La Presse Anarchiste

Marasme monétaire, nouvelle crise du Capital

[(Peut-on envi­sa­ger les réper­cus­sions éco­no­miques et sociales des récentes reva­lo­ri­sa­tions moné­taires (flo­rin, franc suisse, Deut­sch­mark, schil­ling) à tra­vers les études d’en­semble du pro­ces­sus infla­tion­niste et les mesures anti-infla­tion adop­tées par les repré­sen­tants du capital?)]

Pour cer­tains, l’in­fla­tion, c’est la ruine. Pour d’autres, c’est le com­pa­gnon néces­saire de toute crois­sance éco­no­mique. Pour les tra­vailleurs, enfin, c’est l’ins­tru­ment dont dis­pose le capi­tal pour remettre en cause les acquis que seules les luttes peuvent lui arracher.

Si l’on doit s’ar­rê­ter aux effets immé­diats d’un phé­no­mène aus­si com­plexe que per­ma­nent, il est néces­saire d’en recher­cher ici l’o­ri­gine, d’en ana­ly­ser le conte­nu, enfin, d’é­ta­blir les déve­lop­pe­ments qui en résultent.

Impérialisme U.S et déficit budgétaire

Ain­si que nous l’a­vons vu pré­cé­dem­ment [[Pétrole et impé­ria­lisme, « Soli­da­ri­té Ouvrière » n°2.]], le haut niveau des pro­fits en Europe et aux U.S.A. dépend dans une cer­taine mesure de l’exis­tence de matières pre­mières et de main-d’œuvre peu oné­reuses dans les pays sous-déve­lop­pés. Or dans la course aux pro­fits, compte tenu des moyens mis en œuvre, le capi­tal U.S. s’est fait le cham­pion hors clas­se­ment du pillage économique.

Comme il n’est pas évident que les classes diri­geantes des pays sous-déve­lop­pés « alliés » (Gua­te­ma­la, Bré­sil, Colom­bie, Viet­nam et Corée du Sud, Thaï­lande, Tur­quie…) acceptent indé­fi­ni­ment le pro­cé­dé de la vente de leurs matières pre­mières à des cours ridi­cu­le­ment bas, excluant tout déve­lop­pe­ment éco­no­mique sérieux, le capi­tal U.S. ins­talle, entre­tient, mul­ti­plie un cer­tain nombre de juntes mili­taires et de par­tis natio­na­listes, qu’il assiste et finance gras­se­ment, ce qui, évi­dem­ment, n’est pas sans influer sur son propre « déve­lop­pe­ment ». En effet, l’exa­men rapide du bud­get fédé­ral U.S. pour 1969 – 1970 révèle la part consi­dé­rable des cré­dits affec­tés à«l’aide à l’é­tran­ger » (envi­ron 7 mil­liards de dol­lars) et celle non moindre (seule­ment… 77 mil­liards de dol­lars) des­ti­nés à la « défense » et plus par­ti­cu­liè­re­ment à la marine et à l’a­via­tion tac­tique, forces d’ap­point de la poli­tique impé­ria­liste U.S. En tout et pour tout, « défense » et « assis­tance » absorbent 38 pour cent du bud­get fédé­ral. Si on sait, par ailleurs, que l’ad­mi­nis­tra­tion Nixon assure aux trusts détente fis­cale (exo­né­ra­tions) et sub­ven­tions on ne s’é­ton­ne­ra pas devant l’im­por­tant excès des dépenses publiques (fin 1970 esti­mées à 18,6 mil­liards de dol­lars) [[À titre de com­pa­rai­son, rap­pe­lons que les inves­tis­se­ments pri­vés U.S. À l’é­tran­ger tota­lisent pour 1969 – 1970 quinze mil­liards de dol­lars…]] que nous pla­çons à l’o­ri­gine de la crise moné­taire actuelle selon les pro­ces­sus que nous allons exposer.

Processus inflationniste

Jus­qu’en juillet 1970, le méca­nisme est le sui­vant : les excès des dépenses fédé­rales U.S. (défi­cit bud­gé­taire) ame­nant auto­ma­ti­que­ment un accrois­se­ment de l’en­det­te­ment public (repé­rable par le niveau du défi­cit des paie­ments) [[Onze mil­liards de dol­lars fin 1970.]] emporte le loyer de l’argent (taux d’in­té­rêt, taux d’es­compte) dans une course paral­lèle. Les fluc­tua­tions du taux d’in­té­rêt [[Un exemple : taux d’in­té­rêt des obli­ga­tions de pre­mière caté­go­rie, 1970 : mars, 7,8%; mai, 8%; juillet, 8,5%.]] se réper­cutent sur le niveau géné­ral des prix qui, à son tour, les relancent dans un cycle infer­nal, ampli­fiant de ce fait le défi­cit bud­gé­taire d’o­ri­gine. En consé­quence le ren­de­ment du capi­tal U.S. s’ef­fondre [[La baisse du taux de pro­fit U.S. Est esti­mé à 10% fin 1970 pour l’exer­cice 1969 – 1970.]].

