[/Pays-Bas, « Liéfra », le 17 mars 1946./]
Cher Camarade, — Je viens vous demander de vouloir bien me donner quelques précisions au sujet de certains points de votre doctrine individualiste, telle que vous l’exposez en particulier dans la brochure « Notre individualisme, ses revendications et ses thèses ». Voici ces quelques points :
1° – Qu’entendez-vous au juste par possession personnelle à titre inaliénable du moyen de production ; juridiquement parlant, si je puis m’exprimer ainsi sans paradoxe, qu’entendez-vous en particulier par « inaliénable » ?
Je suppose que par là vous entendez que le possesseur personnel ne pourra un aucun cas être dépossédé de son moyen de production ; naturellement ce moyen de production étant défini, conne nous l’entendons à notre point de vue individualiste, c’est-à-dire strictement limité à ce que le possesseur personnel peut faire valoir par ses propres moyens, sans pouvoir exercer aucune exploitation ou domination, quelle qu’elle soit et sur qui que ce soit.
Ici se présente une objection : qui déterminera cette limitation du moyen de production à la capacité du faire-valoir personnel, capacité toute relative d’un individu à l’autre ?
2° – D’autre part, par quels moyens envisagez-vous ou envisageriez-vous la mise en possession à chaque producteur, isolé ou associé, de son moyen de production inaliénable ?
3° – Quand vous parlez de possession. inaliénable, en votre esprit, ce terme de « possession inaliénable » équivaut-il à propriété ? ou faites-vous la distinction que nous faisons juridiquement entre propriété et possession, cette dernière étant entendue seulement comme jouissance, usage, à titre viager par exemple ?
4° – Faites-vous une distinction entre la propriété du sol et celle d’autres moyens de production, comme le font les partisans d’Henry George ? en un mot admettez-vous la propriété individuelle du sol et du sous-sol ? Ou encore simplement la propriété superficiaire du sol ? Ou leur simple possession temporaire ?
5° – « Si, pour les individualistes à notre façon, le produit seul peut être l’objet d’échange, de don, de legs, etc., à la mort du possesseur isolé ou associé le moyen de production ou son titre représentatif tombe dans le domaine public », dites-vous ?
Qu’entendez-vous également au juste par domaine public, en pareil cas ?
Comment concevez-vous cet arrangement entre isolés et associations, dont sous parlez ?
Ici, dans le passage ci-dessus que je cite, n’y a‑t-il pas quelque contradiction avec cet autre où vous dites : « Pleine et entière faculté de disposition de l’avoir individuel, etc. (le moyen de production et l’habitation étant inclus dans cet avoir) ?
Je crois que la précision pratique de tous ces points et d’autres touchant nos idées dans le domaine social et économique ne serait pas superflue — je la crois même indispensable — et nous permettrait de bien situer nos conceptions et nos positions vis-à-vis de celles des socialistes, des communistes bolchevistes, des communistes libertaires qui toutes, même celles de ces derniers, ne ne répondent pas vraiment, j’en suis de plus en plus convaincu, à notre tempérament ethnique.
Cette précision nous permettrait également de mieux asseoir notre propagande sur le terrain pratique.
Conséquemment, si je puis me permettre de vous soumettre cette suggestion, ne croyez-vous pas que la précision de tous ces points particuliers, ainsi que d’autres de notre individualisme, pourrait faire l’objet d’une série d’articles dans l’« Unique » ?
Ces articles seraient certainement le point de départ de controverses entre nous, ce qui nous permettrai un échange de vues qui nous mettrait à même, chacun de nous, et d’enrichir notre esprit, et de mieux préciser notre propre conception de l’Individualisme.
[/Gérard