La Presse Anarchiste

La femme et l’exemple

« Les femmes, dit un philosophe mod­erne, peu­vent-elles, d’une façon générale, être justes, étant si accou­tumées à aimer, à pren­dre, d’abord, les sen­ti­ments pour ou con­tre ? C’est d’abord pour cela qu’elles sont rarement épris­es des choses, plus sou­vent des per­son­nes. » Et, selon lui, cette manière d’agir est une infériorité.

On peut aisé­ment s’expliquer cette soi-dis­ant inféri­or­ité de la femme par sa nature physique et morale. En elle se fait sen­tir, plus forte­ment qu’en l’homme, le besoin de réal­ités tan­gi­bles, d’idées capa­bles de sup­port­er l’épreuve des faits et de la vie. Elle reste, mal­gré tout l’idéalisme dont elle est capa­ble, pro­fondé­ment util­i­taire, et recher­chant, d’abord un bon­heur ter­restre. Il n’est donc pas éton­nant qu’elle soit, avant tout, pra­tique, et influ­encée surtout par des exem­ples vivants et con­crets. Si elle est plus sen­si­ble aux sen­ti­ments qu’aux idées abstraites, si la tour­nure de son esprit ne lui per­met pas de jouir d’un dilet­tan­tisme pure­ment intel­lectuel, il ne peut y avoir là nulle inféri­or­ité. S’il est impos­si­ble à l’esprit féminin, de dis­soci­er, dans un homme, la pen­sée et les actes, dans un écrivain ou un philosophe, les œuvres et la vie, cela sig­ni­fie sim­ple­ment que la femme ne manque pas de logique, bien que, très sou­vent, on l’en ait accusée. « Car les idées n’existent qu’autant qu’il y a des hommes pour les penser et les viv­i­fi­er ; il faut qu’elles s’incarnent pour acquérir la vital­ité et la force. »

C’est parce qu’elle sent, instinc­tive­ment, cette vérité, que la femme aime les réal­i­sa­tions con­crètes de l’idéal qu’elle choisit. On la dit portée à l’imitation : c’est qu’en elle l’idée aus­sitôt se trans­forme en principe d’action ; et une pen­sée doit, d’abord, mon­tr­er sa puis­sance en mod­i­fi­ant la vie. Il est dif­fi­cile, sans doute, de lui faire admet­tre une idée pro­fonde et neuve, capa­ble de mod­i­fi­er ses con­nais­sances acquis­es ; il est, par con­tre, presque aus­si impos­si­ble de lui présen­ter une idée intéres­sante sans qu’elle s’applique, aus­sitôt l’idée admise, à la réalis­er dans sa con­duite. Il faut à son esprit un exem­ple, un être vivant, une vie humaine. Elle a besoin de voir se refléter dans les actes d’un homme, un peu de l’idée qu’elle admire. Il faut qu’un ray­on de cette lumière descende dans notre hum­ble exis­tence, il faut que, par­mi nous, elle soit dev­enue de la vie…

Mais pour être capa­ble de mod­i­fi­er, ain­si, une exis­tence humaine, pour qu’elle puisse l’embellir ou la faire plus heureuse, il faut que l’idée ait une valeur incon­testable. Car l’exemple se con­fond avec l’éducation, dont il est la par­tie essen­tielle­ment vivante. Une belle vie est l’enseignement le plus clair et le plus noble qu’on puisse don­ner aux hommes. Elle inspire un sen­ti­ment d’admiration qui nous élève, parce qu’alors « l’âme se porte à la hau­teur de ce qu’elle admire. »

C’est dans le choix du mod­èle, de l’exemple à suiv­re, de l’idéal à réalis­er que se trou­vent, d’abord, les écueils. Un esprit cri­tique dis­tingue vite les idées inap­plic­a­bles, et par­mi les autres, celles qui con­vi­en­nent le mieux à sa pro­pre per­son­nal­ité, à ses apti­tudes hérédi­taires, à ses goûts. Il s’efforce de rester « en har­monie avec lui-même » grâce à un con­trôle et à une édu­ca­tion aver­tie, mais pro­pre­ment indi­vidu­elle et expéri­men­tale. À défaut de cette cri­tique con­stante, l’individu, et la femme peut-être plus encore que l’homme, devient sujet aux influ­ences néfastes de l’exemple. C’est alors qu’il accepte les opin­ions toutes faites, les sug­ges­tions absur­des, les préjugés crim­inels, tout ce qu’on acquiert par con­ta­gion, tout ce qu’on fait pour la seule rai­son que les autres le font. C’est donc la porte ouverte à toutes les erreurs, à tous les engoue­ments pas­sagers mais néfastes. C’est enfin — dépourvus du con­trôle per­son­nel que tout être humain doit exercer sur ses opin­ions et ses actes — les exagéra­tions et les excès qu’on attribue, presque tou­jours, au car­ac­tère féminin.

Et, cepen­dant, quelle force y a‑t-il, qui soit plus puis­sante que l’exemple, pour stim­uler et entraîn­er les éner­gies humaines, spé­ciale­ment chez les femmes et les enfants ? Mais, de même que « la langue », dont par­le la fable, elle peut être suiv­ant l’usage qu’on en fait, funeste ou bien­faisante. C’est pourquoi l’individu — homme ou femme — qui aspire à propager inten­sé­ment ses idées, doit s’efforcer d’abord de doit [[Cette phrase peu claire appa­raît tel que dans la revue, sans doute en rai­son d’une erreur typographique. Aucun erra­tum n’a été pub­lié par la suite.]], comme un beau feu clair, réchauf­fer et éclair­er sa vie ; et c’est à lui sans doute que s’applique, éter­nelle­ment, cette pen­sée de Goethe, dont l’existence entière fut une ascen­sion les met­tre en pra­tique. L’idéal qu’il conçoit vers tou­jours plus de lumière : « Si ta vie même n’est d’abord un poème, com­ment pour­rais-tu être digne de la plus haute destinée ? »

[/Une Révoltée/].


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