La Presse Anarchiste

Fernand Pelloutier

Fer­nand Pel­lou­tier naquit à Paris, le 1er octobre 1867.

Il des­cen­dait d’une vieille famille lyon­naise chas­sée de France par la révo­ca­tion de l’Édit de Nantes et dont un des membres, Simon Pel­lou­tier (1694 – 1757) a lais­sé une His­toire des Celtes en 8 volumes, qui est, disent les bio­graphes, « le seul titre, mais incon­tes­table, qu’il ait à l’es­time de la postérité ».

Fer­nand Pel­lou­tier fit ses études pri­maires à Paris, et ses études clas­siques d’a­bord au Petit Sémi­naire de Gué­rande (d’où il se fit expul­ser, au bout de trois ans, après deux ten­ta­tives déjouées d’é­va­sion), puis au col­lège de Saint-Nazaire qu’il quit­ta après avoir échoué au baccalauréat.

Eh 1885, encore potache, il col­la­bore à la Démo­cra­tie de l’Ouest que dirige un ouvrier typo­graphe, Eugène Cou­ron­né, puis fonde suc­ces­si­ve­ment : L’Épingle, Ruy Blas, La Plage, petites revues lit­té­raires qui ont le sort de ces fleurs « que le matin voit naître et le soir voit mourir ».

Aux élec­tions géné­rales de 1889, il sou­tient, sans suc­cès, dans l’Ouest Répu­bli­cain, jour­nal crée pour la cir­cons­tance, la can­di­da­ture radi­cale d’A­ris­tide Briand. En 1892, il devient rédac­teur en chef de la Démo­cra­tie de l’Ouest et s’ad­joint comme col­la­bo­ra­teurs Guesde, Vaillant, Lan­drin, Bru­nel­lière, Cau­meau, etc. Il s’af­fi­lie au Par­ti Ouvrier Fran­çais, dont une sec­tion, l’Émancipation, vient de se consti­tuer à Saint-Nazaire. Venu à Paris au com­men­ce­ment de 1893, il se sépare tout de suite du par­ti mar­xiste et se lie avec divers écri­vains liber­taires qui l’o­rientent sans dif­fi­cul­té vers leurs idées. Col­la­bore à l’A­ve­nir social, de Dijon, et à l’Art social que dirige Gabriel de la Salle. Délé­gué l’an­née sui­vante par la Fédé­ra­tion des Bourses du Tra­vail au Congrès natio­nal ouvrier qui se tint à Nantes en sep­tembre 1894, il y sou­tient la grève géné­rale qu’il avait déjà fait voter deux ans aupa­ra­vant en un congrès tenu à Tours (sep­tembre 1892) par la Fédé­ra­tion des tra­vailleurs socia­listes de l’Ouest (par­ti brous­siste). Entre temps, publie, seul ou en col­la­bo­ra­tion avec son frère, plu­sieurs études, tant dans la Revue socia­liste que dans la Socié­té nou­velle, de Bruxelles. Une pre­mière bro­chure : Qu’est-ce que la grève géné­rale ? signée avec Hen­ri Girard, paraît chez Allemane.

En 1895, Fer­nand Pel­lou­tier se fait admettre aux Che­va­liers du Tra­vail fran­çais (dont il devien­dra en 1898 secré­taire géné­ral), débute aux Temps Nou­veaux et est nom­mé secré­taire de la Fédé­ra­tion des Bourses (poste qu’il conser­ve­ra jus­qu’à sa mort) et secré­taire du comi­té d’ac­tion de la Ver­re­rie ouvrière. Envoyé par la Fédé­ra­tion au Congrès de Nîmes (juin 1895), il y pro­duit sur cette orga­ni­sa­tion deux rap­ports, dont l’un, tout en affir­mant les théo­ries liber­taires, pro­fesse que le suc­cès de la Révo­lu­tion néces­site tem­po­rai­re­ment la concen­tra­tion des forces ouvrières. L’, qu’é­dite Lumet, le compte par­mi ses col­la­bo­ra­teurs. Deuxième bro­chure : Méthode pour la créa­tion et le fonc­tion­ne­ment des Bourses du Tra­vail.

