[(Nous extrayons de notre brochure « Les libertaires et le problème social » ce chapitre sur la distribution, la transaction et le crédit, qui donnera à nos lecteurs une idée exacte sur ce que nous entendons par la suppression de l’argent dans la Commune Libre de demain.
Il faut davantage l’entendre dans l’esprit d’une considération objective des réalités relativement permanentes plutôt que dans l’esprit que l’on nous prêterait d’avoir conçu un PLAN serré et définitif. Nous savons tout ce que peut avoir de caduc un plan devant les nécessités qui se renouvellent sans cesse. Mais on verra ici, tout de suite, le véritable esprit de ce réalisme en action, appuyé sur des valeurs actuelles qui resteront, quoi qu’il advienne, le principe moteur de tous les rapports entre les hommes tant qu’une autorité les empêchera vraiment de VIVRE.)]
La suppression de la monnaie, dans sa forme actuelle, est absolument indispensable si l’on veut détruire l’esprit de profit et de mercantilisme.
C’est l’argent qui permet la thésaurisation et le capitalisme.
C’est lui qui est la cause de tant de conflits entre les individus et aussi dans les collectivités.
Il est le facteur certain d’un abaissement du niveau moral.
Cependant, avant que la société nouvelle n’atteigne son but, c’est-à-dire avant que l’abondance ne permette une économie distributive (et nous entendons par là une distribution gratuite des produits et objets de toute nature), il est vraisemblable qu’une certaine période d’organisation et d’adaptation. S’écoulera.
Et donc, tant que l’abondance ne sera pas suffisante pour assurer cette distribution gratuite, il y aura lieu de maintenir, pour un temps, l’échange des produits consommables contre de la monnaie. La valeur de la monnaie sera calculée en tenant compte des quantités de produits consommables, de la somme de travail qu’ils auront nécessitée et de la demande qui en sera faite para la consommation.
La transaction subsistera donc, temporairement. Et, au fur et à mesure qu’un produit existera en quantité suffisante, il sera remis au consommateur gratuitement et sans rétribution quelconque, comme sans restriction.
Mais cette transaction, temporaire, vidée de tout contenu spéculatif, n’interviendra dans la distribution qu’en tant que régulatrice de celle-ci. Son seul objet sera de permettre à la liberté individuelle de se manifester sans compromettre ni l’équilibre économique, ni l’égalité au sens propre du mot.
Car l’égalité véritable et le respect de la liberté ne peuvent résider dans une compartimentation standard des besoins individuels ; pas plus que dans une consommation réglementée ou calculée mathématiquement suivant une méthode de rationnement que nous rejetons par avance et de toutes nos forces. Les mêmes choses peuvent avoir, selon les individus, les gouts et les besoins, une valeur très différente.
En matière de consommation, l’égalité et la liberté résident, avant tout, dans la faculté pour chacun, de choisir lui-même le produit qu’il veut consommer. Et cette faculté, la monnaie, seule, permet de la garantir pendant la période d’organisation.
Donc, pour un temps, les établissements de crédit (mais ils n’auront plus le même caractère que les banques d’aujourd’hui) seront d’une grande utilité.
Sur présentation du carnet de consommateur, ils remettront à l’intéressé de la monnaie, au prorata de la consommation permise par la production globale.
Cette quantité de monnaie sera la même pour tous, quelle que soit la fonction de chacun. Chaque individu aura la possibilité de faire de sa monnaie l’usage qui lui conviendra.
Mais, pour écarter toute idée de thésaurisation ou de capitalisation, cette monnaie ne sera valable que durant une période déterminée. Après, elle n’aura plus cours.
Ainsi, périodiquement, une nouvelle série de billets sera émise, qui annulera celle qui précédait. Il n’y aura plus d’autre intérêt pour le consommateur qu’à utiliser la totalité de la monnaie dont il disposera. Et il le fera d’autant plus volontiers que la société assurera largement la subsistance de tous ses membres, qu’ils soient ou non en état de produire.
Pour l’acquisition d’un objet représentant une très grosse somme de travail, une voiture, par exemple, le consommateur, après avoir indiqué à sa banque l’objet qu’il désire, pourra, avant l’annulation de chaque émission de monnaie, déposer une certaine quantité de celle-ci. L’établissement de crédit pourra même consentir l’avance nécessaire.
Comme on le voit, la monnaie fondante, tout en permettant la liberté la plus complète dans le choix des produits, ne permettra de spéculation d’aucune sorte.
Il est à prévoir qu’au début certaines branches de production ne pourront satisfaire toutes les demandes. Mais la consommation, par l’organe de ses coopératives fédérées, fera connaître les besoins les plus pressants. Ces productions seront alors, pour un temps déterminé, « prioritaires » et elles tendront à rendre gratuite, ou peu onéreuse, et dans les délais les plus brefs, la distribution des produits ou objets les plus indispensables à la vie.
Au fur et à mesure que la production s’intensifiera dans tous les domaines, la distribution gratuite se généralisera. Et la monnaie, étant de moins en moins utilisée, disparaîtra au fur et à mesure de cette intensification de la production.
On nous objectera alors qu’il se trouvera toujours des individus qui, ne voulant pas travailler, et voulant tout de même consommer, fabriqueront de faux carnets de consommateurs ou de la fausse monnaie. Non. Il faudrait être complètement déséquilibré pour aller perdre son temps d’une façon aussi stérile, parce que :
- En ce qui concerne la monnaie, le fait qu’elle sera fondante, et que les billets changeront donc très souvent, donnera au faux-monnayeur un travail beaucoup plus considérable que celui que la société lui demandera ;
- La même objection est valable en de qui concerne le carnet de consommation ;
- Raisonnablement, on se demande qui, dans la société où l’individu pourra satisfaire tous ses besoins, ira se compliquer l’existence en achetant de faux carnets de consommation ou de la fausse monnaie ?
D’autre part, la révolution serait inutile, et même non souhaitable, si elle n’amenait, à la suite des aménagements et des transformations radicales qu’elle suppose, une élévation du niveau intellectuel, moral et affectif des individus. C’est sur cela,. dût-on aujourd’hui en rire, que nous comptons aussi pour éviter toute entreprise du « système D » contre la communauté.