La Presse Anarchiste

Pourquoi : Organisation ? Anarchiste ? Révolutionnaire ?

Autour de ce Bul­le­tin, une équipe s’est consti­tuée, qui s’est don­née pour objec­tif la créa­tion en ce pays d’une orga­ni­sa­tion anar­chiste révolutionnaire.

Objec­tif ambi­tieux, nous le savons : la route sur laquelle nous nous enga­geons sera longue, pénible, héris­sée d’obs­tacles, d’embûches et de dif­fi­cul­tés de toutes sortes.

Mais nous sommes réso­lus à les affron­ter, car nous sommes éga­le­ment convain­cus que ce che­min est le seul qui puisse nous mener vers un renou­veau de l’a­nar­chisme, qui puisse sor­tir notre mou­ve­ment des ornières où il s’est enli­sé depuis plus demi siècle.
– L’or­nière où se délectent les « pro­fes­seurs de ver­tus », pour qui l’im­mo­bi­lisme est le plus sûr moyen de pré­ser­ver l’a­nar­chisme des dan­gers de la marche. Dans les cha­pelles où s’é­lèvent les ser­mons de ces pré­di­ca­teurs, on en est arri­vé à ce point où par­ler d’or­ga­ni­sa­tion suf­fit à vous faire clas­ser comme héré­tique et où à pro­non­cer le mot de révo­lu­tion vous désigne comme un apostat !
– L’or­nière où, depuis cin­quante ans, a som­bré l’a­nar­chisme, frap­pé d’un com­plexe d’im­puis­sance en face des pro­grès d’un socia­lisme auto­ri­taire dont les « suc­cès » à tra­vers le monde ne sont que les résul­tats d’une démis­sion géné­ra­li­sée de la pen­sée et de l’ac­tion liber­taire. Sen­ti­ment d’im­puis­sance tel que cer­tains en sont arri­vés à ne trou­ver d’autres moyens, pour revi­vi­fier l’a­nar­chisme, que de lui injec­ter des doses de marxisme !

Nous oppo­se­rons désor­mais un refus total devant toutes ces équi­voques. Notre volon­té est de rompre défi­ni­ti­ve­ment avec tous les tabous, avec tous les « oui, mais… », avec tous les « à peu près », avec tout ce qui para­lyse, mutile ou défi­gure l’a­nar­chisme.

C’est pour­quoi, dès le départ, nous vou­lons nous défi­nir très clai­re­ment dans les pers­pec­tives d’une :

Orga­ni­sa­tion Anar­chiste Révolutionnaire

Orga­ni­sa­tion, parce que telle est la base immuable et néces­saire de toute action col­lec­tive, concer­tée et orien­tée vers un objec­tif. Parce qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’autres moyens, pour par­ve­nir à des réa­li­sa­tions concrètes, que de s’or­ga­ni­ser, de se défi­nir et d’o­rien­ter les acti­vi­tés dans une direc­tion préa­la­ble­ment éla­bo­rée en commun.

Anar­chiste, parce que nous nous récla­mons d’un socia­lisme anti­au­to­ri­taire et fédé­ra­liste dont, face à Marx et Engels, Prou­dhon et Bakou­nine défi­nirent les grandes lignes – tout en pro­phé­ti­sant avec une rare clair­voyance le bour­bier tyran­nique et san­glant où, un siècle plus tard, devait som­brer le socia­lisme autoritaire.

Révo­lu­tion­naire, parce qu’on n’a pas trou­vé d’autre terme pour défi­nir un chan­ge­ment dans l’ordre des choses et que nous refu­sons l’ordre exis­tant. Notre lutte n’a de rai­sons et de sens que dans la pers­pec­tive d’une trans­for­ma­tion radi­cale des bases mêmes de la socié­té, dans le sens d’un socia­lisme authen­tique qui fera de chaque indi­vi­du un être libre et res­pon­sable.

Mais que cer­tains se ras­surent – que les mots effrayent trop vite.

Si nous esti­mons l’or­ga­ni­sa­tion néces­saire et si celle-ci exige une dis­ci­pline libre­ment consen­tie, l’or­ga­ni­sa­tion liber­taire ne peut pas être l’é­touf­foir des liber­tés et des ini­tia­tives indi­vi­duelles : elle sera, au contraire, le creu­set où se révè­le­ront et s’af­fir­me­ront des valeurs nou­velles qui revi­vi­fie­ront l’a­nar­chisme.

Si nous pro­cla­mons notre fidé­li­té à nos grands pen­seurs qui, au siècle der­nier, éla­bo­rèrent les bases socio­lo­giques de l’a­nar­chisme, pen­seurs en tête des­quels nous pla­çons Prou­dhon. et Bakou­nine, notre fidé­li­té ne va pas jus­qu’à une ado­ra­tion béate : nous savons que les œuvres du pas­sé sont recou­vertes d’une cer­taine dose de pous­sière qu’il fau­dra secouer pour adap­ter l’a­nar­chisme au monde moderne.

