La Presse Anarchiste

Où va le syndicalisme

Depuis le 1er sep­tembre un dan­ge­reux conflit met vio­lem­ment aux prises la C.G.T. et le gou­ver­ne­ment. Nous ne pren­drons pas la peine de racon­ter un évé­ne­ment qui est pré­sent à tous les esprits : qu’il nous suf­fise de consta­ter le trouble pro­fond qu’il a pro­vo­qué dans le pays et une émo­tion qui n’est pas près d’être apai­sée. Notre rôle à nous est d’en recher­cher les causes et d’en peser les consé­quences. Elles nous appa­raissent sin­gu­liè­re­ment graves et menaçantes.

Tout récem­ment nous repro­chions à Jou­haux d’a­voir, par sa tra­hi­son de 1914, par sa poli­tique de la pré­sence, par sa sub­sti­tu­tion de l’in­té­rêt géné­ral à la lutte de classes, été l’agent le plus actif de la liqui­da­tion de l’i­déal syn­di­ca­liste tel qu’il fut défi­ni par ses fon­da­teurs, de Pel­lou­lier à Grif­fuelhes ; dans tous les actes de sa vie de mili­tant, et ceci dès le moment où il suc­cé­da à Grif­fuelhes au secré­ta­riat géné­ral de la C.G.T., Jou­haux a été la néga­tion per­son­ni­fiée des prin­cipes fon­da­men­taux du syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, à tel point que si d’au­cuns vou­laient écrire l’his­toire de la décom­po­si­tion du syn­di­ca­lisme, nous exa­gé­re­rions à peine en avan­çant qu’il leur suf­fi­rait de scru­ter la vie publique de cet homme néfaste.

Oh ! nous ne pré­ten­dons pas expli­quer l’His­toire par l’ac­tion d’un indi­vi­du, si supé­rieu­re­ment doué soit-il. Nous sen­tons bien qu’elle est com­man­dée par des néces­si­tés contre les­quelles le talent est impuis­sant ; nous savons par expé­rience que ses arrêts sont sans appel. Mais nous savons aus­si que lorsque les causes néces­saires dirigent l’é­vo­lu­tion de l’His­toire dans un sens déter­mi­né, un tel mou­ve­ment trouve tou­jours un homme aux facul­tés et aux ten­dances appro­priées à qui il appar­tien­dra de lui don­ner le maxi­mum de net­te­té et d’ac­cé­lé­rer le rythme de sa marche. Vers 1906, la ren­contre du mou­ve­ment ouvrier fran­çais et d’un homme aux facul­tés majeures, Vic­tor Grif­fuelhes, abou­tit au syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, avec sa morale sublime fon­dée sur l’ac­tion per­son­nelle et virile, la soli­da­ri­té et le refus de par­ve­nir. Jamais la classe ouvrière fran­çaise, jamais le peuple fran­çais n’est allé si loin, n’a mon­té si haut. Mais la déca­dence vient. La pro­fonde cor­rup­tion bour­geoise gagne le syn­di­ca­lisme qui va de plus en plus com­po­ser avec le régime. C’est le mou­ve­ment en sens contraire, la chute. Les temps de la médio­cri­té sont venus, et, PARCE QUE CELA EST NECESSAIRE, la médio­cri­té ren­contre, elle aus­si, son homme, homme aux facul­tés mineures, homme au génie médiocre. Avec lui l’a­bais­se­ment du syn­di­ca­lisme ne va pas s’ar­rê­ter. Jou­haux est là, et Jou­haux est à la fois le pro­duit, le sym­bole et l’agent le plus viru­lent de la ruine morale et de l’im­puis­sance du syn­di­ca­lisme français.

On se demande pour­tant com­ment cet homme ordi­nai­re­ment si avi­sé a pu com­mettre une gaffe aus­si monu­men­tale que la lettre à de Gaulle. Nous le savions dépour­vu du sens de la gran­deur et de la noblesse morales, comme nous connais­sions par ses écrits au style morne et prud­hom­mesque sa fon­cière absence de carac­tère et d’é­lé­va­tion intel­lec­tuelle. Jus­qu’à ces temps der­niers nous le pen­sions encore doué de cette qua­li­té d’ordre infé­rieur, mais qua­li­té tout de même, qui s’ap­pelle la ruse. Et Jou­haux se fait jouer comme un gamin.

La véri­té, c’est que cet homme s’ac­croche déses­pé­ré­ment au pou­voir qui lui échappe. Chef du syn­di­ca­lisme, il a ache­vé l’œuvre pour laquelle la néces­si­té his­to­rique a fait naître : il a tué le syn­di­ca­lisme et, ce fai­sant, il s’est ren­du inutile, il s’est sui­ci­dé. Le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire défi­ni­ti­ve­ment liqui­dé, la C.G.T. devient aujourd’­hui tout natu­rel­le­ment l’ap­pen­dice d’un par­ti. N’ayant plus ni pen­sée ni prin­cipes propres, elle ne peut plus être autre chose que l’ins­tru­ment de la poli­tique d’un par­ti. On sait main­te­nant lequel.

Mais elle est dure pour Jou­haux la sen­tence qui lui ordonne de dis­pa­raître. Fra­chon pour­tant s’im­pa­tiente. Alors le bureau confé­dé­ral, en majo­ri­té com­mu­niste, décide d’en­ga­ger la C.G.T. dans une démarche désho­no­rante. Il ne sera même pas ques­tion des grands pro­blèmes éco­no­miques et poli­tiques qui inté­ressent la classe ouvrière, pas même de la Consti­tu­tion puisque les par­tis asso­ciés à la démarche sont, sur cette ques­tion, aus­si pro­fon­dé­ment divi­sés qu’il est per­mis de l’être. Il s’a­git d’une misé­rable affaire de décou­pages de cir­cons­crip­tions, de bif­tecks élec­to­raux. Les cliques poli­ti­ciennes se com­battent avec un achar­ne­ment appa­rent pour trom­per la dupe popu­laire, mais on s’en­tend dans la cou­lisse comme lar­rons en foire, les hon­teuses mœurs franc-maçonnes continuent.

En cédant au chan­tage des poli­ti­ciens de la C.G.T., Jou­haux a cri­mi­nel­le­ment expo­sé le mou­ve­ment syn­di­cal fran­çais à une honte et à une humi­lia­tion immé­ri­tées, car nous savons qu’un grand nombre de mili­tants syn­di­ca­listes ne se soli­da­risent pas et ne se soli­da­ri­se­ront jamais avec un tel aban­don de ce qui conti­nue à res­ter pour eux la véri­té d’une lutte où ils n’ont ces­sé d’être pré­sents : le main­tien du syn­di­ca­lisme hors des atteintes des mar­chan­dages et de la pour­ri­ture poli­tique pour tendre uni­que­ment vers son véri­table objec­tif : le ren­ver­se­ment de toutes les forces d’ex­ploi­ta­tion et de domi­na­tion du capi­ta­lisme par leur com­bat sur les lieux mêmes du tra­vail et à tra­vers leur condi­tion de salariés.

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