La Presse Anarchiste

Une manif qui aurait pu bien tourner

[(La mani­fes­ta­tion du 26 août a ris­qué de bien mal tour­ner pour les élec­to­ra­listes de tous bords. Com­men­cée dans « le calme et la digni­té » — le ton était don­né par quelques por­teurs de haut-par­leurs aux slo­gans gen­ti­ment réfor­mistes et la res­pec­ta­bi­li­té repré­sen­tée par des por­teurs d’é­charpes tri­co­lores — elle faillit échap­per au contrôle des orga­ni­sa­teurs sous l’ac­tion d’un noyau très dur pla­cé au centre des élé­ments de la C.F.D.T.)]

Dès le départ de Saint-Lazare, le ton mon­tait, aux slo­gans pro­po­sés par les repré­sen­tants des orga­ni­sa­tions appe­lant à la mani­fes­ta­tion — C.G.T., C.F.D.T., P.C., P.S. — tels que « Pom­pi­dou, dans le métro », on enten­dait « Pom­pi­dou, sous le métro» ; à « huit par mètre car­ré, on veut pas cre­ver », quelques mil­liers alen­tour scan­daient : « Ce n’est qu’un début, conti­nuons le com­bat!»; quant au slo­gan « des cré­dits pour les trans­ports », la foule y répon­dait par « l’Internationale ».

À bas l’État, les flics et les patrons

On put entendre, repris par des mil­liers de voix : « À bas l’É­tat, les flics et les patrons ! » La vision de quelques uni­formes exas­pé­ra éga­le­ment la ten­sion dans une grande par­tie du cortège.

À l’é­tat-major de la C.G.T., on devait s’in­quié­ter. Les quelques sec­tions cégé­tistes et les repré­sen­tants de l’U­nion des syn­di­cats de Paris plièrent leurs ban­de­roles et rejoi­gnirent la tête du cortège.

Arri­vé à Pois­son­nière, alors que la tête de la mani­fes­ta­tion se dis­per­sait, un cer­tain flot­te­ment fut res­sen­ti dans la foule. On impro­vi­sa un « sit in ». À ce moment, le lan­ceur de slo­gans de la C.F.D.T., sur­mon­té d’un énorme méga­phone, annon­ça que la mani­fes­ta­tion était ter­mi­née et qu’il fal­lait se dis­per­ser. Spon­ta­né­ment, quelques mil­liers de per­sonnes se sont levées en criant dans tous les sens « manif bidon, y’en a marre », « dis­per­sion, tra­hi­son », « le pou­voir est dans la rue ».

Tentative de détournement

À ce moment d’exas­pé­ra­tion, des voix pro­po­sèrent de se diri­ger vers la gare du Nord. On par­tit dans un grand mou­ve­ment d’enthousiasme.

Qu’al­lait faire le reste de la mani­fes­ta­tion ? Évi­dem­ment, l’oc­cu­pa­tion spon­ta­née de la gare du Nord par plu­sieurs mil­liers de mani­fes­tants aurait eu un impact infi­ni­ment plus fort que la petite balade qui pré­cé­dait. Mal­heu­reu­se­ment, les ser­vices d’ordre divers firent leur œuvre et nombre de cama­rades déci­dés au départ se dis­per­sèrent sur les trot­toirs, for­mant une mou­vance que le moindre inci­dent eût allumé.

Nous devons atti­rer l’at­ten­tion des cama­rades sur le réa­lisme poli­tique de ce noyau dur. L’er­reur aurait été d’oc­cu­per la gare à trop peu de per­sonnes et de s’y faire cueillir après un baroud inutile et san­glant. Voyant qu’un trop petit nombre de mani­fes­tants avaient sui­vi — quelques cen­taines — tous se dis­per­sèrent, lais­sant les trois ou quatre com­pa­gnies de C.R.S. qui bou­claient les alen­tours de la gare sur leur faim de matraquage.

En conclu­sion, nous avons pu consta­ter un grand mécon­ten­te­ment par­mi les mani­fes­tants, même si le détour­ne­ment amor­cé n’a pas réus­si plei­ne­ment. Remar­quons au pas­sage qu’au­cun organe de presse n’en a par­lé. Remar­quons éga­le­ment que cette colère était spon­ta­née, aucun membre des par­tis diri­gean­tistes n’é­taient pré­sents ; assu­ré­ment les consignes étaient au calme.

Un slo­gan fut par­ti­cu­liè­re­ment repris par les mani­fes­tants : « Ce n’est qu’un début, la ren­trée sera chaude ! » À nous tous de rendre cet espoir vivant.

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