La Presse Anarchiste

À celle que j’attends

Sais-tu à quoi je pense ce soir, chère amie ? À la façon dont nous arrangerons notre petite cham­bre. En déplaçant seule­ment un peu mon bureau vers la droite, on pour­ra met­tre le tien à côté. Ain­si, même en lisant ou écrivant, nous serons tou­jours près l’un de l’autre. Nous fer­ons la toi­lette des murs et trou­verons bien à les gar­nir. À la fenêtre nous met­trons des rideaux. Oh ! J’en ai des rideaux. Nous les poserons ensem­ble, n’est-ce pas ?

Comme nous serons bien là, et heureux !

Oh ! Ce n’est pas que nous causerons beau­coup. Nous ne sommes pas des bavards. Qu’est-il besoin de tant causer lorsque l’on se com­prend, et que l’on vibre pareillement ?

Notre joie sera dans notre côte à côte. Dans un rien et dans un tout. Un regard, un sourire, un ser­re­ment de main. Dans l’en­lace­ment de nos corps, dans nos bais­ers, nos caress­es. Dans les mêmes émo­tions que nous éprou­verons aux spec­ta­cles où nous assis­terons ou que nous con­tem­plerons. Dans nos jeux, nos prom­e­nades. Et aus­si dans l’échange de nos études, obser­va­tions et réflex­ions ; de notre prose ou poésie. Tou­jours ensem­ble. Tou­jours s’aimer. Quelle belle vie ! Même si nous ne man­geons pas tous les jours à notre faim.

On nous appellera les deux fous. Car, comme tu le sais, aux yeux du monde nous sommes des fous. Vivre insou­ci­amment en jouis­sant de chaque jour qui passe. Ne pas con­sacr­er la presque, sinon la total­ité de nos forces physiques et intel­lectuelles, à des moyens de « gag­n­er de l’ar­gent », c’est avoir per­du la raison.

Lorsque cer­tains jours où nous n’éprou­verons que la joie de nous sen­tir vivre et nous repos­er, nous nous allongerons dans l’herbe et passerons tout notre temps à nous faire mille caress­es, alors que nous pour­rions ces jours-là gag­n­er beau­coup d’ar­gent. Si l’on nous sur­prend que ne dira-t-on pas ? Mais comme tout ce que l’on peut dire de nous nous importe peu, cela ne nous dérangera guère.

Chère petite amie, je sais que tu viens, mais sur la route il y a de si jolies et si intéres­santes choses, que tu t’ar­rêtes sou­vent. Comme tu as rai­son ! Il faut jouir de toutes choses et n’en nég­liger aucune qui puisse nous don­ner de la joie. La vie ne vaut d’être vécue qu’à cette con­di­tion. Ne te presse donc pas…

Et puis, il y a si longtemps que je t’attends…va ! Je t’at­tendrai bien encore un peu…

R.M.