La Presse Anarchiste

La prolongation de la vie selon le Dr Bogomolets

[[Cet ex pré­sident de l’A­ca­dé­mie des sciences de l’U­kraine est mort récem­ment à l’âge de 65 ans à la suite d’une mala­die de cœur incu­rable. Il ne put, pour des motifs médi­caux, uti­li­ser le sérum ou recou­rir à des mesures qui auraient pu pro­lon­ger son exis­tence. Il avait consa­cré sa vie à l’é­tude des causes de la vieillesse.]]

Cela peut paraître para­doxal, mais un homme de 60 à 70 ans est encore jeune : il n’a vécu que la moi­tié de sa vie natu­relle. Ce qu’on consi­dère comme vieillesse n’est qu’un phé­no­mène anor­mal, pré­ma­tu­ré. Il faut lut­ter contre la vieillesse comme on com­bat n’im­porte quelle autre maladie.

Le fameux natu­riste Nae­ge­li a affir­mé qu’il n’y a pas de mort natu­relle dans la nature. Il cite des arbres qui ont vécu plu­sieurs mil­liers d’an­nées et qui ont péri, non par épui­se­ment de vita­li­té, mais à la suite de quelque acci­dent, par exemple le fameux dra­gon­nier de la ville d’O­ra­ta­va, Tene­riffe, qui fit l’ad­mi­ra­tion de Hum­boldt. Le tronc était creux, mais cet arbre gigan­tesque conti­nua son exis­tence jus­qu’à ce qu’il fut abat­tu par un oura­gan. On affirme éga­le­ment que le bao­bab vit 5 à 6.000 ans. Voi­ci quelques chiffres quant à la durée de l’exis­tence de cer­tains arbres : pin : 70 ans ; Hêtre : 1.000 ans ; sapin : 1.200 ans ; cèdre du Liban, châ­tai­gniers, chêne : 2.000 ans ; cyprès, if : 3000 ans.

Il est pos­sible, lorsque le secret de cette lon­gé­vi­té aura été décou­vert par la science, que sa connais­sance soit utile dans la lutte livrée pour la pro­lon­ga­tion de la vie humaine.

Quelle est la durée nor­male de la vie ? Aris­tote avait énon­cé que plus il faut de temps à un orga­nisme pour attein­dra son plein déve­lop­pe­ment, plus sa vie est longue. Buf­fon consi­dère que la durée pro­bable de vie d’un ani­mal s’é­lève de cinq à sept fois la lon­gueur de la période éxi­gée pour qu’il arrive à sa pleine croissance.

Si l’on admet que le déve­lop­pe­ment de l’or­ga­nisme s’a­chève quand les os s’ar­rêtent de croître, nous arri­vons aux résul­tats sui­vants concer­nant les ani­maux (les chiffres indi­qués par Buf­fon étant plus ou moins corrects) :

Durée en année
croissance  longévité
Chien  10 à 15 
chat  1,5 8 à 10 
Bœuf  20 
Cheval  20 à 30 
Chameau  40 

L’homme attei­gnant son plein déve­lop­pe­ment entre 20 et 25 ans, il devrait, selon la for­mule de Buf­fon, vivre en moyenne 150 ans.

Il n’est pas une seule auto­ri­té médi­cale qui, ayant étu­dié le pro­blème de la lon­gé­vi­té humaine, ne soit par­ve­nu à cette conclu­sion que la mort de l’être humain avant cent ans a pour cause une accu­mu­la­tion des cir­cons­tances défa­vo­rables, telles que la mala­die, le sur­me­nage, le manque d’hy­giène per­son­nelle ou sociale.

Hal­ler, le fameux phy­sio­lo­giste du 18e siècle, consi­dé­rait deux siècles au moins comme limite nor­male de l’être humain. Hufe­land par­ta­geait la même opi­nion. D’ailleurs l’his­toire abonde en récits de cas de lon­gé­vi­té. En voi­vi quelques-uns :

Saint Mun­go, pre­mier évêque de Glas­gow, attei­gnit 185 ans. P. Kizar­ten (Autriche) mou­rut à 185 ans, son fils comp­tant alors 95 ans. G. Jan­kins, un anglais du York­shire, mou­rut à 169 ans.

Le célèbre Tho­mas Parr vécut. pen­dant 152 ans la rude exis­tence d’un fer­mier. À 120 ans, il se rema­ria avec une veuve avec laquelle il vécut 12 ans. Il était doué d’une telle vita­li­té que sa femme ne se ren­dait pas compte de son âge véri­table. Il sur­vé­cut à neuf rois d’An­gle­terre. Invi­té à la Cour, il y mou­rut à la suite d’ex­cès de nour­ri­ture et de bois­son. Le fameux Dr Har­vey qui l’au­top­sia ne décou­vrit dans ses organes aucune alté­ra­tion due à la vieillesse.