Août 1970 : dans le but d’as­sai­nir son bilan, le capi­tal indus­triel U.S. freine ses emprunts [[Emprunts ban­caires com­pa­rés : 1968 – 1969 : 10,9 mil­liards de dol­lars ; 1969 – 1970 : 1,5 mil­liard de dol­lars.]] pré­ci­pi­tant ain­si les taux d’in­té­rêt et d’es­compte [[Taux d’in­té­rêt des obli­ga­tions de pre­mière caté­go­rie : sep­tembre 1970, 8%, décembre 1970, 7,5%, jan­vier 1971, 7,1%.]]. Consé­quence de la baisse du taux d’in­té­rêt et de celle du taux de pro­fit, les banques amé­ri­caines regorgent d’argent [[Cf. Rap­port sta­tis­tique de la banque fédé­rale de réserve de Saint-Louis.]]. Cette fuite devant les liqui­di­tés s’ac­com­pagne vite d’une attente, celle du moment spéculatif.

Processus spéculatif

L’on sait, par ailleurs, que les taux d’in­té­rêt et d’es­compte euro­péens sont, pour cette période, plus éle­vés qu’aux U.S.A. [[Taux d’in­té­rêt à trois mois des euro-devises com­pa­rés – mars 1971 : dol­lar, 5,5%; Deut­sch­mark, 6%.]]. De plus, le monde capi­ta­liste vit depuis 1968 sous le régime de l’é­ta­lon-dol­lar ; ce qui exclut pour ce der­nier toute déva­lua­tion, car déva­luer le dol­lar revien­drait à déva­luer toutes les mon­naies capi­ta­listes d’un coup. Ce qui poli­ti­que­ment et pra­ti­que­ment est impos­sible. On voit donc à quel point il est per­mis de par­ler d’au­to­no­mie des monnaies.

Ain­si, fort de sa « soli­di­té » et aiman­té par l’at­trait de pro­fits sub­stan­tiels, le capi­tal U.S. se répand sur l’Eu­rope. Ce qui a pour pre­mière consé­quence la baisse des taux d’es­compte [[Le taux d’es­compte pour l’Al­le­magne passe de 6% à 5% en avril 1971.]] et enfin les rééva­lua­tions de ces der­niers jours.

Ramification

Quelles sont les réper­cus­sions logiques d’un tel afflux de capitaux ?

Avant toute chose, il est néces­saire de rap­pe­ler que ledit afflux cor­res­pond au dépla­ce­ment du capi­tal U.S. vers les banques cen­trales euro­péennes, et non à l’ef­fet de l’u­sage abu­sif de quel­conques planches à billets. Il s’a­git donc de trans­ferts, aus­si les réper­cus­sions res­tent dis­tinctes dans le temps et selon les lieux d’observation.

Aux États-Unis, les tra­vailleurs doivent s’at­tendre à une hausse géné­ra­li­sée des prix, hausse qui résulte de celles du loyer de l’argent, effet de l’in­suf­fi­sance pro­vi­soire de capi­taux sur le mar­ché monétaire.

Para­doxe du capi­ta­lisme, les ban­quiers U.S. feront for­tune par manque de capi­taux, en ver­tu de la maxime : moins il y a de fric, plus il est cher. À l’in­fla­tion par la demande (hausse des prix due au défi­cit bud­gé­taire) suc­cé­de­ra donc l’in­fla­tion par les coûts (hausse des prix consé­cu­tive, ici, à celle du loyer de l’argent).

Le pro­blème est tout autre pour l’Eu­rope capi­ta­liste. Face à l’ac­crois­se­ment de la masse moné­taire affluant sur le mar­ché euro­péen, les ban­quiers ris­que­raient de se voir conduits à la faillite, ce qu’ils ne sou­haitent pas, bien évi­dem­ment, et ce que le ministre fran­çais de l’É­co­no­mie et des Finances ne sou­haite pas non plus.