Si nous nous défi­nis­sons comme révo­lu­tion­naires, ce choix ne sera jamais le pré­texte pour nous livrer à une quel­conque « gym­nas­tique », ni à ver­ser dans une déma­go­gie où excellent cer­tains exhi­bi­tion­nistes. Être révo­lu­tion­naire consis­te­ra pour nous dans une approche et une étude sérieuses des pro­blèmes poli­tiques, éco­no­miques et tac­tiques du pré­sent, afin de défi­nir avec le maxi­mum de clar­té pos­sible les condi­tions du pas­sage de la socié­té auto­ri­taire à une socié­té libertaire.

Tout ceci est très clair, je pense, et ne peut don­ner lieu à aucune inter­pré­ta­tion équi­voque. Mais il me reste à pré­ci­ser un point important.

Dans la Décla­ra­tion qui figure en tête de ce Bul­le­tin, nous décla­rons « ne lan­cer d’ex­clu­sives contre personne ».

Et c’est vrai : nous appe­lons à nous rejoindre toutes les bonnes volon­tés, même si, à une époque ou une autre, trom­pés par les appa­rences, elles s’é­ga­rèrent, en toute bonne foi, sur des che­mins sans issues.

… nous appe­lons à nous rejoindre tous ceux pour qui l’a­nar­chisme repré­sente autre chose que de savantes dis­ser­ta­tions sur : la « pure­té » des prin­cipes – la pri­mau­té du « moi » – la défense des mino­ri­tés « éro­tiques » – les « mérites » com­pa­rés de l’a­li­men­ta­tion car­née et végé­tale – la « liber­té » de cou­cher avec la com­pagne du voi­sin – etc., etc. Tous ces pro­blèmes sont peut-être très inté­res­sants, mais n’au­ront aucune place dans l’or­ga­ni­sa­tion que nous préconisons.

En outre, nous man­que­rions de fran­chise si, dès le départ, nous ne pré­ci­sions pas que nous consi­dé­re­rons comme indé­si­rables :
– Ceux pour qui l’ac­ti­vi­té se résume à un acti­visme de foire et dont le « révo­lu­tion­na­risme » s’é­coule en flots déma­go­giques sur les tré­teaux d’une tri­bune ou dans les pages d’une feuille semi confi­den­tielle : la révo­lu­tion est une chose trop sérieuse pour être per­son­ni­fiée par des bate­leurs de la parole ou de la plume.
– Ceux dont les « argu­ments » s’ex­priment sous la forme d’in­sultes, d’in­jures ou de calom­nies et dont le « mili­tan­tisme » se mani­feste, soit par un vol des biens de la col­lec­ti­vi­té (affaire Fon­te­nis), soit en tapis­sant les murs d’af­fiches cou­ra­geu­se­ment ano­nymes (Congrès de Bor­deaux et ses suites). Ceux-là, que nous ne consi­dé­rons pas comme des mili­tants anar­chistes, mais comme des malades rele­vant de soins psy­chia­triques – ou comme de franches canailles –, nous les reje­tons sans détour.

Enfin, il est d’autres cama­rades, que nous esti­mons et avec qui nous nous retrou­ve­rons avec plai­sir au sein d’une F.A. plu­ra­liste, mais à qui nous décon­seille­rons de nous rejoindre :
– Ceux qui refusent l’or­ga­ni­sa­tion ou ne l’ac­ceptent qu’a­vec un « mais ». On est pour ou contre l’or­ga­ni­sa­tion : c’est l’af­faire d’un choix et ce choix nous l’a­vons fait sans équivoque.
– Ceux pour qui la pro­pa­gande anar­chiste s’a­dresse de pré­fé­rence aux audi­toires choi­sis d’une cer­taine « élite » et s’ex­prime sous la forme de dis­cours cour­tois dans les clubs bour­geois, les salons mon­dains et les loges maçonniques.

Tout cela ne fait pas beau­coup de monde. Ceux qui nous rejoin­dront ne seront peut-être pas nom­breux. Mais il impor­tait que tout cela soit clai­re­ment pré­ci­sé dès ce pre­mier Bulletin.

Et si nous 6chouons dans notre ten­ta­tive, nous cou­le­rons le pavillon haut, sans équi­voque ni compromissions.

Mais je suis per­sua­dé que nous réus­si­rons et l’é­quipe qui anime ce Bul­le­tin est toute entière déci­dée à. per­sé­vé­rer jus­qu’au succès.

Un suc­cès qui sera aus­si le vôtre, mes cama­rades anar­chistes, car je suis cer­tain que nous rejoin­drez très vite et en grand nombre !

[/​Maurice Fayolle/​]

La Presse Anarchiste