La Presse Anarchiste

Organisons-nous !

[(Qu’es­pèrent bien sou­vent les tra­vailleurs inorganisés ?

Beau­coup, c’est évident ! mais n’ob­tiennent rien car ils ne sont pas sou­te­nus, et de plus sont bien sou­vent les vic­times de chan­tages de la part de leurs employeurs qui savent que les rigueurs de la loi ne s’exer­ce­ront pas sur eux ; ce sont eux qui les font, c’est d’ailleurs pour cette rai­son qu’ils les violent!)]

Alors, il faut se syn­di­quer ! mais si les orga­ni­sa­tions les déçoivent, ce sont autant de membres irré­mé­dia­ble­ment per­dus pour ces orga­ni­sa­tions ; ou bien alors il faut être com­ba­tifs à l’ex­trême et se battre à l’in­té­rieur de celles-ci et se retrou­ver quel­que­fois exclus par une bureau­cra­tie rétrograde.

Il convient donc de savoir faire son choix, ce qui est très dif­fi­cile : si par bon­heur, on a la chance de trou­ver le syn­di­cat qui convient à ses aspi­ra­tions et qui se révèle effi­cace, ça change tout. C’est alors qu’il faut le secon­der de son mieux en mili­tant acti­ve­ment pour faire étendre son rayon­ne­ment et son effi­ca­ci­té, faute de quoi on risque de se retrou­ver un jour iso­lé et de nou­veau à la mer­ci de patrons sans scrupules.

Je sais que pour beau­coup c’est pénible de s’en­ga­ger ain­si, mais lors­qu’il s’a­git de son pain et de celui de ses enfants, il n’y a pas d’hé­si­ta­tions à avoir : Comme le labou­reur après avoir semé son grain sur­veille son évo­lu­tion et renou­velle chaque sai­son ses efforts, il en est de même dans l’ac­tion syn­di­cale où jamais ne doit se ralen­tir l’ef­fort car l’employeur auquel on vient de deman­der et d’ob­te­nir une petite aug­men­ta­tion, ne ces­se­ra de recher­cher une nou­velle for­mule d’ex­ploi­ta­tion pour récu­pé­rer ce qu’il vient de concé­der de très mau­vaise grâce ; bien enten­du il y met­tra le temps mais réus­si­ra ; et ce sera de nou­veau la lutte, quel­que­fois violente.

La classe ouvrière conti­nuel­le­ment exploi­tée ne peut donc recou­rir à aucune forme d’ac­tion faute de se trou­ver en infrac­tion avec la fameuse loi anti-cas­seurs. Com­ment doit-elle faire entendre sa voix ? C’est pour cela que cer­tains conser­va­teurs affec­tionnent tout par­ti­cu­liè­re­ment la répres­sion à tout, ins­tant déployée pour mater la vio­lence défen­sive des travailleurs.

Alors qu’est-ce l’ordre ? Tout d’a­bord une vio­lence conti­nue mais voi­lée, celle des cadences accé­lé­rées pour le pro­fit à tout prix et des acci­dents qui se mul­ti­plient pour des impé­ra­tifs éco­no­miques. Ain­si donc l’ou­vrier n’a plus d’ autre solu­tion pour faire entendre sa voix que la lutte par une autre forme d’ac­tion : la vio­lence populaire.

Trois actions, trois suc­cès, tel est le bilan de l’U­nion syn­di­cale des tra­vailleurs des transports.

L’an der­nier chez Pré­mix : après une jour­née de grève, résul­tats très satis­fai­sants ; aug­men­ta­tion de salaire, réduc­tion du temps de tra­vail, sécu­ri­té de l’emploi.

En pas­sant, petite action chez Wal­baum avec suc­cès là aussi.

Chez Cos­mos, cette année. Là aus­si les suc­cès sont très encou­ra­geants : 70 F d’aug­men­ta­tion men­suelle, réduc­tion du temps de tra­vail, paie­ment des heures sup­plé­men­taires avec rap­pel impor­tant pour cer­tains, paie­ment de la prime de fin d’an­née que la direc­tion avait cru devoir sup­pri­mer la déter­mi­na­tion du per­son­nel a fait recu­ler celle-ci.

Il convient d’a­jou­ter que cer­tains élé­ments étran­gers à notre orga­ni­sa­tion ont ten­té de déso­li­da­ri­ser le per­son­nel de la socié­té, mais celui-ci a réagi vigou­reu­se­ment. D’autres ont cru pou­voir s’at­tri­buer les mérites d’une action qu’ils ont failli faire avor­ter, en fai­sant paraitre un article, affi­chant même un jour­nal poli­tique sur le pan­neau syn­di­cal ; ils se sont trom­pés. En effet, les tra­vailleurs de la mai­son Cos­mos ont com­pris rapi­de­ment l’o­ri­gine de ces articles et l’o­rien­ta­tion du journal.

Nous ne sau­rions trop mettre en garde ces mili­tants de ne pas renou­ve­ler de tels pro­cé­dés qui ont pour résul­tat la méfiance plu­tôt que la confiance !

Il est bien évident que pour les tra­vailleurs, pas tou­jours direc­te­ment au cou­rant de la poli­tique actuelle, ces agis­se­ments paraissent anormaux.