En 1797, le nor­vé­gien Joseph Gur­ring­ton suc­com­ba à l’âge de 160 ans. Il lais­sait une jeune veuve et de nom­breux enfants issus de plu­sieurs mariages. Son fils aîné comp­tait alors 103 ans et son plus jeune reje­ton 9 ans.

Rol­les­ton parle d’un couple hon­grois. Jean Roven et sa femme qui vécurent ensemble, et heu­reux, 117 ans durant. Jean mon­rut à 172 et Sarah à 164 ans.

Selon Legrand. un danois du nom de Dra­ken­berg vécut 152 ans. À 68 ans, il fut cap­tu­ré par les Arabes et vécut dans l’es­cla­vage jus­qu’à 83 ans. À 90 ans on le retrouve sur un navire en qua­li­té de marin. À 111 ans, il se maria. Le peintre Kra­mer a repro­duit les traits de Dra­ken­berg à 139 ans. C’est le por­trait d’un vieillard vigou­reux. Fina­le­ment, la bois­son eut rai­son de lui.

Le chi­rur­gien fran­çais Gué­niot, auteur d’un ouvrage inti­tu­lé Com­ment vivre cent ans, et qui vécut lui-même 103 ans, a éta­bli une liste de cas de lon­gé­vi­té excep­tion­nels, dont l’au­then­ti­ci­té ne laisse aucun doute. Citons celui d’E­li­za­beth Durieux, auber­giste lyon­naise, qui mou­rut à Lyon a 110 ans.

Si l’on objecte qu’il s’a­git là de cas recueillis à l’é­tran­ger ou remon­tant à une époque éloi­gnée, le Dr,Alex. Bogo­mo­lets répond que dans son pays, en U.R.S.S., il appert de recherches effec­tuées avec soin que ce vaste ter­ri­toire contient 30.000 per­sonnes ayant dépas­sé 100 ans.

En 1927, Hen­ri Bar­busse visi­tant le vil­lage de Laty, près de Sou­khoum, y ren­con­tra un pay­san du nom de Sha­kovs­ky, âgé de 140 ans. Bar­busse fut sur­pris de sa vita­li­té, de son agi­li­té, de la réso­nance de sa voix, de la clar­té de son regard. Sa troi­sième femme avait 82 ans et sa plus jeune fille 26 ans. Ain­si, ayant dépas­sé 110 ans, Sha­kovs­ky était encore viril.

En 1927 éga­le­ment. il y avait à Novo­bo­ri­sov. en Rus­sie Blanche. une femme de 130 ans, du nom de Mari­sia­na Malia­re­vitch, capable d’ac­com­plir une marche de cinq lieues.

De nom­breux cas d’in­ha­bi­tuelle lon­gé­vi­té ont été obser­vés le long du fleuve Ulakh, dans l’ex­trême est russe. Le plus âgé des habi­tants de la région nombre 136 ans. Il est actif, fend du bois, s’oc­cupe des tra­vaux ménagers.

À la cli­nique de Patho­lo­gie de la vieillesse est mort récem­ment d’une mala­die infec­tieuse un cer­tain Machou­khine, âgé de 123 ans. L’an­née de sa nais­sance se trou­vait ins­crite sur le registre parois­sial. Au moment où il mou­rut, il n’a­vait ces­sé de tra­vailler aux champs que depuis trois ans.

À Abkha­zia, un nom­mé Kha­pa­ra Knout tré­pas­sa à l’âge de 155 ans. Au vil­lage de Tchi­lov. tout près de là, vit un cer­tain Made­za­ch­va, âgé de 150 ans et grand lec­teur lec­teur de jour­naux locaux.

Au cours de l’au­tomne de 1937 l’A­ca­dé­mie des Sciences de l’U­kraine envoya une petite mis­sion pour étu­dier les habi­tants de Sou­khoum. Dix jours ne s’é­taient pas écou­lés qu’ils avaient décou­vert une dou­zaine d’hommes de 107 à 135 ans. Tous ces vieillards se por­taient bien, ne pré­sen­taient aucune infir­mi­té et s’a­vé­raient hos­pi­ta­liers. L’un d’entre eux se mon­trait anxieux de se remarier.

