La Presse Anarchiste

Vers une fédération unitaire des travailleurs du monde

Afin de bien com­prendre l’importance du mou­ve­ment syn­di­ca­liste que la C.G.T.U. repré­sente en France et de dis­cer­ner la nature et la puis­sance de l’action mon­diale d’émancipation qui doit résul­ter de la nou­velle orga­ni­sa­tion des tra­vailleurs, il suf­fit d’observer autour de nous les manœuvres déses­pé­rées des vieilles cen­trales syn­di­cales (en com­men­çant par la C.G.T. de la rue Lafayette) et les évo­lu­tions acro­ba­tiques des par­ties com­mu­nistes et socialistes.

De tous les côtés nous assis­tons aux affres et aux contor­sions gro­tesques d’une ago­nie sans courage.

C’est M. Jou­haux dont les effec­tifs fondent et que les ministres de la Répu­blique ne prennent même plus au sérieux. C’est M. Dumou­lin posant sa can­di­da­ture comme conseiller tech­nique du gou­ver­ne­ment fran­çais et subis­sant l’affront d’un reca­lage. La C.G.T. offi­cielle a trop mau­vaise mine. Ses par­rains Poin­ca­ré et Mil­le­rand n’osent la mener dans le monde. Ils en ont honte comme d’une fille trop maigre, trop jaune. Jou­haux et Dumou­lin ne peuvent plus se livrer à leurs petits exer­cices de chan­tage. Ils ont trop usé du Pro­lé­ta­riat… ça ne prend, pas plus sur les Bour­geois et leurs ministres que sur les pro­lé­taires. Fini­ta la com­me­dia. Il va fal­loir déchanter.

En Alle­magne, la sec­tion natio­nale d’Amsterdam, riche de coti­sants mais pauvre de mili­tants, s’est faite l’auxiliaire la plus pré­cieuse du gou­ver­ne­ment d’Ebert et de Rathe­nau. Les syn­di­cats qui en dépendent ont pour but essen­tiel de com­pri­mer tout mou­ve­ment révo­lu­tion­naire de classe et de faire ser­vir la force pro­lé­ta­rienne aux inté­rêts géné­raux de la nation alle­mande. Nous en avons eu un exemple lors de la der­nière grève géné­rale des che­mins de fer.

En Angle­terre, le Trade-Unio­nisme a châ­tré le syn­di­ca­lisme. Les ouvriers, selon ses méthodes, prennent leur par­ti du régime d’exploitation et se contente de béné­fi­cier des garan­ties pro­vi­soires que leur concèdent Patro­nat et État, sous forme d’un illu­soire contrôle et d’un sort maté­riel plus lar­ge­ment assu­ré, sans sou­ci des mil­liers et des mil­liers de sans-tra­vail qui peuplent les bas-quar­tiers de leurs misères sordides.

Voi­là, pour l’Internationale d’Amsterdam, le bilan du mou­ve­ment ouvrier. Triste tableau de ser­vi­tude et d’égoïsme mesquin !

Quant à l’Internationale « syn­di­cale rouge », celle de Mos­cou, il n’est pas besoin de faire le tour du monde pour en connaître l’activité. Elle se réduit aux seuls syn­di­cats de Rus­sie. Et nous savons la vie ser­vile de ces orga­ni­sa­tions. Sous la dépen­dance abso­lue du par­ti com­mu­niste, c’est-à-dire de l’État russe, les syn­di­cats n’ont aucune liber­té d’opinion, aucune liber­té de reven­di­ca­tion, aucune pos­si­bi­li­té d’action. Le droit de grève leur est refu­sé. Les délé­gués d’usines et d’ateliers sont dési­gnés par un comi­té sous la haute tutelle des auto­ri­tés bol­che­vistes et sou­mis à l’approbation… obli­ga­toire des ouvriers.

Par la confu­sion de l’État et du pro­lé­ta­riat, on anni­hile l’activité éman­ci­pa­trice des travailleurs.

Ain­si, dans les deux Inter­na­tio­nales « syn­di­cales » nous consta­tons le même renie­ment des prin­cipes du syn­di­ca­lisme, la même abdi­ca­tion de la force ouvrière et de la liber­té du tra­vailleur entre les mains du Pou­voir, la même capi­tu­la­tion du pro­duc­teur devant le fonc­tion­naire, repré­sen­tant de la rai­son d’État.

