La Presse Anarchiste

Mouvement international

Je devais pré­sen­ter, au der­nier Congrès inter­na­tio­nal, un rap­port sur le mou­ve­ment anar­chiste en Bul­ga­rie, Je pense que, pour les cama­rades étran­gers, il n’est pas trop tard pour faire connais­sance avec notre mou­ve­ment, d’au­tant plus que pour la plu­part d’entre eux, ce mou­ve­ment a été pen­dant tout le temps une véri­table ter­ra inco­gni­ta. D’autre part, les évé­ne­ments qui se sont dérou­lés der­niè­re­ment en Bul­ga­rie et la répres­sion qui les sui­vit diri­gée sur­tout contre les anar­chistes, ont fait accroître l’in­té­rêt du mou­ve­ment anar­chiste bulgare.

Dans quelques articles, je tâche­rai de faire res­sor­tir en ses grandes lignes les prin­ci­pales étapes de l’é­vo­lu­tion de l’a­nar­chisme en Bulgarie.

Deux traits fon­da­men­taux carac­té­risent cet anar­chisme : d’a­bord. la tra­di­tion révo­lu­tion­naire qui nous a été lais­sée par tes­ta­ment de notre loin­tain pas­sé, et ensuite, et sur­tout, la droi­ture et l’opiniâtreté natu­relles du Bul­gare qui peut libre­ment expri­mer sa pen­sée et lut­ter jus­qu’à la mort pour sa réa­li­sa­tion. On peut ajou­ter aus­si la haine extrême contre l’au­to­ri­té en géné­ral, haine accrue par un escla­vage de cinq siècles.

C’est seule­ment sous cette lumière que l’on peut com­prendre com­ment, dans un petit pays comme le nôtre, nous ayons l’exemple de dizaines d’a­nar­chistes qui meurent pour leur idéal, et tou­jours la mort des uns donne une impul­sion à la pro­pa­gande et à la lutte de beau­coup d’autres.

Natu­rel­le­ment, quand on parle de l’a­nar­chisme en Bul­ga­rie, il est inutile de remon­ter à l’é­poque loin­taine des Bogo­miles [[Les Bogo­miles : secte chré­tienne fon­dée Par le prêtre Bogo­mile. au Xe siècle après J.-C. Les dis­ciples du prêtre Bogo­mile niaient l’au­to­ri­té, com­bat­taient les lois et vivaient dans leurs com­munes pure­ment Liber­taires. Ils ne se ren­daient pas à l’ar­mée, étant d’ir­ré­duc­tibles anti­mi­li­ta­ristes ; ils ne visi­taient pas les églises et étaient végé­ta­riens. Il va sans dire que l’au­to­ri­té était sévère dans ses repré­sailles envers le mou­ve­ment bogo­mile. Elle le pour­sui­vait sau­va­ge­ment, brû­lait les écrits et les hommes. Néan­moins, ce fut le mou­ve­ment des Bogo­miles qui fut la prin­ci­pale cause de la ruine de l’an­cien État bul­gare. Beau­coup de par­ti­sans du prêtre Bogo­mile avaient émi­gré en France méri­dio­nale ; ils y déployèrent leur mou­ve­ment qui était connu sous le nom de mani­chéisme.]] et à la plus récente époque des Haï­douks popu­laires [[Les Haï­douks popu­laires étaient les seuls révol­tés pen­dant les temps sombres de l’es­cla­vage sécu­laire. Ils vivaient dans les mon­tagnes et com­bat­taient l’au­to­ri­té par leurs tche­ta (bandes). Pen­dant l’hi­ver, les haï­douks enfouis­saient leurs armes et des­cen­daient dans la cam­pagne jus­qu’au prin­temps, pour reprendre de nou­veau la culture. Spo­ra­dique et par­tiel depuis treize siècles, le mou­ve­ment des Haï­douks prit au XVIIIe siècle une grande exten­sion et se déclen­cha en révolte en masse. Une vague d’in­sur­rec­tion s’a­bat­tit sue tout le pays.]], bien que déjà dans ces deux mou­ve­ments nous trou­vions en germe l’i­dée anar­chiste. Il n’est pas néces­saire non plus de nous arrê­ter à l’é­poque de Botioff [[Chris­to Botioff (1847 – 1876) poète et révo­lu­tion­naire, tué dans les mon­tagnes, après avoir pas­sé avec sa tché­ta le Danube et avoir quelque peu bataillé avec l’ar­mée turque. Botioff était dis­ciple de Prou­dhon et Bakou­nine. C’é­tait un mili­tant dis­tin­gué du socia­lisme liber­taire. Avec Prou­dhon, il affir­mait que chaque gou­ver­ne­ment est une conspi­ra­tion de bri­gands contre la liber­té des peuples. Sans ce don­ner le nom d’a­nar­chiste, Botioff fut, dans sa vie et ses écrits, un liber­taire conscient. C’est lui qui a fait le plus puis­sant éloge, dans la lit­té­ra­ture bul­gare, de la Com­mune de Paris.]] et à Botioff lui-même qui, quoique ne s’in­ti­tu­lant pas ain­si, fut cepen­dant le pre­mier anarchiste.

