La Presse Anarchiste

En cours de route

Nous avons dit que nous y irions fran­che­ment et que jamais nous ne nous ser­vi­rions de l’hy­po­cri­sie pour atteindre notre but. C’est que des bardes aus­si fols que nous savent choi­sir leurs chan­sons et enton­ner leurs refrains.

Nous ne savons que trop qu’il y en a tant et tant qui se sont habi­tues à vivre en pleines ténèbres et qu’il ne faut leur jamais par­ler de clar­té et de flamboiement.

Comme ce n’est point pour ceux-ci que le chro­ni­queur amo­ral fera mar­cher sa plume, nous n’a­vons donc qu’à les bien lais­ser de côté et, enjam­ber tout de suite le para­pet des conven­tions sociales impo­sées, afin d’ar­ri­ver sans trop tar­der là même où la réa­li­té sait si bien faire la nique aux mystifications.

Il ne fau­dra point se trom­per et déjà se mettre à faus­ser les expres­sions ; si nous avons consciem­ment pris l’ha­bi­tude de dis­ser­ter sur un ton plus haut, ce n’est nul­le­ment pour la faire au direc­teur de conscience ou autre don­neur de conseils : notre non-confor­misme se trou­vant trop mal habillé là-dedans…

Ce que nous avons vrai­ment à cœur et ce que nous tenons à faire par-des­sus tout, c’est de bien enfon­cer quelques clous et de les bien river afin qu’ils ne sortent plus jamais, de mettre per­ti­nem­ment tous les points sur les i…

Lais­sant toutes les œillères ain­si que toutes les béquilles morales au maga­sin des acces­soires, nous nous en irons pres­te­ment a même la Vie pal­pi­tante et angois­sante, joyeuse et dou­lou­reuse, tout juste muni de notre tem­pé­ra­ment d’«en-dehors », d’«unique ».

Ce que nous dirons, nous n’i­rons jamais l’ex­traire des ate­liers où se confec­tionnent tous ces articles com­muns qui engoncent si bien tous les « en dedans » de la terre ; mais le tire­rons de toutes ces expé­riences qui consti­tuent le patri­moine fon­cier des opé­ra­teurs fré­né­tiques, conscients de leur des­ti­née à part.

Comme dans la Vie elle-même, il y aura là aus­si des hauts et des bas ; mais jamais la plate habi­tude et le mono­tone ordi­naire ne s’en vien­dront cher­cher à nous faire un pas de conduite.

Étant de ces construc­teurs, de ces créa­teurs qui n’ou­blient point que pour bien engran­ger, il faut d’a­bord savoir allè­gre­ment semer et adroi­te­ment et cou­ra­geu­se­ment mois­son­ner, nous ins­ti­tuons notre sys­tème et basons notre réus­site tout aus­si bien sur la beau­té, la sagesse du temps, que sur le gron­de­ment et la révolte des orages.

Si nous sommes capables d’A­mour, de ce mer­veilleux et fécond Amour qui orne­mente si avan­ta­geu­se­ment cet art de vivre en splen­deur par­mi toutes les lai­deurs envi­ron­nantes, jus­qu’à la trans­fi­gu­ra­tion ; nous savons aus­si ne jamais faire fi de la Haine. De cette Haine qui vous rap­pelle spon­ta­né­ment et pro­fon­dé­ment à l’ordre chaque fois que la « tran­quilli­té » vou­drait s’im­plan­ter en nous afin de nous « posséder ».

C’est sur cela que repose puis­sam­ment. Le duel per­ma­nent des com­por­te­ments dio­ny­siaques : si nous avons grand besoin de l’eau, de cette eau fraîche et lim­pide qui nous aide tant à nous mirer et à satis­faire notre soif d’ap­prendre et de connaître, et. qui arrive presque tou­jours à si bien enrayer les fièvres cau­sées par les déboires, les tra­hi­sons et les échecs ; nous avons tout autant besoin de ce feu, de ce feu qui nous agite, nous trans­porte et nous illumine…

Bien­heu­reux sont les Cœurs dont la rai­son est assez vivace et assez per­sis­tante et forte pour ne jamais être vic­times de la ten­dresse diminuante!…

Bien­heu­reuses sont les Rai­sons dont les cœurs parlent tou­jours assez haut et ferme pour ne jamais som­brer dans cette sté­ri­li­té sen­so­rielle qui fait de ces sclé­ro­sés des décé­dés bien avant leur temps.

C’est pour essayer de tou­jours se bien main­te­nir en par­fait équi­libre sur la corde ten­due entre la Vie et le Néant que nous déve­lop­pe­rons nos Chroniques.

Il n’y a pas là jeu d’a­cro­bate, pré­ten­tion d’en­sei­gneur ou vision de mys­tique, mais seule­ment un essai d’har­mo­nie construit, avec l’aide de ces notes tirées de la quo­ti­dienne mul­ti­pliée à l’infini.

Cer­tai­ne­ment, nous n’au­rons point l’ap­pro­ba­tion des gens comme il faut : parce que n’ayant point leur façon de faire, nous ne ména­ge­rons jamais tout ce qui sert à per­pé­tuer et l’in­so­lence et la soumission.

À faire flam­ber la vie comme nous le fai­sons il peut se faire que nous ris­quions de nous brû­ler ; mais les expé­riences réité­rées nous ayant. appris que rien ne peut se réa­li­ser sans effort, c’est à nous de trou­ver le moyen de nous bien immu­ni­ser contre les risques et périls résul­tants de notre foi et notre ardeur libertaires.

A. Bailly

La Presse Anarchiste