La Presse Anarchiste

James L. Walker et la philosophie de l’égoïsme

Ceux qui, en France, s’in­téressent à l’his­toire du mou­ve­ment indi­vid­u­al­iste an-archiste n’ont que peu ou pas enten­du par­ler de James L. Walk­er. De ceux qui le fréquen­tèrent et le con­nurent de plus près, les informe­ri­ons sur sa vie et son activ­ité n’ont pas été faciles à recueil­lir et à rassem­bler. Nous savons pour­tant qu’il est né à Man­ches­ter, en Grande-Bre­tagne, dans une famille for­tunée, qu’il pour­suiv­it ses études en Angleterre, en France, en Alle­magne, qu’il fut employé quelque temps au Times de Lon­dres, qu’à son arrivée aux États-Unis il devint édi­teur-adjoint du Times de Chica­go, qu’il y pub­lia un péri­odique « antithéologique » s’é­ten­dant sur 40 colonnes, puis qu’en 1865 il dut, pour raisons de san­té, se ren­dre au Texas où il fut rédac­teur en chef de nom­breux jour­naux. En cette même année il avait épousé Katharine Smith, de l’Illi­nois. James Walk­er était un poly­graphe dis­tin­gué, pos­sé­dant une dizaine de langues vivantes, et dont les con­nais­sances s’é­tendaient au grec, au latin et au san­scrit. Il était l’au­teur d’un sys­tème de sténo­gra­phie et d’ou­vrages trai­tant d’é­d­u­ca­tion, de chimie, de médecine (James Walk­er était médecin) de génie civ­il, de soci­olo­gie, dont cer­tains ont été pub­liés. Il pré­con­i­sait la créa­tion de « colonies » dans les cen­tres habités et à la cam­pagne, organ­isées sur une base affini­taire, volon­taire et mutualiste.

En 1886–87, sous le pseu­do­nyme TAK KAK, il col­lab­o­ra à Lib­er­ty, le jour­nal de Tuck­er, où il mena cam­pagne en faveur de l’é­goïsme, gag­nant. à ses vues la majorité des lecteurs et Tuck­er lui-même. Il y démon­tra que l’a­n­ar­chisme n’est en réal­ité que la branche poli­tique de l’é­goïsme pur, et sug­gérait le rem­place­ment du terme « anar­chisme philosophique » par celui « d’a­n­ar­chisme égoïste », pour le dis­tinguer de celui des révo­lu­tion­naires par­ti­sans de l’emploi de la vio­lence qui s’in­ti­t­u­laient égale­ment anarchistes.

Le but de James Walk­er était d’a­mass­er une cer­taine for­tune qu’il aurait con­sacrée à l’édi­tion. et à la pro­pa­gande de livres et de brochures de soci­olo­gie et de libéra­tion intel­lectuelle. Mal­heureuse­ment, une inon­da­tion survint là où il résidait alors, à Galve­ston, au Texas, qui engloutit on avaria la plus grande par­tie de son avoir et de ses effets. Il suc­com­ba en 1904 au Mex­ique, vic­time d’une attaque de fièvre jaune.

Ceux qui ont approché de près James Walk­er le décrivent comme l’É­goïste idéal, le plus aimable des hommes, calme, cour­tois, pro­fond, humoriste à l’oc­ca­sion, mais jamais léger dans ses pro­pos. Il en appelait tou­jours à la rai­son, fai­sait fi des dis­tinc­tions sociales, se trou­vait aus­si à l’aise dans une mansarde que dans un salon. De haute taille, se ten­ant droit, mus­clé, voire ath­lé­tique, ne posant pas, mais ne s’a­ban­don­nant pas non plus, il par­lait de façon cor­recte, mais sans pré­ten­tion. S’il ne pleur­nichait pas hyp­ocrite­ment sur la détresse des déshérités, s’il ne ton­nait pas hors de pro­pos con­tre le luxe des priv­ilégiés, on le trou­vait intran­sigeant en ce qui con­cer­nait le fonc­tion­nement des coopéra­tives, dont il n’ad­met­tait pas que les directeurs — les « boss­es » ― reçussent davan­tage que les autres employés, manuels ou non.

Telles sont, suc­cincte­ment résumées, la car­rière et la phy­s­ionomie de l’homme qui écriv­it The phi­los­o­phy of Ego­ism dont nous com­mencerons la tra­duc­tion dans le fas­ci­cule de novem­bre. Les pre­miers chapitres de cette étude parurent dans Ego­ism, petite revue que pub­lièrent de 1890 à 1898 à Oak­land, en Cal­i­fornie, Geor­gia et Hen­ry Remogle (il con­vient, de pré­cis­er que lorsque James Walk­er com­mença à com­pos­er les pre­miers chapitres de sa Phi­los­o­phy of Ego­ism il igno­rait et Stirn­er et « l’U­nique et sa pro­priété »). Brusque­ment les Remogle durent cess­er la pub­li­ca­tion d’E­go­ism. Vers 1900 l’au­teur con­clut ce tra­vail, mais toutes sortes d’ob­sta­cles s’op­posèrent à ce qu’il vît le jour. En 1904, comme nous l’avons vu plus haut, James Walk­er mou­rut ; puis ce fut le tour des Remogle qui auraient tant voulu pub­li­er l’ou­vrage. Finale­ment, en 1905, il parut à Den­ver, Col­orado, por­tant comme nom d’édi­teur, celui de Katharine Walker.

Quant à la tra­duc­tion que nous présen­tons ici, nous nous sommes surtout effor­cés de fournir du texte une ver­sion com­préhen­sive et fidèle, sac­ri­fi­ant volon­tiers la beauté du style à la clarté d’expression.

E. Armand


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