Quant aux par­tis poli­tiques, leur jeu est trop gros­sier pour que nous nous attar­dions à en ana­ly­ser les péri­pé­ties. Ils peuvent d’ailleurs tout se per­mettre, puisqu’ils échappent tous éga­le­ment au contrôle direct de la classe ouvrière. Par leur recru­te­ment et par leurs fins, ils sont plu­tôt des­ti­nés à faire exer­cer sur la classe ouvrière le contrôle de leurs comi­tés directeurs.

Plus un par­ti est social, socia­liste ou com­mu­niste, plus il se per­met de sur­veiller de près le monde des exploi­tés, de le gui­der, de le commander.

Que l’Internationale poli­tique soit IIe, IIe et demie ou IIIe, c’est tou­jours à la Dic­ta­ture sur le pro­lé­ta­riat qu’elle aspire. Aus­si les Cachin, les Van­der­velde, les Lon­guet, les Kras­sine, les Blum et les Sou­va­rine, peuvent-ils se sépa­rer, puis se rejoindre, s’injurier et s’embrasser, ça ne signi­fie jamais qu’une même ambi­tion de domi­ner, dont les tra­vailleurs n’ont rien à espé­rer, que la conti­nua­tion de leur misère et de leur esclavage.

D’ailleurs, les faits his­to­riques viennent illus­trer aux yeux du peuple la vani­té des par­tis. Lénine signant un trai­té d’alliance avec Rathe­nau qui vient de livrer, par l’intermédiaire de Poin­ca­ré, au gou­ver­ne­ment d’Espagne nos cama­rades syn­di­ca­listes Joa­chi­na Concep­tion et Nico­lau Fort… Voi­là de quoi dégoû­ter les pro­lé­taires de la « dic­ta­ture du prolétariat » !

À tant de lâche­té, de capi­tu­la­tions, de diplo­ma­tie, qu’oppose notre C.G.T.U.? La seule force de sa pure­té pro­lé­ta­rienne. Elle groupe les pro­duc­teurs sur le ter­rain de la pro­duc­tion ; elle leur montre la lutte de classes comme un fait ; elle leur désigne les causes du mal social : l’exploitation capi­ta­liste et l’autorité gou­ver­ne­men­tale. Elle com­bat tout ce qui se super­pose à l’activité des tra­vailleurs : patro­nat et État. Elle appelle tous les exploi­tés au sein de leur orga­ni­sa­tion de classe, afin de pré­pa­rer la révo­lu­tion qui ne sera éman­ci­pa­trice que par l’œuvre même des tra­vailleurs. Elle se pré­pare à la ges­tion des biens issus de l’activité de ses adhé­rents. Elle tue en elle le fonc­tion­na­risme et le cen­tra­lisme géné­ra­teurs d’Autorité. Elle anime les régions. Elle donne plus de vie aux loca­li­tés, plus de puis­sance et d’initiative à l’individu.

Enfin son­geant a une Inter­na­tio­nale des tra­vailleurs, elle ne cherche de liens par le globe que ceux de la soli­da­ri­té dans la pro­duc­tion et dans l’émancipation humaine. Elle dédaigne le centre poli­ti­co syn­di­cal d’Amsterdam lié avec la Démo­cra­tie bour­geoise ; elle s’écarte du centre poli­ti­co syn­di­cal de Mos­cou lié avec la Dic­ta­ture bol­che­viste. Elle fait appel aux tra­vailleurs, par­tout où ils s’associent entre eux, pour for­mer la seule Inter­na­tio­nale qu’elle connaisse : celle des exploi­tés de tous pays, sans-patrie et sans lois, avides de jouir libre­ment des biens com­muns d’une terre dont ils sont les seuls ouvriers.

D’Espagne, d’Italie, d’Amérique, déjà des voix puis­santes s’élèvent pour se joindre à celle de la C.G.T.U. Voix pures, voix annon­cia­trices d’un demain qui nous accor­de­ra, dans la déroute défi­ni­tive de tous les cor­beaux de poli­tique, la Fédé­ra­tion uni­taire des tra­vailleurs du Monde.

[/​André Colo­mer./​]

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