Le pre­mier qui dres­sa ouver­te­ment le dra­peau de l’A­nar­chie en Bul­ga­rie fut Spi­ro Gou­labt­cheff (en 1892). Jus­qu’a­lors les idées de socia­lisme qui avaient péné­tré en Bul­ga­rie après la Com­mune de Paris, avaient été plu­tôt un mélange des doc­trines mar­xiste et bakou­niste. Gou­labt­cheff fut un des pre­miers qui contri­bua à la dif­fu­sion de l’i­déal anar­chiste-com­mu­niste ; c’est lui qui a édite pour la pre­mière fois en bul­gare les bro­chures de pro­pa­gande de Bakou­nine, Kro­pot­kine, etc.

Les pre­miers groupes d’é­tude et de pro­pa­gande anar­chiste sur­gissent alors. Mais de ce début jus­qu’au mou­ve­ment anar­chiste réel, nous avons une longue période de pro­pa­gande, d’a­bord faible et spo­ra­dique, ensuite plus forte et plus organisée.

Lorsque parurent en 1909 et 1911 les jour­naux Bezv­las­tié (L’A­nar­chie) et Pro­bou­da (Le Réveil), il y avait déjà un ter­rain assez favo­rable à la pro­pa­ga­tion des idées anar­chistes. Dans beau­coup de villes exis­taient des groupes, et la pro­pa­gande fut inten­si­fiée par la paru­tion de livres et bro­chures, dont ceux de Reclus, Mala­tes­ta, Kro­pot­kine, Grave, Faure, etc. Le groupe d’é­di­tion Bezv­las­tié édi­ta les plus remar­quables œuvres de la doc­trine anar­chiste (L’En­tr’aide, les Paroles d’un révol­té, La Science moderne et l’A­nar­chie etc., de Kro­pot­kine ; Évo­lu­tion, Révo­lu­tion et Idéal anar­chisteBezv­las­tié et Pro­bou­da, ce fut le jour­nal heb­do­ma­daire Rabot­nit­ches­ka Mis­sal (La Pen­sée ouvrière), puis Oswo­bo­j­dé­nié (L’Af­fran­chis­se­ment).

Ces édi­tions ont crée une effer­ves­cence d’i­dées et par­tant des grou­pe­ments iso­lés les prin­cipes liber­taires péné­trèrent dans la masse des tra­vailleurs. Mais la guerre mon­diale arrê­ta tem­po­rai­re­ment la pro­pa­gande. Elle clô­tu­ra la pre­mière période d’ac­ti­vi­té anar­chiste en Bulgarie.

Sur la deuxième période nous revien­drons prochainement.

G.G.

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