La Presse Anarchiste

L’anarchisme et l’espéranto

L’his­toire de l’a­nar­chisme se pré­sente comme une lutte per­ma­nente, de tous les ins­tants, contre la domi­na­tion de l’homme ou du milieu social sur l’homme et contre le corol­laire de cette déno­mi­na­tion : l’ex­ploi­ta­tion éco­no­mique de l’homme par l’homme ou le milieu social.

Dans cette lutte, l’a­nar­chisme se pose comme créa­teur d’une men­ta­li­té nou­velle. L’homme est la mesure de toute chose. C’est à l’homme qu’il faut rame­ner toute éva­lua­tion de valeur. Or, l’homme ne réa­lise sa pleine valeur que dans la liber­té, c’est-à-dire dans un état tel qu’il ne trouve comme bar­rière à ses propres dési­rs que celles que pour­ront lui oppo­ser d’autres hommes égaux à lui dans cet état de liber­té. Des théo­ri­ciens comme Her­bert Spen­cer ont par­lé de l’«égale liber­té », c’est-à-dire une liber­té indi­vi­duelle qui ne se heurte qu’à une autre liber­té indi­vi­duelle. Liber­té bien dif­fé­rente et com­bien plus com­plète que celle que nous offre un État, une Patrie, une Congré­ga­tion quelconques.

La phi­lo­so­phie anar­chiste se basant sur le fait indi­vi­duel nie comme étant nui­sibles à l’in­di­vi­du les don­nées natio­nales, confes­sion­nelles, fami­liales, ou autres don­nées « impo­sées ». Sa pro­pa­gande cherche donc à les abattre. Mais natu­rel­le­ment elle ne sous-estime pas et recon­naît ces grou­pe­ments s’ils sont l’ex­pres­sion d’une asso­cia­tion volon­taire, d’un com­mu­nisme libre.

Or, pour la créa­tion de cette men­ta­li­té nou­velle, l’es­pé­ran­to peut s’a­vé­rer comme un fac­teur impor­tant dans le futur déve­lop­pe­ment de l’é­du­ca­tion anar­chiste et comme un outil de valeur au ser­vice des masses pro­lé­ta­riennes tou­jours divi­sées par la bar­rière du langage.

L’es­pé­ran­to, la langue la plus facile à apprendre de toutes les langues « par­lées » sur le globe, n’est pas, de par son ori­gine même, enta­chée du vice natio­na­liste. Elle est donc des­truc­trice de l’i­dée de patrie, au sens chau­vin et pro­vo­ca­teur que sous-entend sou­vent ce mot.

La pra­tique de l’es­pé­ran­to peut conduire l’hu­ma­ni­té à une concep­tion plus uni­ver­sa­liste et à une men­ta­li­té géné­rale qui accep­te­raient de don­ner une valeur de par­ti­cu­la­risme à la France, la Rus­sie, le Trans­vaal, sem­blable à celle que nous accor­dons actuel­le­ment, nous Fran­çais, à la Bre­tagne, la Pro­vence, la Lorraine.

La pra­tique de l’es­pé­ran­to a per­mis l’é­di­fi­ca­tion d’une vaste asso­cia­tion Mon­diale basée sur le prin­cipe de lutte de classes (Sen­na­cie­ca Aso­cio Tut­mon­da), par­ta­gée en sec­teurs par les méri­diens ter­restres, au sein de laquelle chaque adhé­rent se sent citoyen du monde et a droit à la plus entière liber­té de dis­cus­sion. Cette asso­cia­tion a per­mis et recom­man­dé la for­ma­tion en son sein de sec­tions spé­cia­li­sées par la pro­pa­gande espé­ran­tiste dans chaque milieu pro­lé­ta­rien : anar­chiste, socia­liste, com­mu­niste… Une adhé­sion ne peut être qu’in­di­vi­duelle et est don­née direc­te­ment, sans inter­mé­diaire, à l’or­ga­ni­sa­tion mon­diale (fait pos­sible uni­que­ment à cause de l’u­ni­té de langue).

Cette forme orga­nique d’une asso­cia­tion mon­diale n’est-elle pas la façon la plus sûre de saper l’au­to­ri­té des ber­gers du pro­lé­ta­riat et des bonzes de toutes natures, et ne conduit-elle pas à une conscience plus nette de l’ex­ploi­ta­tion capi­ta­liste puisque les œillères natio­nales et patrio­tiques n’existent plus. S.A.T. s’a­vère dans son essence une des orga­ni­sa­tions les plus froi­de­ment révo­lu­tion­naires des temps modernes. S.A.T. a vécu mal­gré la guerre, en veilleuse, et renaît aujourd’­hui pleine de forces nou­velles. Com­bien d’In­ter­na­tio­nales peuvent en dire autant ?

N’est-ce pas aujourd’­hui l’in­té­rêt des anar­chistes de se regrou­per mon­dia­le­ment en vue de sou­te­nir les luttes sociales qui ne man­que­ront pas de s’ou­vrir pro­chai­ne­ment sur divers points de la planète ?

À l’é­poque des avions rapides de 60 tonnes et de la T.S.F. trans­por­tant sur le globe entier les paroles humaines, l’é­di­fi­ca­tion d’une asso­cia­tion anar­chiste mon­diale n’est-elle pas une nécessité ?

Un des nôtres, un Rou­main, Ion. Capa­ta­na, mort ces der­nières années en pleine matu­ri­té intel­lec­tuelle, avait com­men­cé cette œuvre de rap­pro­che­ment des anar­chistes du monde par l’espéranto.

Nous devons reprendre le flam­beau là où il l’a laissé.

N. B. — Dès le 1er octobre sera ouvert au siège de la Fédé­ra­tion un cours d’es­pé­ran­to gui­dé par de jeunes liber­taires. Les liber­taires de pro­vince pour­ront suivre un cours par correspondance.

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