La Presse Anarchiste

Quand l’édifice de M. De Saulieu s’effrite

Le numé­ro de mai (n° 436) du jour­nal les Rou­tiers nous fait l’hon­neur de cri­ti­quer un article sur le syn­di­cat uni­taire des chauf­feurs rou­tiers, paru dans Soli­da­ri­té ouvrière. Il n’é­tait pas pos­sible de mieux faire pour ouvrir les yeux des lec­teurs du jour­nal patro­nal, qui ignorent sou­vent la signi­fi­ca­tion de ce syn­di­cat, et qui tombent dans le pan­neau des belles promesses.

On entre­tient les tra­vailleurs pour mieux les exploi­ter ; c’est la rai­son pour laquelle nous avons déci­dé la créa­tion de ce jour­nal qui, j’en suis sûr, inté­res­se­ra au plus haut point les quelques mil­liers de lec­teurs qui, déjà, lisent nos lignes et les font connaître.

Syndicat ou amicale

Il est impor­tant de signa­ler que le syn­di­cat des rou­tiers a plus ten­dance à frei­ner les actions qu’à les engen­drer ; jamais à ma connais­sance il ne fut ten­té quoi que ce soit chez eux, et, qui plus est, on y a tou­jours cri­ti­qué ceux qui avaient osé.

M. de Sau­lieu ne risque pas de prendre une posi­tion contraire à l’in­té­rêt de la nation. Mais pour faire croire à sa bonne foi, il n’hé­site pas à crier son indi­gna­tion à chaque déci­sion du gou­ver­ne­ment contraire aux inté­rêts des tra­vailleurs. Peut-il croire que les tra­vailleurs res­te­ront long­temps dupes de son ciné­ma ? Mal­heu­reu­se­ment, pour beau­coup de chauf­feurs, le temps manque pour s’in­for­mer, et beau­coup pensent encore que lui seul est capable de les défendre.

Des congrès bidons

Il me sou­vient du seul congrès auquel j’ai eu le pri­vi­lège d’as­sis­ter, pour me rendre compte que jamais les repré­sen­tants des tra­vailleurs ne devraient être élus sans une véri­table for­ma­tion syn­di­cale. À ce congrès, où étaient réunis quelque six cents délé­gués, j’ai pu consta­ter qu’il était de bon ton d’ap­plau­dir à la fin d’un dis­cours, même si l’on n’a­vait rien compris.

Aus­si, ne vou­lant pas être com­plices de votes tru­qués par des com­bi­nai­sons adroites, avons-nous déci­dé d’a­gir, tout d’a­bord au sein de l’or­ga­ni­sa­tion dont nous avons ten­té de faire chan­ger les orien­ta­tions, et dont nous avons essayé de faire appli­quer les sta­tuts, constam­ment vio­lés ; puis à l’ex­té­rieur en créant un autre syndicat.

L’autre jour, alors que j’al­lais gros­sir le flot des vacan­ciers sur les routes, mon atten­tion fut atti­rée par le fameux flash, édi­té et dif­fu­sé par le comi­té natio­nal d’ac­tion de cette orga­ni­sa­tion, qui uti­lise pour cela l’argent des adhé­rents et qui était affi­ché sur le pan­neau publi­ci­taire de « Ricard », l’a­mi des rou­tiers, cet ami qui vous veut du mal, expo­sé bien en vue dans un de ces relais aux insignes des rou­tiers. On ne recule devant aucun sacri­fice, même pour la publi­ci­té, et la rue d’Is­ly accepte tout ce qui paie.

Ce flash dénon­çait l’ac­tion enga­gée par une orga­ni­sa­tion du Midi, qui, si elle n’a­vait pas le mérite d’être repré­sen­ta­tive, avait au moins celui de ten­ter quelque chose pour faire appa­raître le grave pro­blème dont est vic­time la caté­go­rie des tra­vailleurs de la route.

Si cette ten­ta­tive a échoué, je ne vois pas la rai­son pour laquelle on doit la cri­ti­quer si ce n’est que le fait qu’elle a mis en dif­fi­cul­té cer­tains de ses membres ayant par­ti­ci­pé à l’ac­tion. Mais alors, Mon­sieur de Sau­lieu, que pré­co­ni­sez-vous de bon ?

Politique de boutique

Pour­quoi avez-vous refu­sé un cer­tain temps l’offre de l’u­ni­té d’ac­tion que vous avait faite une orga­ni­sa­tion du Nord ? Peut-être aviez-vous encore en vous cette ran­cune que dans votre classe sociale on oublie dif­fi­ci­le­ment ; ceci aurait peut-être per­mis une faci­li­té et cer­tai­ne­ment une plus grande rapi­di­té dans les dif­fé­rentes trac­ta­tions enga­gées pour la satis­fac­tion de ces reven­di­ca­tions que vous-même avez sou­vent jugées longues à obtenir.

Il est bien évident que la prompte réa­li­sa­tion de ces trac­ta­tions vous pla­ce­rait dans une situa­tion précaire.

Alors les bonnes poires juteuses que vous citiez un jour seraient finies et je suis de cet avis en ce qui concerne votre idée à ce sujet, enfin, met­tez-vous à la place de tous ces braves bougres qui ont tou­jours été dupés par leur syn­di­cat qui n’en était pas un ! Moi, je me mets à leur place, et je puis vous assu­rer que je ferai tout ce qui humai­ne­ment pos­sible de faire pour les empê­cher de com­mettre une nou­velle erreur. Je vous en prie, Mon­sieur de Seau­lieu, ne me remer­ciez pas ! La seule pen­sée que bien­tôt vous serez obli­gé de tout pla­quer me comble de joie.

Ma conso­la­tion sera de voir des heu­reux autour de moi bien­tôt ; car je suis cer­tain que quelque chose va chan­ger avant long­temps et là je puis vous dire que je n’ou­blie­rai pas les bien­faits de vous et des vôtres.

Un chauf­feur routier.

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