On consi­dère 80 ans comme un âge avan­cé. Cepen­dant on pour­rait citer nombre de gens célèbres qui ont atteint et même dépas­sé cet âge, conser­vant jus­qu’à la fin leur capa­ci­té de tra­vail créa­teur et assez fré­quem­ment leur fer­veur juvé­nile, un acci­dent ou une mala­die infec­tieuse tran­chant le fil de leurs jours.

Goethe mou­rut à 83 ans, de pneu­mo­nie. Or, c’est dans l’an­née pré­cé­dant son décès qu’il avait ache­vé la seconde par­tie de Faust. Jus­qu’au jour de sa mort„ il avait conser­vé son talent créa­teur, sa capa­ci­té de tra­vail et s’é­tait inté­res­sé à l’é­ter­nel fémi­nin. Vic­tor Hugo mou­rut à 83 ans, plein de vie et sans avoir rien per­du de sa puis­sance créa­trice. Le Titien mou­rut à 99 ans de la peste, à 95 ans il avait ache­vé son fameux tableau : le Christ cou­ron­né d’é­pines, Corot exé­cu­ta l’un de ses chefs-d’œuvre le 80e anni­ver­saire de sa nais­sance. Michel-Ange mou­rut à 89 ans, n’ayant renon­cé jus­qu’à sa der­nière heure ni à son acti­vi­té ni à ses manies. Le peintre Wal­deck, qui mou­rut à 109 ans, expo­sa une nou­velle série de tableaux à 101 ans. Auber com­po­sa sa der­nière opé­rette, Rêve d’a­mour, en 1869, à 87 ans, deux années avant sa mort.

Nul de ces hommes célèbres n’in­ter­rom­pit son œuvre créatrice.

L’en­nui vieillit une foule de gens. « L’en­nui est très dan­ge­reux » écrit Hufe­land ― au phy­sique comme au men­tal. Que remarque-t-on chez un homme ennuyé ? Qu’il se met bailler, ce qui implique un encom­bre­ment du pas­sage du sang dans les pou­mons. La force du cœur et des vais­seaux san­guins est affai­blie par l’en­nui. Une conges­tion san­guine locale se pro­duit alors. Les organes de la diges­tion sont affec­tés à leur tour. Appa­raissent alors la fatigue, la lour­deur, l’in­di­ges­tion. Le mal­heu­reux devient. hypo­con­driaque… Il n’est aucun pares­seux qui soit mort vieux. Seuls ceux qui mènent une vie active par­viennent a la vieillesse. De même, est-il impos­sible de par­ve­nir à un grand âge avec un mau­vais esto­mac. Il y a une grande part de véri­té dans cette affir­ma­tion que les exa­gé­ra­tions, la tris­tesse, les insultes n’ont pas de prise sur un bon esto­mac. De toutes les acti­vi­tés humaines qui influencent le corps et l’es­prit, le rire est le plus sain. Le rire faci­lite la diges­tion, la cir­cu­la­tion du sang, l’ex­cré­tion de la sueur ; il pos­sède un effet rafrai­chis­sant sur la force de tous les organes.

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Venons-en main­te­nant aux fac­teurs qui amènent une vieillesse pré­ma­tu­rée. Pour­quoi la majo­ri­té des hommes n’at­teignent-ils pas cent ans ? I. existe de nom­breuses ses rai­sons qui causent la séni­li­té et le tré­pas précoce.

En pre­mier lieu, les rai­sons sociales : la faim, le froid, la vie en des tau­dis sur­peu­plés où le soleil ne pénètre que rare­ment ; des occu­pa­tions, des besognes qui ne pro­curent aucune joie ; la pau­vre­té, résul­tat du chô­mage. Toutes ces causes favo­risent l’é­clo­sion de mala­dies menant à une tombe prématurée.

Le second groupe de motifs est d’ordre bio­lo­gique. L’un d’eux est l’empoisonnement chro­nique de l’or­ga­nisme, empoi­son­ne­ment auquel, tant qu’il existe, il est sujet sys­té­ma­ti­que­ment. Ces poi­sons pro­viennent de l’ex­té­rieur : ils se trouvent dans les ali­ments ava­riés, dans l’air pol­lué, dans une nour­ri­ture inappropriée. 

Tan­dis que les infec­tions aiguës, comme le typhus, la diph­té­rie, la scar­la­tine peuvent lais­ser une empreinte durant toute l’exis­tence sur les organes tels que le cœur et les reins, des mala­dies mineures comme la grippe, les maux de gorge, les rhumes ont des consé­quences très fâcheuses pour la san­té. La tuber­cu­lose et la syphi­lis, à cause des troubles qu’elles pro­voquent dans l’or­ga­nisme sont des obs­tacles très sérieux à l’ac­qui­si­tion d’une vie longue, normale.

