La Presse Anarchiste

La vie moderne et l’individu

Toute la vie moderne jus­ti­fie le vol et les vio­lences. Par le négoce, par le com­merce, par le sala­riat, par l’im­pôt, par l’u­sure, par l’ac­ca­pa­re­ment et le sur­en­ché­ris­se­ment des pro­duits, par la conquête, par les divers et nom­breux pro­cé­dés de tri­che­rie inhé­rents aux exi­gences des pou­voirs publics, du patro­nat, de la gabe­gie et de tous ceux qui font fonc­tion­ner les rouages admi­nis­tra­tifs ; par l’exemple de la police, des sol­dats et des bour­reaux — elle apprend à mar­ty­ri­ser et à tuer. C’est bien le moins que pour se défendre, les indi­vi­dus à qui la For­tune, tout en les frô­lant n’a jamais sou­ri, sachent se ser­vir de ses enseignements !

À l’ac­ca­pa­re­ment des richesses sociales, la reprise indi­vi­duelle s’op­pose natu­rel­le­ment et logi­que­ment ; comme à l’ar­bi­traire des lois, des codes et des règle­ments, et à la méchan­ce­té de ceux qui sont char­gés de les appli­quer, la révolte indi­vi­duelle s’op­pose nécessairement.

À la famine, ain­si qu’à toutes les crises engen­drées par le gâchis poli­tique et social qui ne cesse de gros­sir et d’empirer, nous ne voyons que deux remèdes : édu­ca­tion et révolte individuelles.

Et pour­tant, nous ne sommes point des cri­mi­nels, des meur­triers, ni en passe de le deve­nir. Nous vou­drions, au contraire, que les hommes connussent leur ori­gine, qu’ils fussent suf­fi­sam­ment et ration­nel­le­ment ins­truits pour pou­voir se com­prendre et s’ac­cor­der, qu’ils fussent bons, secou­rables, soli­daires les uns des autres dans le tra­vail et dans tous les actes utiles de la vie.

Mais pour­quoi donc se créent-ils des besoins fac­tices, des dis­trac­tions mal­saines, nui­sibles. dan­ge­reuses ? Pour­quoi mènent-ils une vie si intense de fes­tins et de débauches ou de mor­telles pri­va­tions ou de navrantes misères ? Pour­quoi éprouvent-ils le besoin les uns de gou­ver­ner, de régner en maîtres ; les autres d’être sou­mis, esclaves, ram­pants ou apla­tis ? C’est que les pre­miers se croient des indi­vi­dus supé­rieurs, des sur­hommes ayant acquis les droits de pro­prié­té et d’au­to­ri­té ; les der­niers se croient obli­gés, d’a­près des règles de morale reli­gieuse ou laïque, d’être sou­mis, d’être les ser­vi­teurs des maîtres, d’être comme les dévots qui, croyant cal­mer leur esprit trou­blé, déli­vrer leurs idées enche­vê­trées, ras­sé­ré­ner leur conscience, ont besoin de prier le nom­mé Dieu qui est pour eux le créa­teur unique de toutes choses et le méde­cin de la Foi chrétienne.

Si on écou­tait les uns et si on imi­tait les autres, on ne pour­rait jamais se libé­rer des croyances stu­pides, des pré­ju­gés et des lois qui vous enchaînent et vous empêchent d’ac­com­plir l’ac­tion salvatrice.

Nous n’a­vons que faire des conseils des endor­meurs et des rêves de paix des endor­mis. Nous n’a­vons pas non plus à tenir compte des réflexions qu’ils peuvent faire à notre encontre, et de leurs bavar­dages ; car, en somme, que sont tous ces gens-là qui s’é­ta­blissent ain­si en mora­listes et en juges de nos actes ? À part, les uns qui sont de fief­fés coquins, les autres sont des épi­ciers qui vendent à faux poids, des mar­chands d’é­toffes qui font fausse mesure, des tailleurs qui habillent leurs enfants aux dépens de leur clien­tèle, des ren­tiers usu­riers, des pro­prié­taires impi­toyables, des concierges mou­chards et indi­ca­teurs, des débi­tants qui empoi­sonnent léga­le­ment les buveurs, et en somme, un tas de per­ro­quets, de grillons, de cigales, qui ne savent trop ce qu’ils disent et ce qu’ils chantent, des imbé­ciles et des cré­tins qui disent oui et non sans savoir pour­quoi et qui sont inca­pables de moti­ver leurs conclusions.

Mal­gré tout, la seule chose qui fasse vivre et puisse don­ner satis­fac­tion à l’In­di­vi­du, c’est la lutte ; mais pour qu’elle soit effi­cace, il faut mettre en pra­tique la fameuse devise de Dan­ton : « De l’au­dace, encore de l’au­dace, tou­jours de l’au­dace ! » Et il ne faut rien céder, rien sacri­fier de soi-même — autant que faire se peut — à cette socié­té qui dresse tant de pièges et de tra­que­nards à ceux qui ne veulent pas recon­naître ses lois et ses prérogatives.

On ne sau­rait conce­voir de quoi l’homme est capable s’il a la volon­té et jus­qu’à quel point il s’é­lève s’il se sent libre. Mais il ne faut pas que la lâche­té des foules l’empêche de for­mu­ler son vou­loir. C’est à lui de déci­der des moyens à employer pour arri­ver à ses fins :

« Vivre sa vie en liberté ! »

[/Fer­nand-Paul/]

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