En 1896, l’Art social publie de lui deux nou­velles bro­chures : L’Art et la Révolte et Orga­ni­sa­tion cor­po­ra­tive et Anar­chie. À la Cien­cia social, de Bar­ce­lone, il donne : La anar­quia bur­gue­sa.

L’an­née 1897 est mar­quée par la fon­da­tion de l’Ouvrier des Deux-Mondes, revue men­suelle d’é­co­no­mie sociale, qui devient, après le Congrès de Tou­louse (sep­tembre 1897), l’or­gane de la Fédé­ra­tion des Bourses et qui dis­pa­raît en 1899, quelques mois après la nais­sance du Jour­nal du Peuple où Pel­lou­tier signe le mou­ve­ment social. En novembre 1897 paraît la bro­chure : Les Syn­di­cats en France.

Cepen­dant ses mul­tiples tra­vaux devaient avoir rai­son de la faible consti­tu­tion de Pel­lou­tier. Il revient du Congrès de Rennes (sep­tembre 1898) aphone, exté­nué, cra­chant le sang et il s’a­lite. Un ins­tant alar­mé, il songe à se soi­gner sérieu­se­ment, à suivre un régime, à don­ner quelque tran­quilli­té à son cer­veau qui n’a jamais connu, ne fût-ce qu’une minute, la détente obli­gée, l’as­sou­pis­se­ment néces­saire. Mais à peine hors de dan­ger, la pas­sion de l’i­dée l’emporte sur les bonnes réso­lu­tions. La voix vaillante ne vou­lait pas se taire ; la plume infa­ti­gable ne vou­lait pas se repo­ser. Tou­te­fois, sur les conseils impé­rieux des méde­cins, Il se décide, au prin­temps de 1899, à quit­ter Paris et à venir s’ins­tal­ler aux Bruyères-de-Sèvres, à deux pas des bois de Meu­don. Trop tard. L’hor­rible tuber­cu­lose — car c’est de ce mal à la marche patiente et sûre qu’il est atteint — pour­sui­vra ses ravages en dépit des soins les mieux appro­priés, les plus éner­giques et les plus dévoués, déter­mi­ne­ra bien­tôt (août 1899) une grave rechute qui man­que­ra l’emporter, fina­le­ment le ter­ras­se­ra, le 13 mars 1901, en pleine vigueur intel­lec­tuelle, après six mois d’hor­ribles souf­frances endu­rées stoï­que­ment et qui feront dire au méde­cin appe­lé à consta­ter le décès : « Pauvre gar­çon ! Il y a long­temps que vous devriez être là ; vous n’au­riez pas tant souffert ! »

Du moins, avant de suc­com­ber, aura-t-il eu la joie — la plus grande peut-être de sa vie — de voir paraître enfin cette Vie ouvrière à laquelle il tra­vaillait avec son frère depuis 1893 et qui com­plète, avec une rela­tion (chez Stock) du Congrès géné­ral du Par­ti socia­liste fran­çais (3 – 8 décembre 1899), la liste des ouvrages parus sous une plume mise exclu­si­ve­ment au ser­vice de la classe ouvrière.

Quelques cama­rades com­mu­nistes-anar­chistes pour­ront dif­fé­rer d’a­vis sur la tac­tique pré­co­ni­sée par Pel­lou­tier, mais l’ar­deur de ses convic­tions, et la cha­leur. qu’il mit tou­jours à les défendre, sont garantes que les sym­pa­thies de tous les cama­rades sin­cères lui étaient acquises.

Il est mort à trente-quatre ans, lais­sant l’exemple d’une belle vie toute au ser­vice d’une idée, et, chose exces­si­ve­ment rare dans notre socié­té pour­rie, tous les actes de sa vie furent le reflet de l’idée.

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