Enfin ! Nous y sommes, dans cette période électorale, penseront ceux qui l’attendaient avec impatience. Pourtant, bonnes gens, à quoi bon vous impatienter, vous en aurez pour votre argent !
C’est le général de Gaulle en personne qui, au micro, a ouvert le feu. Le chef du gouvernement provisoire, soucieux du respect des « grandes traditions françaises », n’ignore pas, comme on le voit, cette vieille sentence populaire qui dit : « Charité bien ordonnée commence par soi-même. »
Avant même que la bataille soit engagée, les partis en présence (socialistes, communistes, radicaux, démocrates-chrétiens) ont tous tenu leur congrès et défini ce qu’ils appellent leur position. Pour éviter à leurs membres où sympathisants un effort cérébral inutile, ils ont pensé à leur place, et ceux-ci n’ont plus, pour voter, qu’à se conformer aux mots d’ordre venant d’en haut. C’est par ces méthodes qu’on « fait » un régime, mais c’est aussi par elles qu’on « refait » les électeurs.
À la vérité, jamais bulletin de vote ne fut offert à l’électeur moyen sous une forme aussi compliquée, et force nous est d’admettre que si, pour s’y reconnaître, il n’est pas nécessaire d’être docteur en droit, il n’est malgré tout pas très aisé de s’y retrouver.
Néanmoins, comme il s’agit, nous assure-t-on, de donner à l’État une structure entièrement nouvelle, de museler les puissances d’argent et de créer une véritable « démocratie sociale » qui mette fin aux misères du peuple, nous ne résistons pas au besoin d’examiner la question, sinon avec bienveillance (car nous ne croyons pas aux cadeaux des hommes d’État), du moins avec attention, Or, notre examen ne nous apporte point l’assurance que quelque chose va changer. Et force nous est, cette fois encore, de ne pas croire à la réalité de cette souveraineté populaire que tous, dans cette affaire, prétendent servir.
Aux termes du referendum, on demande aux électeurs de se prononcer pour telle ou telle autre méthode d’administration de la société TELLE QU’ELLE EST AUJOURD’HUI. On leur demande de choisir entre une vieille législation et une nouvelle, plus adaptée aux nécessités de l’économie capitaliste contemporaine. On demande aux travailleurs par quel moyen ils veulent être dévorés, comment ils entendent être gouvernés. On omet de leur demander : s’ils veulent une transformation réelle de la. société, de l’économie ; s’ils désirent voir l’État disparaître pour que lui soit substitué une organisation fédéraliste garantissant la liberté s’ils veulent, enfin, la suppression du régime capitaliste, dont le principe de base est le profit par l’exploitation de l’homme par l’homme, suppression qui suppose la disparition de la fonction patronale (et pas seulement celle des trusts).
Les dirigeants et les chefs de parti diront sans aucun doute qu’ils sont de bonne foi, qu’ils désirent mettre fin à l’injustice sociale et que c’est nous qui faisons de la surenchère et n’avons pas une vue très claire de toutes les données du problème. En ce cas, s’ils sont animés d’aussi bonnes intentions, voici, selon nous, en quels termes le référendum devrait être rédigé :
- Êtes-vous pour la disparition complète du patronat ?
- Êtes-vous pour l’égalité économique, pour l’abolition complète des privilèges, des inégalités. sociales (quelle que soit la fonction de chacun), pour la suppression de la propriété des moyens de production et, par conséquent, pour la libre association des producteurs ?
- Êtes-vous pour la suppression de l’armée et la substitution de la Fédération des communes libres à l’État ?
Si l’on présentait au peuple un referendum ainsi conçu, on pourrait alors parler de souveraineté populaire, car ce serait bien là lui remettre sa destinée entre les mains.
Que pourrait-on opposer de sérieux à un acte aussi plein de sagesse ? Mais il ne faut pas même envisager une telle hypothèse, car elle équivaudrait, pour la bourgeoisie, à l’abandon de tous ses privilèges. Ces privilèges, qu’elle conserve par la force, elle n’y renoncera jamais. Et le jour où elle n’en jouira plus, c’est qu’on les lui aura arrachés. Non point par un référendum, mais par la révolution sociale.
Le Libertaire