Alors que ces orga­ni­sa­tions, qui se consi­dèrent nova­trices et seules capables de recons­truire le vrai socia­lisme, devraient recher­cher le moyen le meilleur pour réus­sir enfin l’u­ni­té face au grand capi­tal, qui se frotte les mains de plai­sir en voyant les que­relles idéo­lo­giques qui séparent les ouvriers.

Enfin, je cite­rai encore l’ac­tion de chez Mar­ti­ni et Ros­si, où la direc­tion rete­nait indû­ment sur les salaires des chauf­feurs la casse, les vols, les pertes et erreurs de livrai­sons ; la réac­tion fut longue mais bru­tale, s’or­ga­ni­sant entre eux les chauf­feurs déci­dèrent une grève. Là aus­si de soi-disant délé­gués ten­tèrent de bri­ser le mou­ve­ment ; il y aurait beau­coup à dire à ce sujet. La direc­tion ten­ta tout d’a­bord l’é­preuve de force qui fut rapi­de­ment déjouée, au bout de vingt-quatre heures de grève un accord fut signé, résul­tat : 110 F d’aug­men­ta­tion sur le salaire men­suel, 4 F d’aug­men­ta­tion de prime de panier, annu­la­tion des rete­nues sur salaires pour casse ou autres, et même rem­bour­se­ment de cer­taines rete­nues déjà effectuées.

Que faut-il conclure de ces résul­tats ? Que les condi­tions de tra­vail de cer­taines caté­go­ries de sala­riés sont dues en par­tie aux manœuvres d’un État bour­geois qui est très heu­reux de béné­fi­cier d’une mésen­tente des orga­ni­sa­tions de gauche. C’est vrai ! mais le cocu dans l’his­toire, c’est le tra­vailleur ; celui-ci ne sait pas trop où il doit aller, aus­si hésite-t-il à s’or­ga­ni­ser. Il devient alors le lais­sé pour compte, la proie facile de patrons peu scru­pu­leux des lois qu’ils violent sans cesse béné­fi­ciant même de la com­pli­ci­té des pou­voirs publics.

C’est là que l’on se rend compte de la néces­si­té de for­ma­tions de mili­tants qui feraient de la pro­pa­gande syn­di­ca­liste comme on fait de la pro­pa­gande électorale.

Mais il est impen­sable de voir actuel­le­ment des orga­ni­sa­tions comme celle des rou­tiers de la rue d’Is­ly qui se per­met des fan­tai­sies comme celle-ci, que je vous livre telle quelle : lu dans le jour­nal des rou­tiers n°433 de février 1971 : « Par suite de l’ex­ten­sion de nos délé­ga­tions régio­nales, deux postes per­ma­nents sont à pour­voir. Les can­di­dats pos­sibles sont priés d’a­dres­ser leur can­di­da­ture au secré­taire confé­dé­ral qui les convo­que­ra pour l’exa­men d’u­sage. » Sans commentaire.

Dans son jour­nal du mois d’a­vril, n°435, la même orga­ni­sa­tion fait savoir aux rou­tiers qu’une nou­velle délé­ga­tion régio­nale est mise en place à Nîmes et repré­sen­tée par M. Daniel Bau­dris : Je connais bien le client, qui est plus calé dans l’or­ga­ni­sa­tion des Mor­mons que celle des chauf­feurs rou­tiers ; car je suis à peu près cer­tain qu’il n’a jamais usé ses fonds de culotte sur les sièges des camions, comme beau­coup de ses confrères de la rue d’Isly.

Com­ment peut-on pen­ser que des sala­riés vont se jeter dans une orga­ni­sa­tion comme celle-ci où on prône plus par­ti­cu­liè­re­ment les ver­tus de l’a­mi­ca­lisme que du syn­di­ca­lisme ? D’ailleurs, il n’est pour s’en rendre compte que d’al­ler assis­ter au congrès qui se tient pour la Pen­te­côte à leur mai­son de repos située à Bègues où la publi­ci­té pour Ricard et pour les vins Pri­mior tient une place plus impor­tante que le choix d’une orien­ta­tion propre à faire avan­cer les condi­tions de tra­vail des chauf­feurs routiers.

Ah ! par­don, j’ou­bliai qu’ils viennent d’ob­te­nir la carte pro­fes­sion­nelle ! Depuis dix ans qu’ils la réclament, il était temps ! Ils vont sûre­ment pavoi­ser pour la cir­cons­tance et décer­ner le grand cor­don de l’ordre à Fran­çois de Sau­lieu. Tous mes com­pli­ments à ce lut­teur de la classe ouvrière !

Nous n’a­vons rien à vous pro­mettre chez nous, mais vous aurez un syn­di­cat qui sera le vôtre et où vous pour­rez vous expri­mer libre­ment, où vos ques­tions seront toutes écou­tées et dis­cu­tées, où vous éli­rez ceux que vous juge­rez dignes de vous repré­sen­ter pour vous défendre, nous vous atten­dons tous et t ou tes à l’U­nion syn­di­cale uni­taire des tra­vailleurs des trans­ports, 41, bou­le­vard Ney, Paris (18e). Pour cor­res­pondre, écrire à Roger Noyez, 3, rue Mar­cel-Sem­bat, Paris (18e) ou Mon­ti­gaud, Jean, 21, rue de Laghouat, Paris (18e).

Jean Mon­ti­gaud

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