Peuple, écoute tes vrais amis, ceux qui ne peuvent te tromper, qui veulent te défendre contre ceux qui t’abusent !
– Qui sont ces hommes, ces nobles nobles, ces bourgeois ?
Nous te l’avons dit déjà, nous te le redirons encore.
C’est de ta misère qu’ils sont riches, de ta faiblesse qu’ils sont forts, – ta maigreur les engraisse – comprends-tu,
Pour qui moissonnez-vous paysans ?
Pour qui commercez-vous boutiquiers ?
Pour qui travaillez-vous ouvriers ?
Pour eux, non pour vous !
Gens du peuple, que possédez-vous qui ne leur appartienne ?
Votre pain, ils le volent !
Votre argent, ils s’en emparent !
Vos filles et vos femmes ils les caressent !
Vous baisez sur vos grabats, le rebut de leurs alcôves !
Votre liberté.… quel vain mot pour vous ! — grâce aux exécrables préjugés dont ils ont su brouiller votre cervelle, vous laissez annihiler ce bien sacré sans presque réclamer !
C’est ainsi que de bon gré ou de force ils vous enrôlent comme soldats dans leurs régiments, et sans réfléchir, sans vous révolter contre cette iniquité, vous acceptez cette honte. Bien plus, par un habile stratagème, à la plupart d’entre vous ils ont su faire considérer le service militaire comme un devoir sacré !
Pauvre peuple comme l’on t’exploite — Tous les devoirs sont pour toi, tous les droits sont pour eux !
Va, peine et meure pour qu’ils puissent jouir en paix ! Et tu acceptes cela comme,le bœuf, le joug !
Toi qui ne possède d’autre bien que la vie, ils te font défendre au risque de la perdre, leurs existences, leurs propriétés, leurs maisons, leurs châteaux, leurs institutions, leurs femmes, leurs maîtresses, leurs enfants — toi qui sur cette planète ne possède pas un pouce de terre, ils te forcent à défendre leurs près, leurs champs, leurs bois, leurs domaines !
C’est pour leur en assurer la paisible jouissance que tu ensanglantes le sol, que tu meures sur les champs de bataille. Bien plus,
Ta liberté, o Paria de l’humanité, tu la vends pour ne pas mourir de faim ; pour un semblant de salaire, pour un maigre morceau de pain, ils te tiennent enfermé dans leurs ateliers, dans leurs mines, dans leurs usines, pendant que le soleil brille et qu’il ferait si bon à vivre libre !
Et vous tous ouvriers, vous haletez de fatigue, enfermés pour la plupart dans de tristes et sombres réduits, mangeant peu et vite, ne buvant guère afin qu’ils puissent, ces bourgeois se prélasser dans leur fainéantise, repus, gavés, heureux comme des porcs sacrés à qui bon fait des offrandes.
O pauvre peuple, comme ils t’ont toujours berné !
Ne verras-tu donc jamais clair dans leur jeu ?
Ne sais-tu donc pas que toutes les institutions sociales imaginées par les bourgeois ont pour but de te maîtriser, qu’ils ne pourraient te contenir si tu connaissais mieux ta force, si tu appréciais plus sainement tes véritables intérêts ?
Non content de les engraisser comme des idoles, de leur fournir de quoi se gaver pendant que tu vis de privations et de misère, de leur faire des filles pour assouvir leurs passions, pour les alimenter de chair à plaisir, c’est encore toi qui fournit les verges avec lesquelles on te fouette !
Tu fournis, l’armée, elle sort de ton sein, les soldats qui la compose sont tes fils, tes frères, tes neveux et cependant… sur le commandement de ses chefs, tous fils de ces bourgeois exécrés, cette armée tire sur toi sans pitié les jours où le cœur plein de désespoir, affamé, fatigué de la vie que l’on t’impose, tu te révoltes et réclames ta place au banquet de la vie.
C’est de tes rangs, que sortent les policiers, les gendarmes qui te mettent en prison quant tu oses relever la tête pour demander ta part des jouissances terrestres que les bourgeois veulent garder pour eux seuls.
C’est encore toi qui fournis les garde-chasse, les douaniers, les gardes-chiourme, etc., —tous gens que la bourgeoisie entretient pour s’interposer entre toi et la liberté de jouir des bonnes choses que la nature offre à tous les êtres, mais que de tout temps le bourgeois a voulu se réserver pour lui seul.
C’est contre toi et presque pour ton usage spécial que les bourgeois, pour tenir par la terreur, ont imaginé les tribunaux et ont bâti d’aussi nombreuses prisons.
Te parlerai-je enfin de leurs dignes associés, de ces prêtres qu’ils ont chargé, sous prétexte de t’apprendre la vraie religion, de t’abrutir dès l’enfance la plus tendre, mieux que cela même de t’abrutir par voie d’hérédité ; en effet, à tire imbu d’idées mystiques nait souvent un fils fanatique ; l’abrutissement religieux fait souche tout, comme chez les bestiaux l’aptitude à l’engraissement ou l’aptitude laitière se transmet de génération en génération.
Pour te tenir en bas dans l’ornière ils témoignent, ces bourgeois, d’un véritable talent. Te dompter est devenu pour eux une étude, une véritable science.
Leurs prêtres t’appellent à leurs oraisons, crois bien que si Dieu existe et s’il les entend, il les méprise : leurs mains sont salies par le lucre, leurs bouches sont graisseuses de victuailles,
Peuple, colosse terrible, que ne connais-tu ta force ?
Il suffirait d’un mouvement de tes bras robustes pour briser les liens dont ils t’ont chargé.
Un simple froncement de tes puissants sourcils suffirait pour les faire ramper à tes pieds.
Quand connaitras-tu ta puissance ?
Quand ouvriras-tu les yeux ?
Allons, peuple, du courage, connais-toi toi-même, le jour de la revanche est arrivé pour les déshérités des biens de la terre !