La Presse Anarchiste

L’armée française

On nous dit que la guerre est ter­mi­née. Bien que le canon ne se fasse plus entendre, nous devons faire des efforts pour y croire. Un fait demeure incon­tes­table : les impé­ria­lismes ont signé une trêve et il en résulte une paix rela­tive que cha­cun goûte avec joie.

Mais si vrai­ment la guerre n’est plus de mise, pour­quoi l’ar­mée est-elle encore tant à l’hon­neur ? La joie résul­tant de la « paix » retrou­vée ne doit pas nous faire oublier que le mili­ta­risme est une cause de guerre et que si les nations comme le Japon et l’Al­le­magne ont ver­sé si faci­le­ment dans un impé­ria­lisme outran­ciè­re­ment guer­rier, c’est qu’elles étaient impré­gnées d’un mili­ta­risme soigneusement 

Nous voi­ci, en France, affu­blés d’une armée dont on vou­drait connaître l’u­ti­li­té, – en sup­po­sant qu’une armée puisse être utile ! Et la presse, la radio, les dis­cours, de nous van­ter, à lon­gueur de jour­née, les bien­faits et la gloire de celle-ci. Le métier des armes est offi­ciel­le­ment clas­sé comme l’a­bou­tis­sant de la plus noble des voca­tions. (Les femmes elles-mêmes n’ont pas man­qué de revê­tir l’uniforme!).

Après 1918, ce pays connut une vague de mili­ta­risme due sans doute à la « vic­toire » de ses armées. Aujourd’­hui, l’i­dée de « vic­toire » de la nou­velle armée s’as­so­cie à celle de la néces­si­té d’un rééqui­pe­ment mili­taire aus­si pous­sé que pos­sible. Triste concep­tion d’une vic­toire « contre le mili­ta­risme alle­mand » que celle qui abou­tit à la renais­sance du mili­ta­risme français !

Et encore n’est-ce là que l’as­pect moral et poli­tique du pro­blème ; il y a aus­si le côté social, aux consé­quences immé­diates, qui ne manque pas d’être révol­tant. Alors que la popu­la­tion tra­vailleuse manque de tout, l’ar­mée se voit octroyer par prio­ri­té tout ce que l’in­dus­trie et l’a­gri­cul­ture peuvent offrir à la consommation.

Que des den­rées ali­men­taires arrivent en France, que le tex­tile pro­duise quelques articles, les usines quelques véhi­cules, l’ar­mée est invi­tée à se ser­vir la pre­mière. Pro­dui­sez, pro­dui­sez, ouvriers et pay­sans, l’ar­mée a besoin de vos bras !

Il y a pénu­rie de car­bu­rant pour ache­mi­ner le ravi­taille­ment, et pour­tant les routes sont encom­brées par les moto­cy­clettes, les voi­tures, les che­nillettes de la glo­rieuse armée fran­çaise ! Que d’of­fi­ciers se pré­valent de leurs galons pour pro­me­ner à bon compte, et dans de riches conduites inté­rieures, toute leur famille !

Certes, nous ne nous attar­de­rons pas à énu­mé­rer les exac­tions aux­quelles se livre fré­quem­ment cette nou­velle armée, car il est depuis long­temps démon­tré que la pra­tique de la vie mili­taire pré­dis­pose plus faci­le­ment au van­da­lisme qu’aux actions bienfaisantes.

On entend cou­ram­ment dire, par de simples sol­dats, qu’ils sont très mal nour­ris ; cepen­dant qu’en matière de ravi­taille­ment ils sont théo­ri­que­ment ser­vis avant la popu­la­tion civile. Ce qui donne une belle idée des capa­ci­tés admi­nis­tra­tives des inten­dants mili­taires ! (Gageons que ces der­niers ne font pas de mau­vaises affaires, même quand le simple sol­dat ne mange pas à sa faim.). À un moment où l’on fait du bat­tage en assu­rant qu’il faut avant tout pro­duire, où on nous répète à satié­té que le salut est dans le tra­vail ; où l’on reproche injus­te­ment aux tra­vailleurs affa­més d’a­voir une res­pon­sa­bi­li­té dans les len­teurs appor­tées à l’œuvre de recons­truc­tion, pour­quoi main­tient-on dans les for­ma­tions de l’ar­mée une mul­ti­tude d’hommes qui ne demandent qu’à reve­nir à la vie civile ?

Mais, au fait, que veut-on donc faire de cette armée ? Res­sus­ci­ter le mythe du pres­tige mili­taire de la France ? Se réser­ver la pos­si­bi­li­té de faire état, auprès des grands impé­ria­lismes vain­queurs, d’une « puis­sance mili­taire » qui les fera plu­tôt sou­rire ? Est-ce pour la lutte anti­fas­ciste que nos diri­geants ont tant besoin de sol­dats ? Non, bien sûr, car ceux qui consti­tuent les cadres de cette armée sont plus péné­trés des doc­trines de Mus­so­li­ni que de celles qui mènent à la liberté.

C’est pour assu­rer le main­tien de l’ordre bour­geois que cette armée sur­vit à la guerre. Elle est là pour écra­ser tout mou­ve­ment popu­laire pou­vant mettre en dan­ger les pré­ro­ga­tives patro­nales et l’au­to­ri­té de l’État. Elle a, pour elle, tous les pro­fi­teurs du régime actuel, et elle sau­ra, à l’oc­ca­sion, user de sa bru­ta­li­té cou­tu­mière pour cal­mer une popu­la­tion déci­dée à ren­ver­ser un édi­fice social que l’his­toire, la rai­son et le cœur condamnent.

À grands ren­forts de parades et de défi­lés mili­taires, de déploie­ments de ban­de­roles tri­co­lores et à grands coups de « Mar­seillaise » on tend à incul­quer au peuple l’a­mour de la force bru­tale, de l’«ordre » par la soumission.

Les tra­vailleurs ne s’y lais­se­ront pas prendre ; ils sau­ront voir dans la police et la puis­sance armée de l’État, la cui­rasse de leurs oppres­seurs, cui­rasse qui ne peut, un jour ou l’autre, que se trans­for­mer en une machine infer­nale pour laquelle ils ser­vi­raient de cible.

Le mili­ta­risme n’est ni plus humain, ni plus propre aujourd’­hui qu’­hier. Il consti­tue un dan­ger tou­jours aus­si grand pour l’hu­ma­ni­té tout entière et demeure, comme autre­fois, un bar­rage des­ti­né à empê­cher la révo­lu­tion de suivre son cours nor­mal. Que les grands de ce monde s’en affublent, c’est leur rôle. Mais c’est une honte pour les ani­ma­teurs des grandes orga­ni­sa­tions ouvrières et pré­ten­du­ment révo­lu­tion­naires, que de se faire les cham­pions d’une aus­si mau­vaise cause.

Quant à nous, nous ne mar­chons pas. Et le mili­ta­risme ne cesse de se situer, à nos yeux, au pre­mier rang des plus grands enne­mis de la liber­té du peuple.

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