La Presse Anarchiste

Les diverses tendances de l’Anarchisme

Examen critique

Tout indi­vi­du ne juge une idée que d’a­près sa propre concep­tion, qui n’est en réa­li­té que le résul­tat de sa façon de vivre, de son degré d’é­du­ca­tion et de son propre inté­rêt moral ou social.

Dis­cu­ter syn­thé­ti­que­ment des diverses ten­dances se récla­mant d’une même idée, est donc bien inutile, cha­cun res­tant sur son propre ter­rain et ne son­geant qu’à faire pré­va­loir ses concep­tions personnelles.

Il est donc néces­saire d’ap­pro­fon­dir la ques­tion ; d’a­na­ly­ser l’i­dée que nous dési­rons connaître ; de don­ner un sens exact aux termes qu’il nous est utile d’employer. Et c’est d’une base sûre que nous pour­rons juger les divers résul­tats se récla­mant d’une idée commune.

Quel but pour­suivent les indi­vi­dus qui réflé­chissent, exa­minent, dis­cutent, puis essayent de confron­ter et même d’u­nir leurs pen­sées ? Si nous fai­sons abs­trac­tion de toute étroi­tesse d’es­prit, de tout orgueil, si nous sommes sin­cères et sans pré­ju­gés, nous pou­vons répondre que notre seul réel désir est de vivre mieux, de don­ner à notre vie plus large expan­sion et que nôtre unique ambi­tion est de deve­nir des êtres évo­luant plus rapi­de­ment, sans entraves. et sans lisières. C’est l’é­ter­nel pro­blème de la vie : lutte constante de l’in­di­vi­du qui se heurte contre le milieu qui l’op­prime, empêche son per­son­nel déve­lop­pe­ment ou même tente de l’annihiler.

La pre­mière phase de ce pro­blème com­prend la lutte de l’être contre les forces de la nature ; cette ques­tion de mieux-être et de plus grande sécu­ri­té pour l’in­di­vi­du est posée, sinon réso­lue, par les sciences phy­siques et natu­relles. Nous ne nous pré­oc­cu­pons actuel­le­ment que de la deuxième phase de la ques­tion : le point de vue social.

Sur quelque plan que mous nous pla­cions, il est cer­tain que le seul motif réel de nos efforts vers plus de mieux-être et de liber­té, a pour base unique une réac­tion de notre per­son­nelle indi­vi­dua­li­té contre l’am­biance col­lec­tive, le milieu social, la société.

Si nous exa­mi­nons le pro­blème sous deux points de vue : l’in­tel­lec­tuel et l’é­co­no­mique, qui semblent se dif­fé­ren­cier, mais qui, cepen­dant, se com­plètent, nous consta­te­rons que le dit pro­blème ne varie nullement.

1° Intel­lec­tuel­le­ment. – Qui a pu faci­li­ter, per­mettre quelques pas en avant, tra­cer une voie nou­velle, appor­ter aux hommes une plus large com­pré­hen­sion scien­ti­fique, lit­té­raire ou artis­tique ? Est-ce le milieu social ? l’en­sei­gne­ment basé sur les faits pas­sés et admis sans exa­men cri­tique ? Non, certes, car cet ensei­gne­ment ne peut que se sta­bi­li­ser, s’ar­rê­ter là où l’es­prit gré­gaire sait se conten­ter. Mais ceux qui de tous temps tra­cèrent la voie au pro­grès furent des indi­vi­dus qui, rom­pant avec l’of­fi­ciel ensei­gne­ment se mirent en intel­lec­tuelle insur­rec­tion contre les règles fixes et éta­blies ; ce furent des cher­cheurs, des cri­tiques qui, hors de l’u­ni­ver­selle croyance, émirent des idées nou­velles, éma­nant de cer­veaux plus aptes parce que libé­rés de toute cré­dule soumission.

Phi­lo­sophes, hommes de sciences, artistes, d’a­bord bafoués et mécon­nus, ont d’eux-mêmes, indi­vi­duel­le­ment posés les pro­blèmes qui ne se révèlent pos­si­bi­li­tés que beau­coup plus tard pour la socié­té qui, enti­té inexis­tante, ne pense pas, mais repré­sente la plus for­mi­dable entrave au pro­grès, grâce à la mali­gni­té des ber­gers inté­res­sés et à l’im­bé­cile cré­du­li­té du troupeau ;

2° Éco­no­mi­que­ment. — N’en est-il pas de même Ne sont-ce pas les hors-la-loi, les révol­tés qui pro­cla­mèrent la néces­si­té d’af­fran­chis­se­ment pour les déshé­ri­tés. Ne fal­lut-il pas que ces pré­cur­seurs se missent hors du trou­peau, se révol­tassent afin de lan­cer la semence qui eût pu ger­mer et don­ner une flo­ris­sante mois­son sans la rou­blar­dise des maîtres et la pas­sive igno­rance des esclaves.

Nous oppo­sons, donc ici l’es­prit socié­ta­riste — celui du domi­na­teur inté­res­sé comme celui du sou­mis imbé­cile — à l’es­prit indi­vi­dua­liste du pen­seur, du révol­té qui veut s’af­fran­chir des croyances et des lois et hors la socié­té qui l’é­touffe, porte en lui le germe du progrès.

Le pro­blème envi­sa­gé se résume ain­si, en simple ana­lyse : lutte de l’in­di­vi­du conscient de lui-même contre l’am­biance aveugle du milieu.

Nous exa­mi­ne­rons donc rapi­de­ment l’un après l’antre ce que sont capables de pro­duire l’es­prit socié­taire et l’es­prit de libre ini­tia­tive individuelle.

Au cours de ces deux exa­mens suc­cincts, quoique basés sur deux plans fort dif­fé­rents, nous trou­ve­rons en l’un et en l’autre diverses ten­dances se récla­mant d’un idéal com­mun : l’anarchisme.

Cette étude fera l’ob­jet de notre pro­chain article.

Albert Sou­ber­vielle

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