de tel ou tel pério­dique. Une revue de mode sera le refuge d’offres d’emploi dans l’in­dus­trie lourde, tout comme un jour­nal finan­cier héber­ge­ra une demande d’embauche chez un charcutier.

Novembre, qui sus­cite par­tout des appels de détresse, quel­que­fois empreints d’un émou­vant cou­rage, tou­jours pleins de digni­té, a fait fleu­rir dans une revue de jar­di­nage de novembre der­nier, une petite annonce d’un carac­tère tel qu’il a sem­blé inté­res­sant de lui don­ner une publi­ci­té qu’elle ne dési­rait sans doute pas :

APPEL à la cha­ri­té. Prêtre âgé cherche place au pair (log. et nourr.) en mai­son bourg. ou vil­la de préf. dans le Midi, avec vie indép., jar­di­net p. loi­sirs. Aimant cuit. fleurs et fruits. Assu­re­rait messe domi­cile. Goûts simples. M. X…, des­ser­vant à…

Qu’en dire qui ne soit pas dic­té par la moque­rie, qui soit impar­tial et qui puisse, par là même, être accré­di­té auprès de l’au­teur de cet appel, dont l’âge demande des égards ?

Le prêtre est l’in­car­na­tion de Dieu, de ses lèvres émane le verbe divin. Son corps, ins­tru­ment d’ex­pres­sion pour la pen­sée sacrée, se divi­nise lui-même et devient l’ob­jet du res­pect et de l’a­do­ra­tion du trou­peau, des ouailles, comme il dit ; mais pour mieux recon­naître et faire recon­naître Dieu, le prêtre se doit de s’a­bî­mer lui-même, de se faire le contemp­teur de son propre corps et des biens maté­riels, péris­sables, dont il accepte l’of­frande pour la reje­ter ensuite publi­que­ment, geste qui frappe tou­jours l’i­ma­gi­na­tion des foules.

Il y a belle lurette que tout cela a chan­gé ! L’of­frande au prêtre s’est faite rare, si, rare même que, celui-ci doit la men­dier ; et si la foi des foules n’est plus ce qu’elle était, celle des reli­gieux eux-mêmes a chan­gé à ce point qu’elle ne peut plus com­battre l’at­trait des jouis­sances ter­restres : Tar­tuffe, Onuphre, les moines de Vol­taire après ceux de Rabe­lais, et bien d’autres encore, sont les vivants exemples de la déchéance des prêtres dans l’es­prit de nos croyants. Le peuple lui-même le sait, qui dit par la bouche de Gas­ton Cou­té s’a­dres­sant à un jeune gars :

Tu frais tes class’s au séminaire
Où qu’ nout’ chât’­lain, qu’est ben dévot,
T’en­ter­tien­drait à ne rien n’ faire,
Et tu briff’­rais d’la têt’ de vieau,
Du pou­let roû­ti tout’ la s’maine,
En son­geant qu’ d’au­cuns mang’nt à peine.
Si j’é­tais qu’ toué,
J’ me met­trais curé.

Il était réser­vé aujourd’­hui aux petites annonces, qui ont certes une dif­fu­sion plus grande que les ouvrages lit­té­raires, d’ap­por­ter un témoi­gnage sup­plé­men­taire de cette déchéance.

O prêtre, qui conti­nues la tra­di­tion de ces jouis­seurs impé­ni­tents qu’en­fan­ta la vieille reli­gion, ô vieillard, usé par l’âge, que ces paroles ne te soient pas trop dures, que Noël, ton Noël, ne te soit pas gâté par la lec­ture de cet article, s’il te tombe sous les yeux ! La pudeur t’a pous­sé à refu­ser la cha­ri­té, dont tu es le chantre, et à offrir en échange de ce confort, que tu as rai­son, à notre gré, de dési­rer en tant qu’­homme, une chose, dont tu crois que les autres la revêtent d’une impor­tance égale : ta prière. Tu n’as pas vou­lu subir l’hu­mi­lia­tion d’une prise en charge sans contre­par­tie, tu n’as pas vou­lu avoir à dire mer­ci, comme nous te comprenons.

Et puis, entre nous, Paris vaut bien une messe et s’il se trouve des gogos pour t’of­frir une bonne petite vieillesse avec fri­co­ta fins, liche­ries et jar­di­net en échange d’une prière, il serait bien sot de ta part, de notre avis, de refu­ser — plat de len­tilles pour le verbe divin, ce serait encore si cher payé !

Paul Joly

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