La Presse Anarchiste

De l’individualité à la nation

S’il est un mot qui repré­sente une abs­trac­tion c’est bien le mot société. 

Il est fait pour repré­sen­ter à notre esprit un être idéal auquel, conven­tion­nel­le­ment, nous attri­buons les diverses facul­tés mises en com­mun dans une association. 

Grâce à cette abs­trac­tion nous pou­vons consi­dé­rer cet être conven­tion­nel comme entiè­re­ment dis­tinct des asso­ciés, c’est-à-dire des indi­vi­dus qui l’ont créé et qui en consti­tuent la réa­li­té ; ce qui est fait pour faci­li­ter nos raisonnements. 

Les uns, ne peuvent admettre l’i­dée de cet être abs­trait et ils consi­dèrent l’en­semble des asso­ciés comme étant la socié­té même. Les autres, au contraire font de la socié­té un être réel, exis­tant par lui-même et indé­pen­dant des asso­ciés. À cet être ils attri­buent des qua­li­tés sur­na­tu­relles, ils le croient d’une intel­li­gence supé­rieure à toutes les per­sonnes asso­ciées et, convain­cus ils se tournent vers cet idéal tout puis­sant lui deman­dant qu’il solu­tionne toutes les dif­fi­cul­tés qu’ils rencontreront. 

Pour­tant, avant d’al­ler plus loin dans ces voies, il serait rai­son­nable de bien déga­ger notre esprit de ces deux sortes d’er­reurs. D’a­bord la socié­té n’est pas l’en­semble des asso­ciés, c’est en réa­li­té un abus de lan­gage de dire que des per­sonnes s’as­so­cient : ce qu’il fau­drait plu­tôt dire c’est que ces per­sonnes asso­cient cer­taines de leurs facul­tés. Il n’y a guère que dans la ser­vi­tude que la per­sonne de cer­tains asso­ciés est mise entiè­re­ment dans l’association.

Dans toutes les socié­tés il ne peut y avoir de mis en com­mun que cer­taines facul­tés des asso­ciés et leur indi­vi­dua­li­té reste tou­jours en dehors de l’association.

La Socié­té peut être un com­po­sé d’in­di­vi­dus mais non un ensemble d’as­so­ciés — ce qu’il ne faut pas confondre — mais seule­ment l’en­semble des facul­tés mises en com­mun par ces personnes.

Nous sommes obli­gés d’employer cer­taines formes de lan­gage pour faci­li­ter nos rai­son­ne­ments, mais la socié­té n’existe pas en dehors des asso­ciés, en un mot ce n’est pas un être réel. Si nous vou­lons connaître et mesu­rer les liens, les droits et toutes les facul­tés de cette indi­vi­dua­li­té fic­tive nous nous voyons for­cés de remon­ter aux per­sonnes qui lui ont prê­té ces facul­tés, qui seules existent réel­le­ment et en les­quelles seules réside le droit sur les choses mises en commun.

Je le répète : la socié­té est donc une abs­trac­tion, c’est-à-dire un être de rai­son dont nous sup­po­sons l’exis­tence, pour la bonne rai­son que nous ne pour­rions pas autre­ment rai­son­ner les ques­tions sociales. L’u­sage de cette expres­sion n’offre aucun incon­vé­nient tant qu’on la prend pour ce qu’elle est, un expé­dient indis­pen­sable pour rai­son­ner ; mais nous trou­vons qu’il y a abus quand on admet que la socié­té peut exis­ter par elle-même, sans que les per­sonnes qui lui ont four­ni leurs droits et, lui ont don­né sa rai­son d’être, existent encore ain­si que les droits qu’elles lui ont cédés.

Pour résu­mer cet article, on peut for­mu­ler de la manière sui­vante la défi­ni­tion de l’in­di­vi­dua­li­té réelle et de la per­son­na­li­té sociale.

Un indi­vi­du est un être actif et intel­li­gent, ayant en lui-même la cause seconde et le but momen­ta­né de son action et de son intel­li­gence, dont la cause pre­mière et le but final sont en dehors de lui.

[/​Maurice Imbard/​]

(à suivre)

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