Les récentes mesures anti-inflation – L’offensive des banquiers français

Dans le but de neu­tra­li­ser les dépôts ban­caires sup­plé­men­taires cor­res­pon­dant à l’ar­ri­vée de fonds étran­gers, Gis­card d’Es­taing a mis ain­si en place un dis­po­si­tif com­por­tant, en plus du contrôle des changes, le relè­ve­ment du taux d’es­compte et un accrois­se­ment du taux des réserves obli­ga­toires appli­cables aux dépôts des banques.

Relè­ve­ment du taux d’es­compte. – Les frais d’es­compte sont pour les entre­prises une charge finan­cière dont le volume varie en fonc­tion du niveau de tran­sac­tions com­mer­ciales aux­quelles elles participent.

De plus, cette charge d’ex­ploi­ta­tion entre dans la com­po­si­tion du prix de revient des pro­duits com­mer­ciaux. Ain­si, il n’est pas erro­né de dire qu’à pro­fit égal, et taux d’es­compte majo­ré, les prix des biens à la consom­ma­tion s’é­lèvent auto­ma­ti­que­ment. Enfin, à chaque ajus­te­ment du taux d’es­compte cor­res­pond un mou­ve­ment pro­por­tion­nel du taux d’in­té­rêt des obli­ga­tions cau­tion­nées. Par ce pro­cé­dé (obli­ga­tions cau­tion­nées) les entre­prises, sous réserve de cau­tion­ne­ment ban­caire, peuvent repor­ter à trois mois le paie­ment de leur T.V.A. et ce, bien sûr, dans la limite des cau­tions appor­tées par la ou les banques intéressées.

Les inté­rêts comp­tés par l’ad­mi­nis­tra­tion (recette prin­ci­pale) viennent s’a­jou­ter aux charges finan­cières des entre­prises ren­for­çant ain­si le niveau du prix de revient des pro­duits commerciaux.

Or, le relè­ve­ment du taux d’in­té­rêt des obli­ga­tions cau­tion­nées amène lui aus­si auto­ma­ti­que­ment celui du taux d’in­té­rêt simple (loyer de l’argent).

Consé­quence de cette pre­mière mesure, les prix mon­te­ront, et ce dans un cli­mat de réces­sion éco­no­mique que le patro­nat sau­ra mettre à pro­fit pour dur­cir ses atti­tudes lors de pro­chaines grèves.

Par consé­quent, une ques­tion se pose : quelle sera l’at­ti­tude des direc­tions syndicales ?

Relè­ve­ment des réserves ban­caires obli­ga­toires. – Ce pro­cé­dé est com­mu­né­ment appe­lé « gel des capi­taux ». Que peut-on attendre de lui ? Voyons plutôt…

Autant les effets com­mer­ciaux émis par les entre­prises sont « ache­tés » sous réserve d’un pla­fond, par les banques com­mer­ciales moyen­nant l’ap­pli­ca­tion d’un taux (taux d’es­compte) sur la masse finan­cière repré­sen­tée, autant, ces mêmes effets sont rache­tés par la banque de France.

C’est dire qu’ac­croître les réserves obli­ga­toires des banques revient à réduire la vente des effets qu’elles ont en por­te­feuille en les immo­bi­li­sant, sans inté­rêt, ou, encore à réduire bru­ta­le­ment le cré­dit. Ce qui, de plus belle, relan­ce­ra la hausse des prix à la consommation.

Que peut-on conclure de pareilles mesures ?

Nous voyons donc que ces deux mesures, si elles ne peuvent man­quer d’en­traî­ner la hausse des prix à la consom­ma­tion, pour les ménages ouvriers, n’al­té­re­ront en rien les reve­nus des banques « bien françaises ».

Par ailleurs, les belles pro­messes du VIe Plan (équi­pe­ments col­lec­tifs, réduc­tion de la durée du tra­vail, etc.) fonc­tion d’une éco­no­mie capi­ta­liste « régu­lière » ont l’air sérieu­se­ment englou­ties par la « moro­si­té » moné­taire de ces der­niers jours. Enfin, la clique Cha­ban-Gis­card a beau jeu de par­ler de « par­te­naires sociaux » et de « concer­ta­tion » à l’heure où elle ne cache pas de déchar­ger ses res­pon­sa­bi­li­tés éco­no­miques sur le dos des travailleurs.

Les tra­vailleurs ne paie­ront pas les pots cas­sés de la pagaïe capitaliste.

La com­mis­sion économique

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