La Presse Anarchiste

Haute école

XI Finalisme

… Toute reli­gion, toute dévo­tion à un « Dieu » engen­dre la résig­na­tion au mal évitable et le con­ser­vatisme des formes mortes du passé. Par là, elle per­met aus­si la dom­i­na­tion de l’Église et celle des élé­ments les plus puis­sants, les plus tyran­niques et les plus par­a­sitaires de la société : incroy­ants sim­u­la­teurs dont le type est la duchesse de Langeais de Balzac et l’«athée catholique » de Jules Soury, Charles Mau­r­ras et con­sorts. Telle est la mal­fai­sance de la religion.

Mais où est la cause de cette mal­fai­sance ? ― Dans le fait que le théisme est indis­so­cia­ble­ment lié à une autre con­cep­tion dont le mieux qu’on puisse dire est que, lorsqu’elle est exprimée sincère­ment, elle est erronée : le final­isme, sys­tème d’ex­pli­ca­tion de l’u­nivers qui affirme qu’un des­sein, un ensem­ble de caus­es finales à présidé à la « créa­tion » de celui-ci et con­tin­ue de présider à son exis­tence et à son évo­lu­tion. En con­séquence de cette doc­trine et du respect qu’on doit à « Dieu » et à tout ce qui émane de sa volon­té, la reli­gion ordonne que tous les proces­sus de la nature, brute ou ani­mée, incon­sciente ou con­sciente, qui con­courent à la réal­i­sa­tion des « fins » voulues par le « Créa­teur » soient observés par l’homme et rigoureuse­ment suiv­is par lui en ce qui le con­cerne per­son­nelle­ment : d’où divin­i­sa­tion du fait et instau­ra­tion du con­formisme. Naturelle­ment, il y a, pour ceux qui sont « du bâti­ment » ou réputés « d’élite » des « arrange­ments avec le ciel », comme on dit. Les exi­gences de l’Église s’ap­pliquent à la masse, au troupeau.

L’idée de « Dieu » d’une part et, d’autre part, celle de des­sein, ou plan, ou cause finale, celle-ci matéri­al­isée dans la « créa­tion » de l’u­nivers, sont les Rosa-Josépha de la théolo­gie : pas de « Dieu » sans des­sein, non plus que de des­sein sans « Dieu ». Ces deux idées sont l’une à l’autre comme cul et chemise. Et un rapi­de exa­m­en de ces pau­vretés intel­lectuelles vous con­va­inc qu’elles sont d’une « human­ité » (humaines, trop humaines!) et d’une puéril­ité désar­mante : elles sont à l’in­tel­li­gence ce que l’im­age d’Épinal est à l’art.

Un des­sein sans « Dieu » est incon­cev­able : au point de vue de la logique la plus élé­men­taire, une telle propo­si­tion est dépourvue de sens. S’il y a une cause finale à l’u­nivers, un être supérieur et extérieur à lui l’a conçue, voulue et fixée.

Final­isme implique théisme, comme non-final­isme implique athéisme.

D’un autre côté, un « Dieu » sans sans des­sein serait inof­fen­sif, mais ce serait un « Dieu » fainéant : il se con­tenterait de trôn­er dans l’azur des cieux. Lui non plus n’est pas con­cev­able. Et qui aurait intérêt à son exis­tence ? Per­son­ne. Ni les com­man­di­taires de son culte, qui ne pour­raient pas user de ses com­man­de­ments pour main­tenir leur ordre social. Ni les prêtres, à qui, de ce fait, il ne rap­porterait rien. Ni mêmes les vic­times de son culte, qui n’au­raient rien à se met­tre sous la dent en fait de sac­ri­fice. Ses inven­teurs et ses servi­teurs, ses prof­i­teurs et ses vic­times ne l’en­ten­dent pas ain­si : il leur faut un « Dieu » qui fonc­tionne. Or « Dieu » fonc­tionne par le des­sein, le plan, les fins qu’il est cen­sé avoir tramés et qui per­me­t­tent de faire respecter, dans la mesure où c’est utile aux maîtres de la société, l’or­dre naturel et l’or­dre social, ― lesquels sont, au fond, une seule et même chose con­sid­érée sur deux plans dis­tincts. Et cet ordre naturel et social, c’est l’or­dre insti­tué par « Dieu » et auquel on doit se conformer.

C’est la mal­fai­sance du final­isme qui fait celle de l’idée de « Dieu » et de la reli­gion. C’est de ce final­isme qu’en pre­mier lieu il faut dénon­cer la mal­fai­sance et démon­tr­er la faus­seté si l’on veut libér­er et indi­vid­u­alis­er l’homme. En s’at­taquant au final­isme, on atteint le mal dans sa racine. Une fois la croy­ance au plan divin, aux caus­es finales, au des­sein, rad­i­cale­ment extir­pée de l’e­sprit humain, la route est libre, la voie est ouverte pour la recherche et la con­quête du bonheur.

Manuel Devaldès


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