La Presse Anarchiste

Aux hasards du chemin

C’est‑y oui, c’est‑y non ?

D’au­cuns insi­nue­ront que ce gou­ver­ne­ment pro­vi­soire ferait mieux de nous chaus­ser les pieds que de nous bour­rer le crâne ; mais recon­nais­sons que c’est bien le pre­mier qui s’a­vise de deman­der au peuple fran­çais de quelle manière il entend être dirigé.

Vou­lez-vous une assem­blée qui soit consti­tuante ? Alors répon­dez oui. Si vous répon­dez non, au lieu d’une assem­blée, vous en aurez deux. Et qui seront consti­tuantes quand même. Elles consti­tue­ront, en effet, deux belles bandes de gou­gnia­fiers et de mar­gou­lins ; c’est sans impor­tance, on a l’ha­bi­tude. Et comme s’ac­cordent à dire la plu­part des par­tis « répu­bli­cains », la seconde ques­tion c’est la plus grave : l’As­sem­blée doit-elle être sou­ve­raine ? Nous ne vou­drions certes pas nous éri­ger ici en direc­teurs de conscience, mais dans une affaire aus­si sérieuse nous vou­lons prendre posi­tion. Le résul­tat de nos réflexions nous dicte ceci : si vous êtes par­ti­sans, votez oui ; si vous êtes contre, votez non. Et si vous vou­lez être sûr de ne pas vous trom­per, mar­quez oui et non, et si vous êtes indé­cis, faites le Nor­mand, ni oui ni non.

Parce qu’entre nous, pour ce qui est d’être sou­ve­raine, elle y sera, l’As­sem­blée, et plu­tôt trois ou quatre fois qu’une.

Qui donc pour­rait, en effet, l’empêcher quand ça ira mal, finan­ciè­re­ment, et ça ira mal, de décer­ner ses pou­voirs à un quel­conque Poincaré ?

Qui donc pour­rait l’empêcher quand ça ira trop mal, poli­ti­que­ment, et ça ira mal, de trou­ver un Dou­mergue, un Tar­dieu, un Flan­din, qui « sau­ve­ront » encore une fois la France ?

Qui donc pour­rait l’empêcher quand ça ira mal, inter­na­tio­na­le­ment, et ça ira mal, de mettre à sa tête un homme à la hau­teur de Dala­dier par exemple, qui gueu­le­ra. « La France com­mande ! » pour décla­rer la guerre et prendre la fuite ?

Qui donc pour­rait l’empêcher, elle, l’As­sem­blée et consti­tuante et sou­ve­raine, quand ça ira mal, mili­tai­re­ment, sait-on jamais, d’ab­di­quer les pou­voirs qu’elle tient du peuple en faveur d’un maré­chal Pétain ?

Car si l’on se réfère au pas­sé, on peut être scep­tique sur l’ac­tion future des parlementaires.

Mais c’est égal, on réfé­rende, ça c’est nou­veau. Espé­rons que de temps en temps le gou­ver­ne­ment nous pose­ra quelques ques­tions, telle celle-ci, par exemple : « Tenez-vous tant que ça à une armée puis­sante, moto­ri­sée et tout et tout ? » Ce qui, en clair, signi­fie­rait : « Dési­rez:- vous tou­jours engrais­ser des la Rocque, Dusei­gneur, Cos­tan­ti­ni, Wey­gand, Pétain et les munitionnaires ? »

Ce qui, en dur, vou­drait dire : « Pré­fé­rez-vous que plus tard vos enfants aient du rôti dans la bouche ou des bombes sur la gueule ? »

Je ne doute pas que l’i­déa­lisme aidant, les gour­mands ne soient en mino­ri­té, juste revanche de l’es­prit sur le maté­ria­lisme sordide.

Refe­ren­dum du futur député :

Goû­tons voir, oui, oui, oui.

Goû­tons voir, non, non, non.

Goû­tons voir si l’pot-de-vin est bon.

les deux généraux

Dans le bureau du géné­ral de Gaulle, le plan­ton frappe dis­crè­te­ment à la porte.

de Gaulle. — Entrez !

Le plan­ton. — Mon géné­ral, c’est le géné­ral Jou­haux, de la C.G.T.

de Gaulle. — Qui ça, Jou­haux ? Qui ça, la C.G.T.? Connais pas ! Faites entrer quand même.

Cla­que­ment de talons, salut régle­men­taire, petit doigt sur la cou­ture du pantalon.

de Gaulle. — Repos ! Qu’est-ce que c’est ?

Jou­haux. — Mon géné­ral, je viens en qua­li­té de délé­gué, de la délé­ga­tion des gauches.

de Gaulle. — Mille mil­lions de résis­tante ! Vou­lez-vous me foutre le camp ! Rom­pez ! Pren­drez les arrêts ce soir ! Appren­drez le règle­ment et la Charte d’A­miens, sacré lascar !

Et la suite

Ple­ven nous pro­met à tous les Fran­çais un cos­tume et une paire de godasses pour l’au­tomne.. Mer­ci, Excellence !

Espé­rons que votre hono­rable col­lègue pris d’é­mu­la­tion n’y join­dra pas la musette, le bidon et la suite, pour com­plé­ter nos petites tenues nationales.

La C.G.T. et la république

Dans « Résis­tance Ouvrière », Roger Deniau, de la C.G.T., affirme que le refe­ren­dum est un acte révo­lu­tion­naire (il en faut pour tous les goûts!) et il donne à son article le titre sui­vant : « La C.G.T. au ser­vice de la République. »

Que la C.G.T. se soit mise au ser­vice de la Répu­blique, ça, nous le savions. Mais ce que nous atten­drons sans doute long­temps, c’est de voir la Répu­blique au ser­vice de la C.G.T.!

