La Presse Anarchiste

Pour ouvrir le dossier de la Révolution espagnole

sou­dain une voix
une voix venant de très loin
une voix désolante
une voix d’os
une voix morte
la voix d’un vieux ven­tri­loque cre­vé depuis des mil­liers d’années
et qui dans le fond de sa tombe conti­nue à ventriloquer
Allô allô Radio-Séville
Allô allô Radio-charnier
c’est le géné­ral Quié­po micro de Lla­no qui pos­tillonne à la radio
Pour un natio­na­liste tué je tue­rai dix mar­xistes… et s’il ne s’en trouve pas assez je déter­re­rai les morts pour les fusilier…
et cette atroce voix cariée
cette voix pouacre… cette voix nécro­lo­gique reli­gieuse sol­da­tesque ver­mi­neuse néo-mauresque
cette voix capitaliste
cette voix obscène
cette voix hidéaliste
cette voix parle pour la ver­mine du monde entier et la ver­mine du monde entier l’écoute
et elle lui répond en hurlant
[|.….….….….….….….…|]
au-des­sus des Baléares j’ai vu l’été qui s’en allait et sur le bord de la mer
la Cata­logne qui bou­geait et par­tout des vivants… des gar­çons et des filles qui se pré­pa­raient à mou­rir et qui riaient
j’ai vu
la pre­mière neige sur Madrid
la pre­mière neige sur un décor de suie de cendres et de sang
et j’ai revu celle qui était si belle
la jolie fille du printemps
elle était debout au milieu de l’hiver
elle tenait à la main une car­touche de dyna­mite ses espa­drilles pre­naient l’eau
le soleil qu’elle por­tait sur l’oreille
était d’un rouge éclatant
c’était la fleur de la guerre civile
la fleur vivante comme un sourire
la fleur rouge de la liberté
dou­ce­ment j’ai volé autour d’elle
sous son sein gauche son cœur battait
tout le monde l’entendait battre
le cœur de la révolution
ce cœur que rien ne peut empê­cher d’abattre ceux qui veulent l’empêcher de battre… de se battre… de battre… de battre…

Jacques Pré­vert,
La crosse en l’air, 1936.

Avant-propos

La révo­lu­tion espa­gnole donne au mou­ve­ment anar­chiste sa plus grande fier­té et lui per­met ses plus hauts espoirs. Elle fut le théâtre de ses réa­li­sa­tions les plus révo­lu­tion­naires, l’occasion de démon­trer ses capa­ci­tés les plus créa­trices. Elle fut aus­si le champ de ses plus lourdes erreurs.

Vingt ans ont pas­sé depuis que la der­nière page du cha­pitre a été tour­née. Cha­pitre extra­or­di­nai­re­ment riche, divers, pas­sion­nant de l’histoire des luttes humaines de libération.

Beau­coup d’émotion il y a vingt ans… et puis des thèmes pour romans, deux ou trois films, un tableau célèbre de Picas­so… Le loin­tain sou­ve­nir d’horreurs bien dépas­sées depuis…

Beau­coup de dif­fa­ma­tions, quelques jus­ti­fi­ca­tions per­son­nelles, de l’encens rituel pour les anniversaires…

Très rares les livres en librai­rie, encore plus rares les tra­vaux sérieux sur ce que fut ce chan­tier incom­pa­ré de la liberté.

Notre but n’est pour l’instant pré­ci­sé­ment que d’essayer de cer­ner les œuvres pou­vant nous aider à appré­cier la valeur et le sens pro­fond de la Révo­lu­tion espa­gnole. Puis nous ren­drons compte des plus impor­tantes de ces œuvres. À com­men­cer dans ce numé­ro par un des livres qui ont eu le plus de reten­tis­se­ment dans le grand public, celui de Orwell, « La Cata­logne Libre ».

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