La Revue, dans son dernier numéro, se gausse jovialement de nous, et assaisonne ses arguments niais d’un gros sel, qui nous le croyons passera difficilement pour Gaulois aux yeux de ses lecteurs. Elle veut à être comique, qu’elle s’en tienne donc là, la pauvre fille ! et ne se mêle plus de faire de la critique anti-socialiste. Ça lui va trop mal.
Dès l’abord, son rédacteur s’esclaffe ; les idées n’éclosent pas facilement dans sa cervelle de bourgeois, son sang pâle (et probablement à température variable) ne bat jamais bien fort dans ses artères. Quant à une pensée altruiste, c’est un merle blanc qui ne s’est jamais égaré dans courge aussi vide. Aussi, est-il tout ébaubi et nous le dit-il bêtement, d’apprendre que nous avons un idéal dont nous poursuivons la réalisation.
Puis après une longue colonne de balivernes, sans queue ni tête, il nous lance les mirifiques arguments qui doivent nous tomber. Vrai, bourgeoisillon de mon cœur, (par anti-phrase) tu n’es pas malin !
Comme morceau de résistance, nous avons l’inévitable apologie de l’ouvrier honnête qui accepte sans murmurer l’inégalité
Et ou avez-vous vu qu’elle est forcée, cette inégalité, c’est à dire éternelle ? Est-ce par ce que vous êtes les plus forts ; ou bien de ce que le peuple a jusqu’ici eu la bêtise de respecter vos privilèges, concluez-vous que forcément il les respectera toujours ?
D’ailleurs, c’est un plat réchauffé que vous nous servez ; la rengaine est vieille, elle date du siècle dernier et était jetée à la tête des bourgeois d’alors par les défenseurs de la noblesse et du clergé. Ce qui n’a pas empêché vos pères (qui n’étaient pas ce jour-là du côté des honnêtes gens) avec l’aide puissant du peuple, de briser cette inégalité forcée et de supprimer les anciennes castes.
Aujourd’hui le peuple, (du moins en partie) conscient de ses intérêts, veut faire contre la Bourgeoisie une Révolution semblable à celle qu’elle fit contre la noblesse. Vous poussez des cris de paon, c’est naturel ! Il n’y a tel comme un voleur pour se débattre, comme un beau diable s’il est question de lui faire rendre gorge. Et c’est le cas, nous voulons reprendre le capital social, injustement détenu par vous, et le mettre dans les mains de ceux qui l’utilisent directement : donner le champ au paysan, la mine au mineur, l’outil à l’ouvrier.
Quant à votre or, si vous y tenez trop nous vous le laisserons ; si vous ne voulez pas produire vous-même, mettre enfin la main à la pâte, eh bien, vous le mangerez !
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Vous nous reprochez nos vices, à nous travailleurs c’est peu adroit, vous apercevez la paille de notre œil, mais ne voyez pas votre poutre.
Les vices du peuple sont la conséquence de sa misère, de son sort précaire ; mais, que le milieu démoralisateur qui lui est fait par ses exploiteurs soit détruit, et alors ses passions n’étant plus comprimées elles auront un essor harmonieux, qui tournera au profit de l’humanité. N’étant plus surmené par un travail exorbitant, il ne cherchera pas les brutales distractions qui lui sont fatalement nécessaires aujourd’hui ; toutes les jouissances intellectuelles étant à sa portée, au lieu d’être le privilège d’une classe, suffiront amplement à satisfaire ses besoins d’activité, aidées du travail matériel, qui librement accompli, ne sera guère qu’une gymnastique corporelle.
Mais si les vices du peuple sont excusables, en dirons-nous autant de ceux de la Bourgeoisie ? Il n’y a pas ici de situation matérielle inférieure et il y a une instruction supérieure que n’a pas le peuple ; mais il y à l’influence pernicieuse qu’exerce le privilège et qui explique la lèpre hideuse, quoique a‑demi cachée sous un menteur décorum, dont sont rongées les classes dirigeantes. Si les travailleurs lèvent le coude, les petits bourgeois font de petits soupers ; c’est par eux que sont séduites et jetées au ruisseau les filles du peuple ; c’est dans leurs rangs que se recrutent les bataillons sodomites — etc.
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Vous avouez qu’il y a des patrons despotes et exigeants ; la raison n’en est pas tant à leurs instincts mauvais, qu’a l’organisation anti-humaine qui leur donne des droits monstrueux sur leurs semblables. Aurez-vous la volonté et le pouvoir de supprimer tous ces mauvais, que demain d’autres renaîtraient. Il ne sert de rien d’atteindre les effets, tant que la cause n’est pas détruite.
Pourquoi ces larmes de crocodile sur ces pauvres patrons, plus à plaindre que leurs ouvriers ? Si leur sort est si triste que ne prennent-ils la place des travailleurs ; ce serait la meilleure preuve à donner, des misères qui les écrasent. Nous prenons le soleil à témoin, que si tous les patrons du Havre veulent abdiquer, nous ne prêcherons plus la Révolution sociale.
Mais vraiment où vous dépassez toutes bornes, c’est dans votre phrase finale. D’après vous le patron nourrit son ouvrier, et il pousse la gentillesse jusqu’à donner à manger à ses enfants. C’est d’un cocasse pyramidal, et vous ne pouviez mieux prouver que vous ne connaissez pas le premier mot d’économie sociale. Ma réponse s’allonge démesurément, mais si vous voulez apporter à la lecture de nos suivants numéros, le même soin que pour le premier, vous apprendrez qu’elle est la véritable origine des fortunes individuelles.