Anniversaire

Le 4 sep­tembre, l’an­ni­ver­saire de la IIIe Répu­blique a été fêté en grande pompe. Les grandes orga­ni­sa­tions ouvrières, par l’or­gane de leurs repré­sen­tants, étaient de la partie.

Nous n’a­vons aucune sym­pa­thie pour le régime dont elle son­na le glas en 1870. Mais nous n’ou­blions pas que des « grandes réformes » comme celle conte­nue dans la loi de 1884 qui auto­rise (ou plu­tôt régle­mente) la consti­tu­tion des syn­di­cats pro­fes­sion­nels, a été votée sous l’empire d’une irré­sis­tible pous­sée popu­laire. Les syn­di­cats exis­taient dans les faits avant d’être ins­crits dans la loi. Celle-ci ne fit donc que sanc­tion­ner le fait accompli.

Par­mi les hauts faits d’armes de cette IIIe Répu­blique, ce que nous n’ou­blions pas, c’est le mas­sacre de 40.000 Com­mu­nards quelques mois après sa pro­cla­ma­tion ; les mul­tiples fusillades d’ou­vriers au cours de mani­fes­ta­tions et de grèves ; le vote des lois scé­lé­rates (dignes d’une légis­la­tion fas­ciste); l’emprisonnement de nom­breux mili­tants liber­taires, socia­listes, syndicalistes-révolutionnaires…

Nous n’ou­blions pas non plus que cette IIIe Répu­blique, tant fêtée par les lea­ders cégé­tistes, fit jadis expul­ser la C.G.T. de la Bourse du Tra­vail, pré­tex­tant qu’elle était illé­gale ! Nos édiles ont la mémoire vrai­ment courte, quand ils ne veulent pas se souvenir…

Les vieilles méthodes

À St-Sever (Cal­va­dos), les pay­sans sur­prennent le pré­sident de la com­mis­sion de réqui­si­tion dans sa voi­ture, avec une motte de beurre, 10 kgs de sain­doux, 15 sau­cis­sons, enfin de quoi bien vivre en ces temps de misère. Les gars Lucas, avec juste rai­son, lui ont admi­nis­tré une purge de pre­mière. Enfin, cela nous prouve que l’emploi du manche de pioche et de la chaus­sette à clous, si appré­ciés vers 1906, n’a pas per­du ses adeptes.

Économie dirigée

Les jour­naux nous apprennent que les stocks de laine ne pour­ront être épui­sés avant treize ans. Pour le coton, il y aurait une telle pro­duc­tion qu’on envi­sa­ge­rait de le trans­for­mer en pan­neaux agglo­mé­rés en vue du pavage des routes. On nous pré­vient d’ailleurs que pour l’emploi de ces matières tex­tiles et leur livrai­son à la consom­ma­tion qui en a pour­tant besoin, on peut tou­jours patien­ter, atten­du qu’a Londres on a fait tous les achats en vue d’é­vi­ter l’af­fais­se­ment des cours ; au sur­plus il paraît qu’on manque de bateaux pour le transport.

Entre nous, avec leur éco­no­mie diri­gée et socia­liste, c’est plu­tôt nous qu’on mène en bateau.

Les beaux titres

L’an­cien organe sovié­tique « La Classe Ouvrière et la Lutte de Classe » s’ap­pelle doré­na­vant « Les Temps Nou­veaux ». Jean Grave, qui l’eût cru ? Paul Reclus, qui l’eût dit ?

La rééducation du peuple allemand

Les nations alliées se sont don­né pour tâche, nous dit-on, de dés­in­toxi­quer la par­tie du peuple alle­mand atteinte par le virus hit­lé­rien et mili­ta­riste. Nous ne pou­vons qu’ap­plau­dir à d’aus­si bonnes inten­tions. Mais en voyant les moyens employés, nous demeu­rons sur la réserve. C’est tout sim­ple­ment sur la reli­gion que les alliés paraissent vou­loir asseoir une morale salvatrice.

L’Église catho­lique est peu qua­li­fiée pour ensei­gner l’a­mour de son sem­blable et le goût de la liber­té, de la tolé­rance. Les exac­tions com­mises par elle (faut-il par­ler de l’in­qui­si­tion et des évé­ne­ments d’Es­pagne si proches?) devraient suf­fire pour mettre en doute ses chances d’é­le­ver le niveau moral d’un peuple.

Le chris­tia­nisme n’est plus, comme au temps de Néron, une source de révolte contre l’in­jus­tice, la cor­rup­tion et le pou­voir en pré­sence. Il est deve­nu au contraire un des prin­ci­paux sou­tiens de celui-ci. Il est au ser­vice du pou­voir poli­tique et de la puis­sance éco­no­mique, l’un et l’autre concen­trés entre les mains d’une mino­ri­té qui exploite, affame la grande masse du peuple ; et cela dans tous les pays où il a de l’in­fluence. (La Rus­sie, elle aus­si, s’est mise au dia­pa­son.) Il faut ajou­ter néan­moins que toutes les reli­gions abou­tissent au même résultat.

Ceci bien éta­bli, on com­prend alors que le grand capi­ta­lisme inter­al­lié fasse confiance à la reli­gion pour veiller à ce que les géné­ra­tions alle­mandes aient des pen­sées « saines ».

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