La Presse Anarchiste

Chronique juridique

Repre­nons notre tra­vailleur dans ses actions suc­ces­sives pour récla­mer son dû : après avoir cité son employeur devant le conseil des prud’­hommes sans résul­tat — l’employeur ne s’est pas pré­sen­té — il a fait l’ac­qui­si­tion d’un per­mis de citer pour la somme de 15 F (hors Paris 80 F). II croit pou­voir se dire, devant le bureau de juge­ment : « Il fau­dra bien qu’il vienne. »

Rien n’est moins sûr. En effet, ci l’en­semble des sommes récla­mées dépasse 2.500 F, l’employeur a la pos­si­bi­li­té d’al­ler devant la cour d’ap­pel (héri­tage du régime gaul­liste). Avant cette réforme, il aurait été devant la jus­tice de paix. Comme cha­cun sait, les magis­trats ne sont pas issus de milieux ouvriers ; la bour­geoi­sie capi­ta­liste sait choi­sir, pour régler ses conflits par­ti­cu­liers avec les tra­vailleurs, le champ clos où se battre ! Elle sait qu’elle aura l’o­reille atten­tive d’in­tègres magis­trats ; car ils sont intègres nos magis­trats, qui par leurs arrêts font depuis dix ans recu­ler la juris­pru­dence éta­blie avant 1958.

Que pense alors notre tra­vailleur, fort de son droit, le jour où il passe au bureau de juge­ment quand il voit encore son employeur absent ? Il s’en­tend appe­ler devant le conseil qui lui dit « qu’en ver­tu des pou­voirs qui lui sont confé­rés » l’employeur est condam­né par défaut à l’en­semble des sommes qui lui sont récla­mées. On lui remet un papier pour pas­ser au secré­ta­riat afin de payer la « grosse » — c’est-à-dire l’ex­trait de juge­ment que reti­re­ra 1’huissier contre la somme de 5 F.

Mais, ce n’est pas fini. L’huis­sier, quand il reti­re­ra la grosse en ques­tion quinze jours après, lorsque le pré­sident aura signé ledit juge­ment, enver­ra à notre tra­vailleur une demande de pro­vi­sion de 40 F pour signi­fier le juge­ment de l’employeur. Celui-ci s’empressera de faire appel.

Quand l’af­faire vien­dra devant la cour, il se sera pas­sé près d’un an depuis son début. En outre, arti­fice de pro­cé­dure conseillé par l’a­vo­cat du grou­pe­ment patro­nal qui la connaît par­fai­te­ment, le patron assor­ti­ra son appel d’une « demande recon­ven­tion­nelle ». Ain­si d’at­ta­qué il se trans­forme en atta­quant, invo­quant des fautes plus ou moins graves ou des faits falsifiés.

Com­bien en ai-je vu de tra­vailleurs venir me trou­ver com­plè­te­ment affo­lés par les accu­sa­tions de la signi­fi­ca­tion d’ap­pel, assor­tie bien sou­vent de demandes de dom­mages impor­tants ? D’a­bord vic­times de l’ex­ploi­ta­tion, et en plus vic­times de la mal­hon­nê­te­té des exploi­teurs leur sous­trayant la part, déjà minime, du pro­duit de leur travail !

Roger Hoyez

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