La Presse Anarchiste

La lutte révolutionnaire

On par­le beau­coup de lutte révo­lu­tion­naire, et nous les pre­miers d’ailleurs, et cha­cun y met sa pro­pre sauce. Or, je pense que la déf­i­ni­tion du mot révo­lu­tion­naire est à faire, ou du moins à refaire et à repré­cis­er pour bien mon­tr­er ce que ce mot implique et ce qu’il n’im­plique pas.

Qu’est-ce qu’un révo­lu­tion­naire actuelle­ment ? C’est ce que nous allons ten­ter de définir déjà dans ce pre­mier arti­cle. Tout d’abord nous analy­serons les moyens qui peu­vent per­me­t­tre la Révo­lu­tion, et ensuite nous pré­cis­erons le con­tenu de ce mot. C’est ce que nous allons faire en situ­ant le mil­i­tant anar­chiste et sa lutte.

Le militant anarchiste

Le mil­i­tant anar­chiste c’est un homme qui, con­scient de l’in­jus­tice du sys­tème économique et poli­tique actuel, et de tout ce qui se situe dans le cadre de ce sys­tème, se réfugie dans le seul mou­ve­ment qui lui pro­pose encore une réelle final­ité révo­lu­tion­naire, c’est-à-dire qui ait pour but le change­ment rad­i­cal des struc­tures. Le mil­i­tant est donc un homme engagé, et cet engage­ment ne doit pas être seule­ment moral de façon à se don­ner une « bonne con­science », par­tant du principe que tout ce qui existe est mau­vais mais que, comme on en est con­scient, cela nous per­met de nous délivr­er de cer­tains tabous et d’ac­quérir ain­si une plus grande lib­erté morale. L’en­gage­ment est surtout et avant tout un com­bat que l’on mène con­tre des forces que nous n’ac­cep­tons pas, et c’est con­tre la base même de ces forces que nous lut­tons, et c’est cette base que nous voulons détru­ire ; on ne doit pas se « noy­er » dans des com­bats annex­es. Un engage­ment c’est donc une chose sérieuse, et le mil­i­tant anar­chiste doit être sérieux.

Ne jouons pas sur les mots. Il ne s’ag­it pas de « se pren­dre au sérieux », mais de vouloir men­er à bien un tra­vail sérieux. Il s’ag­it d’être hon­nête avec soi-même et avec son engage­ment mil­i­tant. Le dilet­tan­tisme fait déjà trop de rav­age dans notre mou­ve­ment pour qu’il soit inutile et même néfaste de faire l’apolo­gie de la résig­na­tion. Il vaut mieux s’at­ta­quer au dilet­tan­tisme au lieu de chercher à tout prix à l’ex­cuser. « Se pren­dre au sérieux » ce n’est pas for­cé­ment une atti­tude qu’on se donne, mais c’est un devoir qu’on se donne. Si à la base le mil­i­tant n’a pas cet esprit de sérieux et de lutte, rien ne peut être fait de vrai­ment val­able dans la qual­ité du tra­vail et dans le temps. Le fait d’être con­scient en lui-même n’est rien s’il devient trau­ma­tisme, ce qui trans­forme la con­science en une nou­velle alié­na­tion. L’al­ié­na­tion de l’in­di­vidu con­scient, c’est sa con­science juste­ment, si celle-ci ne débouche pas sur un tra­vail pra­tique et con­cret. L’en­gage­ment seule­ment moral est une « impasse » qui tourne vite à la « bonne conscience ».

Donc le mil­i­tant anar­chiste doit avoir un tra­vail pra­tique ; et ce tra­vail pra­tique c’est l’ac­tion qui a pour esprit la lutte. Mais l’ac­tion-lutte néces­site une forme, une éthique ; cet ensem­ble ayant alors recours à des moyens d’ac­tion-lutte qui doivent eux-mêmes être inclus dans un out­il d’action-lutte.

Conceptions de la lutte anarchiste

Nous abor­dons là le vrai prob­lème. Pour cer­tains l’a­n­ar­chisme se résume à une manière de vivre et l’ac­tion lutte n’est là que pour entretenir une espérance qu’on sait vaine et ten­ter de se créer un petit monde à part, où grâce à des arti­fices de toutes sortes on arrive à se per­suad­er que l’on représente quelque chose dans la médi­ocrité uni­verselle. C’est l’a­n­ar­chiste au som­met de la mon­tagne qui indique les sen­tiers caill­ou­teux qui mènent à lui, en évi­tant que trop de monde y vien­nent à la fois de peur que des pieds trop nom­breux n’é­car­tent les cail­loux du chemin et ne ren­dent celui-ci moins pénible à l’homme. Ce n’est pas ain­si que je vois le prob­lème, et pour repren­dre l’im­age déjà employée, je pense que nous devons descen­dre de notre mon­tagne où depuis trop longtemps déjà nous nous con­fi­nons et nous mêler à la masse, non pas en lui promet­tant une espérance philosophique, oserais-je dire exis­ten­tial­iste, au sens large du terme, mais bien plutôt des per­spec­tives d’avenir con­stru­ites sur du con­cret, c’est-à-dire sur les réal­ités actuelles.

La mon­tagne bien sûr c’est une illu­sion ; nous sommes tous aliénés, ne serait-ce que par nous-mêmes déjà. Aus­si, il est temps de remet­tre en ques­tion cer­tains tabous qui ne riment à rien, du moins qui ne riment plus à rien à notre époque. Celui de l’or­gan­i­sa­tion en est un.

Nous pré­con­isons une société lib­er­taire. Dans cette société il fau­dra bien vivre, c’est-à-dire manger, s’a­muser et aus­si tra­vailler. Tout cela deman­dera une organ­i­sa­tion assez pré­cise dans l’ap­pli­ca­tion de nos théories, surtout si on n’ou­blie pas qu’il fau­dra tenir compte de fac­teurs que nous ignorons pour l’in­stant. Cette organ­i­sa­tion pra­tique sera l’ex­pres­sion des con­cepts lib­er­taires qui nous rat­tachent tous à ce mot : l’a­n­ar­chisme. Il fau­dra donc met­tre en place des struc­tures non plus autori­taires mais lib­er­taires, c’est-à-dire de coor­di­na­tion et d’exé­cu­tion. Or, soyons hon­nêtes, com­ment pour­rons nous assur­er cette tâche si nous ne sommes pas capa­bles d’or­gan­is­er notre lutte dans cet esprit ?

Conclusion

Si nous sommes sérieux dans notre engage­ment, c’est-à-dire si nous croyons en sa valeur ; si nous pen­sons que l’ac­tion par déf­i­ni­tion même a pour but un résul­tat, et que pour men­er cette action, il faut un résul­tat que l’on peut obtenir par des moyens pré­cis, nous sommes d’ac­cord pour pos­séder un out­il de lutte aus­si effi­cace que pos­si­ble, et cet out­il de lutte, à notre époque, c’est une Organ­i­sa­tion pra­tique de lutte.

[/Michel Cav­al­li­er./]


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