L’al­cool à larges doses est le poi­son le plus violent qui soit par son action sur toutes les cel­lules du corps, spé­cia­le­ment sur le sys­tème ner­veux et les tis­sus en dépendant.

L’u­sage immo­dé­ré du tabac a sou­vent pour effet le spasme des artères ali­men­tant les parois du cœur. L’af­flux insuf­fi­sant de sang au muscle car­diaque au cours du spasme pro­duit de menues mais nom­breuses zones d’a­tro­phie (ou de mort) dans les fibres mus­cu­laires. Le muscle car­diaque ne s’en gué­rit jamais com­plè­te­ment et s’af­fai­blit prématurément.

Selon Mel­chi­ni­koff, c’est dans le gros intes­tin que sont engen­drées les pto­maïnes qui empoi­sonnent et vieillissent l’or­ga­nisme. On sait que pour arrê­ter cette auto-intoxi­ca­tion, il conseillait l’emploi de kéfir (lait fer­men­té) ou mieux encore du lait de beurre, la pré­sence d’un grand nombre de bacille lac­tique entra­vant le déve­lop­pe­ment des bac­té­ries putréfactive.

Une autre cause de vieillesse pré­ma­tu­rée est le dés­équi­libre des glandes. À la base du cer­veau l’on ren­contre la glande pitui­taire qui a le volume d’un pois. Si on l’en­lève à un petit chien, par exemple, l’a­ni­mal gran­dit à peine, engraisse, n’at­teint jamais la matu­ri­té sexuelle, ne se déve­loppe jamais phy­si­que­ment et men­ta­le­ment et meurt bien avant son terme de vie nor­mal. En avant de la gorge on trouve la glande thy­roïde qui exerce une influence sur la crois­sance et le déve­lop­pe­ment du corps. Le pan­créas sécrète direc­te­ment dans le canal intes­ti­nal une humeur riche en enzymes essen­tielles à la diges­tion. Il pro­duit aus­si l’in­su­line. Au-des­sus des reins sont situées deux petites glandes ― les adré­nales ― pro­dui­sant l’a­dré­na­line, hor­mone régle­men­tant le fonc­tion­ne­ment du sys­tème ner­veux sympathique.

On a essayé le rajeu­nis­se­ment du corps par la trans­plan­ta­tion de glandes ou par­ties de glandes sexuelles, ou encore l’emploi d’hor­mones. Les résul­tats n’ont pas été durables en géné­ral. D’ailleurs les glandes sexuelles ne com­mandent pas à elles seules la lon­gé­vi­té, puis­qu’il est recon­nu que des hommes et des ani­maux châ­trés ont une dure­té de vie normale.

Toutes ces glandes — pitui­taire,. thy­roïde, pan­créas, sexuelles — agissent. les unes sur les autres et le reste du corps, engen­drant une régler­nen­ta­tion chi­mique et la coor­di­na­tion des fonc­tions orga­niques. C’est pour­quoi la bio­lo­gie actuelle incline à attri­buer un rôle impor­tant, dans le vieillis­se­ment du corps, à l’é­pui­se­ment du sys­tème endo­cri­nal ou glandulaire.

L’é­tat du sys­tème ner­veux est très impor­tant, sur­tout là où il règle le fonc­tion­ne­ment des organes internes : le rythme et la vigueur des contrac­tions du cœur, l’é­las­ti­ci­té des vais­seau san­guins, la sécré­tion des humeurs diges­tives, de l’u­rine, des hor­mones, les pro­ces­sus bio­chi­miques d’as­si­mi­la­tion et de désas­si­mi­la­tion concer­nant 1e foie et tous les tis­sus et organes en général.

Si cette par­tie du sys­tème ner­veux échappe au contrôle de la conscience, il peut cepen­dant être influen­cé par nos émo­tions. Comme Hufe­land l’a­vait remar­qué, par­mi les influences qui tendent à abré­ger la vie une place de pre­mier plan revient à la tris­tesse, à la dépres­sion morale, à la crainte, au désir, à la timi­di­té, à l’en­vie, à la haine. La peur contracte tous les capil­laires. Le. cœur se gorge et ne peut plus battre libre­ment ; la diges­tion est trou­blée, des crampes et la diar­rhée s’en­suivent. C’est ain­si que la peur pro­duit tous les, symp­tômes typiques d’un poi­son à lent effet et abrège la vie.

(à suivre)

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