La Presse Anarchiste

A la “Revue Comique”

La Revue, dans son der­nier numé­ro, se gausse jovia­le­ment de nous, et assai­sonne ses argu­ments niais d’un gros sel, qui nous le croyons pas­se­ra dif­fi­ci­le­ment pour Gau­lois aux yeux de ses lec­teurs. Elle veut à être comique, qu’elle s’en tienne donc là, la pauvre fille ! et ne se mêle plus de faire de la cri­tique anti-socia­liste. Ça lui va trop mal. 

Dès l’a­bord, son rédac­teur s’es­claffe ; les idées n’é­closent pas faci­le­ment dans sa cer­velle de bour­geois, son sang pâle (et pro­ba­ble­ment à tem­pé­ra­ture variable) ne bat jamais bien fort dans ses artères. Quant à une pen­sée altruiste, c’est un merle blanc qui ne s’est jamais éga­ré dans courge aus­si vide. Aus­si, est-il tout ébau­bi et nous le dit-il bête­ment, d’ap­prendre que nous avons un idéal dont nous pour­sui­vons la réalisation. 

Puis après une longue colonne de bali­vernes, sans queue ni tête, il nous lance les miri­fiques argu­ments qui doivent nous tom­ber. Vrai, bour­geoi­sillon de mon cœur, (par anti-phrase) tu n’es pas malin ! 

Comme mor­ceau de résis­tance, nous avons l’i­né­vi­table apo­lo­gie de l’ouvrier hon­nête qui accepte sans mur­mu­rer l’i­né­ga­li­té (Revue. C’est celui qui dans les ate­liers sert de chien de garde au patron, casse du sucre sur ses col­lègues. C’est celui qui sou­te­neur de ses maîtres s’en­rôle dans les bandes poli­cières. Ce sont encore des ouvriers hon­nêtes que les sol­dats, éga­rés par des scé­lé­rats de votre classe, gor­gés par eux d’or et de vin, qui en Juin 1848, au 2 Décembre 51 et en Mai 71 mas­sa­craient leurs frères avec tant de rage.

Et ou avez-vous vu qu’elle est for­cée, cette inéga­li­té, c’est à dire éter­nelle ? Est-ce par ce que vous êtes les plus forts ; ou bien de ce que le peuple a jus­qu’i­ci eu la bêtise de res­pec­ter vos pri­vi­lèges, concluez-vous que for­cé­ment il les res­pec­te­ra toujours ? 

D’ailleurs, c’est un plat réchauf­fé que vous nous ser­vez ; la ren­gaine est vieille, elle date du siècle der­nier et était jetée à la tête des bour­geois d’a­lors par les défen­seurs de la noblesse et du cler­gé. Ce qui n’a pas empê­ché vos pères (qui n’é­taient pas ce jour-là du côté des hon­nêtes gens) avec l’aide puis­sant du peuple, de bri­ser cette inéga­li­té for­cée et de sup­pri­mer les anciennes castes. 

Aujourd’­hui le peuple, (du moins en par­tie) conscient de ses inté­rêts, veut faire contre la Bour­geoi­sie une Révo­lu­tion sem­blable à celle qu’elle fit contre la noblesse. Vous pous­sez des cris de paon, c’est natu­rel ! Il n’y a tel comme un voleur pour se débattre, comme un beau diable s’il est ques­tion de lui faire rendre gorge. Et c’est le cas, nous vou­lons reprendre le capi­tal social, injus­te­ment déte­nu par vous, et le mettre dans les mains de ceux qui l’u­ti­lisent direc­te­ment : don­ner le champ au pay­san, la mine au mineur, l’ou­til à l’ouvrier. 

Quant à votre or, si vous y tenez trop nous vous le lais­se­rons ; si vous ne vou­lez pas pro­duire vous-même, mettre enfin la main à la pâte, eh bien, vous le man­ge­rez !

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Vous nous repro­chez nos vices, à nous tra­vailleurs c’est peu adroit, vous aper­ce­vez la paille de notre œil, mais ne voyez pas votre poutre. 

Les vices du peuple sont la consé­quence de sa misère, de son sort pré­caire ; mais, que le milieu démo­ra­li­sa­teur qui lui est fait par ses exploi­teurs soit détruit, et alors ses pas­sions n’é­tant plus com­pri­mées elles auront un essor har­mo­nieux, qui tour­ne­ra au pro­fit de l’hu­ma­ni­té. N’é­tant plus sur­me­né par un tra­vail exor­bi­tant, il ne cher­che­ra pas les bru­tales dis­trac­tions qui lui sont fata­le­ment néces­saires aujourd’­hui ; toutes les jouis­sances intel­lec­tuelles étant à sa por­tée, au lieu d’être le pri­vi­lège d’une classe, suf­fi­ront ample­ment à satis­faire ses besoins d’ac­ti­vi­té, aidées du tra­vail maté­riel, qui libre­ment accom­pli, ne sera guère qu’une gym­nas­tique corporelle. 

Mais si les vices du peuple sont excu­sables, en dirons-nous autant de ceux de la Bour­geoi­sie ? Il n’y a pas ici de situa­tion maté­rielle infé­rieure et il y a une ins­truc­tion supé­rieure que n’a pas le peuple ; mais il y à l’in­fluence per­ni­cieuse qu’exerce le pri­vi­lège et qui explique la lèpre hideuse, quoique a‑demi cachée sous un men­teur déco­rum, dont sont ron­gées les classes diri­geantes. Si les tra­vailleurs lèvent le coude, les petits bour­geois font de petits sou­pers ; c’est par eux que sont séduites et jetées au ruis­seau les filles du peuple ; c’est dans leurs rangs que se recrutent les bataillons sodo­mites — etc. 

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Vous avouez qu’il y a des patrons des­potes et exi­geants ; la rai­son n’en est pas tant à leurs ins­tincts mau­vais, qu’a l’or­ga­ni­sa­tion anti-humaine qui leur donne des droits mons­trueux sur leurs sem­blables. Aurez-vous la volon­té et le pou­voir de sup­pri­mer tous ces mau­vais, que demain d’autres renaî­traient. Il ne sert de rien d’at­teindre les effets, tant que la cause n’est pas détruite. 

Pour­quoi ces larmes de cro­co­dile sur ces pauvres patrons, plus à plaindre que leurs ouvriers ? Si leur sort est si triste que ne prennent-ils la place des tra­vailleurs ; ce serait la meilleure preuve à don­ner, des misères qui les écrasent. Nous pre­nons le soleil à témoin, que si tous les patrons du Havre veulent abdi­quer, nous ne prê­che­rons plus la Révo­lu­tion sociale. 

Mais vrai­ment où vous dépas­sez toutes bornes, c’est dans votre phrase finale. D’a­près vous le patron nour­rit son ouvrier, et il pousse la gen­tillesse jus­qu’à don­ner à man­ger à ses enfants. C’est d’un cocasse pyra­mi­dal, et vous ne pou­viez mieux prou­ver que vous ne connais­sez pas le pre­mier mot d’é­co­no­mie sociale. Ma réponse s’al­longe déme­su­ré­ment, mais si vous vou­lez appor­ter à la lec­ture de nos sui­vants numé­ros, le même soin que pour le pre­mier, vous appren­drez qu’elle est la véri­table ori­gine des for­tunes individuelles. 

La Presse Anarchiste