Les dix-huit mois sont votés. Ceci ne va peut-être pas faire l’affaire des milliers de gars encasernés qui s’attendaient — douces illusions ! — à ne croupir qu’un an, voire même 6 ou 8 mois, dans une cour de quartier « sous l’œil féroce des juteux » et des rempiles de tout poil et de tout grade.
Le militarisme est toujours debout, plus triomphant, plus insolent, malgré les apparences, qu’avant la trop fameuse guerre du « Droit » et de la « Civilisation. »
Les patriotards de cœur ou de profession ont beau hurler sur tous les toits que « leur armée » se trouve considérablement réduite, du fait de cette décision de nos honorables, il n’en reste pas moins certain que le monstre est encore solide, très solide, assez robuste pour blesser grièvement le prolétariat en révolte contre ses oppresseurs.
Les naïfs qui croyaient qu’après l’odieuse tuerie de 1914 – 1918, il ne resterait plus un seul soldat en France — il y eut de ces spécimens de candeur inconcevable — les « jobards » qui étaient persuadés qu’après cette tragique hécatombe, il n’y aurait plus d’armée, n’ont pas songé certes, qu’il faudrait toujours une armée pour défendre et sauvegarder les privilèges des riches.
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Dans quelques jours, vers le 10 mai, la première portion de la classe 1922, s’acheminera vers ses… nouvelles prisons.
Tristes heures que celles qu’ils auront à couler, ces pauvres gosses, et de combien d’humiliations et de vexations se chiffrera leur séjour au régiment…
Je me souviens que mobilisé en avril 1915, j’étais déjà écœuré avant de prendre le train, en gare Montparnasse, lequel devait me conduire dans le fin fond de la Mayenne. On pourra m’objecter que je n’aurais pas eu mal au cœur si j’avais dédaigné de me rendre au rendez-vous que me donnait l’autorité militaire.
Sans doute, mais dans la Société présente, on ne fait pas toujours ce que l’on veut, et les circonstances nous obligent trop souvent à accomplir tel acte, tel geste qui nous dégoûte.
Que ceux qui partent à la caserne observent et comprennent enfin, s’ils n’ont pas encore compris. Et qu’à leur retour, ils viennent grossir nos rangs pour faire qu’un jour, personne ne soit plus astreint à perdre son temps et sa jeunesse dans un quelconque Paimpol ou Landerneau.
À vingt ans, il est préférable d’effeuiller la marguerite en compagnie d’une amie aimée que de feuilleter, jusqu’à s’y abrutir, les trop nombreuses pages d’une théorie stupide et barbare.
[/Un Contempteur de l’Armée./]
P. S. — Je n’ai reçu, ce mois-ci, aucun renseignement concernant la vie des mobilisés dans leurs garnisons respectives. Je suis même sans nouvelles de mon fidèle correspondant rouennais.
Je rappelle à tous ceux qui s’intéressent à cette rubrique, qu’il est utile de m’adresser des « tuyaux » sur la vie au régiment.
C’est avec des faits réels, vécus, qu’on parvient à émouvoir les indifférents, et peut-être même les adversaires, lesquels, par la suite, peuvent se sentir attirés vers nous et devenir sinon anarchistes, du moins sympathiques à notre mouvement.
Allons, habitants du Nord, de l’Ouest, de l’Est et du Midi, qui lisez la « Revue », ou y êtes abonnés ! Envoyez-moi des renseignements édifiants, mais sûrs, réels, exacts.
[/Un Contempteur de l’Armée./]