La Presse Anarchiste

Le vol nuptial

Presque à l’au­rore d’une jour­née cani­cu­laire, j’as­sis­tai, curieux, à une cueillette de miel : j’y avais été invi­té par un api­cul­teur ami, fort amou­reux de son métier.

L’o­pé­ra­tion, déli­ca­te­ment ;exé­cu­tée, était ren­due plus inté­res­sante encore par les expli­ca­tions détaillées qui m’é­taient don­nées. Je ne connais­sais des abeilles que ce que m’a­vaient appris les leçons rudi­men­taires, notam­ment la jolie chose qu’est le « vol nuptial » :

La vieille reine de l’es­saim vient de dis­pa­raître ; la jeune reine, éle­vée jus­qu’à ce jour en vue de cette éven­tua­li­té, la rem­place. Pour exer­cer ses nou­velles fonc­tions, c’est-à-dire pour doter la ruche des cou­vains néces­saires à son exis­tence, elle doit être fécon­dée ; or, la mai­son ne compte plus de bour­dons : les uns sont par­tis, et ceux qui sont res­tés ont été tués impi­toya­ble­ment, la « répu­blique » des abeilles n’ad­met­tant pas les fai­néants, les bouches inutiles, car dans la ruche tout le monde doit tra­vailler ; c’est le régime col­lec­ti­viste idéal, trop idéal hélas ! pour nous qui ne sommes que des hommes !

La jeune reine part donc : escor­tée d’une par­tie de l’es­saim — tel un sou­ve­rain en voyage — elle va, de par les airs, de fleur en fleur, deman­der à la nature ce qui lui est néces­saire pour rem­plir ses fonc­tions spé­ciales dans la ruche.

Le plus sou­vent, le voyage n’est pas long, car non loin de la ruche se trouvent presque tou­jours quelques bour­dons, rôdant auteur de la mai­son riche, escomp­tant quelque fruc­tueuse rapine — tout comme chez les humains — Les rôdeurs ont donc aper­çu la reine et son escorte : c’est alors la course à l’a­mour à tra­vers les herbes et les fleurs ; un seul des sou­pi­rants cepen­dant sera l’é­lu. Mais celui-ci — le sait-il ? — paie­ra cher l’hon­neur suprême de son éphé­mère union ; il mour­ra presque aus­si­tôt en effet, ayant lais­sé, dans le corps de celle-ci, ses organes de fécondation.

La reine alors, tou­jours sui­vie de sa bour­don­nante escorte, rentre à la ruche, fécon­dée pour son exis­tence ; l’a­ve­nir de la mai­son est assuré.

N’est-ce point char­mant ?… Il fal­lait à une si poé­tique idylle un nom aus­si poé­tique ; Met­ter­nich l’a trou­vé en la bap­ti­sant si joli­ment : « le vol nuptial ».

[/​M. Gri­vet-Richard/​]

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