La Presse Anarchiste

Après la capitulation japonaise

Le troi­sième acte du grand drame vient de se ter­mi­ner et si les acteurs étaient tous d’ac­cord en le but à atteindre devant le gros public, dans les cou­lisses l’a­po­théose est plu­tôt laborieuse.

Lors de la capi­tu­la­tion de l’Al­le­magne, les grands pro­blèmes euro­péens n’ont pas eu de solu­tion, et si la Rus­sie a pris la part du lion, la ques­tion bal­ka­nique, le trai­té avec l’I­ta­lie, les répa­ra­tions, le sta­tut des zones d’oc­cu­pa­tion, la ques­tion d’O­rient, sont autant de points de fric­tion en pers­pec­tive. Or, si les Anglo-Amé­ri­cains ont fait des conces­sions aux Soviets, il faut recon­naître qu’à Pots­dam on a essayé de mettre un frein à l’ex­ten­sion encom­brante des chers alliés orien­taux. L’é­pine que l’An­gle­terre et les U.S.A. s’é­taient pla­cés au Paci­fique les obli­geait à être très pru­dents, toute com­pli­ca­tion en Europe étant dom­ma­geable à l’ef­fort de guerre vers l’Ex­trême-Orient, et à la suite de l’ex­pé­rience euro­péenne il était urgent de ter­mi­ner avant l’in­ter­ven­tion russe que l’on fixait géné­ra­le­ment au prin­temps 1946. Chur­chill et Tru­man ne se fai­saient d’ailleurs pas faute de pré­co­ni­ser une guerre encore assez longue, alors qu’en fait ils avaient en main les moyens de la rac­cour­cir, l’emploi de la bombe ato­mique ayant été déter­mi­nant dans la déci­sion japo­naise. Aujourd’­hui que l’Ex­trême-Orient est mili­tai­re­ment liqui­dé, la poli­tique euro­péenne à l’é­gard des Soviets se rai­dit : en Rou­ma­nie réap­pa­raissent Maniu, lea­der du par­ti agra­rien, et Bra­tia­no, libé­ral, tous deux adver­saires de Gro­zea, lequel est l’homme des Soviets.

En You­go­sla­vie, le bouillant Tito, après une démis­sion minis­té­rielle cau­sée par le manque de démo­cra­tie, voit en outre Pierre II rési­lier les régents ; or, cette démarche a eu l’ap­pui de Londres et de la Mai­son Blanche.

En Bul­ga­rie et en Grèce, les puis­sances démo­cra­tiques exigent le contrôle des élec­tions, signe que la confiance ne règne pas. La Consti­tu­tion d’un gou­ver­ne­ment alle­mand à Ber­lin sous la pré­si­dence du maré­chal Jou­kov amène des « mou­ve­ments divers » dans les tra­vées anglo-amé­ri­caines. Comme on le voit, mal­gré toutes les embras­sades, les coups de pied. dans les tibias ne manquent pas.

Le Japon a été très adroit de faire pré­sen­ter par l’U.R.S.S. ses pro­po­si­tions de paix au cours de la confé­rence de Pots­dam, cela signi­fiait : « Atten­tion ! Les Russes ! Nous per­dons pied, dépê­chez-vous de prendre posi­tion : dans quelques jours, cela sera trop tard. » Car il est pré­fé­rable de trai­ter la paix avec quatre Gar­gan­tuas qu’a­vec trois, on les divise plus faci­le­ment, et les parts de cha­cun sont plus petites. Les Russes ont mar­qué des points immé­dia­te­ment, ils ont pris pos­ses­sion de ce qu’ils veulent, mais le trai­té de paix n’est pas signé, et toute la ques­tion d’Ex­trême-Orient, que nous étu­die­rons dans un pro­chain article, est remise à nou­veau sur le chan­tier, le Japon en Asie ayant la même posi­tion que l’Al­le­magne en Europe, va deve­nir l’en­jeu pour l’a­ve­nir de ceux qui vou­dront s’as­su­rer une poli­tique de puis­sance dans cette par­tie du monde.

La Chine, avec quelques conces­sions sérieuses, gagne la paix inté­rieure ; comme elle repré­sente éco­no­mi­que­ment des res­sources inépui­sables, il fau­dra l’in­dus­tria­li­ser, et pour cela ce sont les capi­taux qui comptent ; or, les capi­taux, ce n’est ni à Londres, ni à Mos­cou qu’on les trouve.… c’est à New-York. Les U.S.A. n’ont pas à remettre en route une indus­trie détruite ou des finances déla­brées, ils sont à pied d’œuvre, ils sont les maîtres de l’heure, les grands vain­queurs, car ils savent que sans eux et leur immense maté­riel il y aurait encore loin de Sta­lin­grad à Ber­lin, mal­gré la valeur incon­tes­table de l’ar­mée rouge, et puis la bombe ato­mique, cette véri­table arme secrète (même pour les chers alliés russes), cela per­met de peser d’un cer­tain poids dans la balance où l’on pèse l’a­ve­nir du monde à la manière de Shylock.

La Presse Anarchiste