Le spiritisme figure en bonne place parmi toutes ces sciences occultes à propos desquelles l’homme a donné libre cours à son imagination. Cependant il semblerait, depuis quelques années, que la mauvaise fortune qui poursuit le fait religieux, ait quelque peu déteint sur les théories de ces sectaires qui prétendent commercer avec les esprits.
Sans entrer dans une critique serrée du spiritisme populaire, je veux montrer le ridicule qui s’y attache.
Néanmoins il est hors de conteste que la compréhension de certains faits occultes nous échappe ; les sciences physiques elles-mêmes demeurent impuissantes à expliquer certains phénomènes. Je ne crois pas inutile à propos d’occultisme de citer une phrase de Péladan, phrase tirée de son Introduction aux sciences occultes — page 74.
« Il n’y a pas de génération spontanée, ni en métaphysique, ni en physique. Les idées, avant d’êtres formulées, se révèlent par une aube qui éclaire partiellement beaucoup d’esprits. On dit couramment qu’une idée est dans l’air, et on dit vrai.
« La pensée qui va être proférée montre des signes précurseurs comme l’évènement, et la perception de ces lignes constitue un art magique. L’homme supérieur, avant de devenir un centre d’expansion, commence par être un point de concentration, un aimant virtuel qui attire à lui les rayons de l’intellectualité ambiante. On n’a pas reconnu, sous les traits du séducteur condamné par le sanhédrin, l’attendu des nations ; mais personne, parmi ceux qui pensaient alors, ne se dissimulait la fatalité d’un grand changement. Le monde attendait une parole, et cette parole était l’effet anticipé de cette parole même. »
Il y a plusieurs catégories de spirites : tout d’abord les charlatans, les pitres ; ce sont les parasites du spiritisme — quel mouvement n’a pas les siens ? — puis les rieurs, les moqueurs, c’est-à-dire ceux qui s’amusent d’une illusion, qui trouvent une distraction à faire ou voir tourner des tables ; ceux-ci ne font que traverser les milieux spirites. Et encore ceux-là les croyants ; ce sont les plus nombreux. En général les croyants se recrutent parmi les femmes, particulièrement chez celles qui sont nerveuses ou maladives ; ce sont des auto-suggestionnables qui vivent dans une sorte d’au-delà mystique qui les charme.
Raisonner avec une voyante spirite, c’est presque perdre son temps. Que voulez-vous répondre au déchet social qui prétend apercevoir Allan Kardec incarné ? — Évidemment rien, il n’y a qu’à se moquer. C’est pour ce faire que je me suis rendu à plusieurs reprises différentes dans un club spirite provincial. Bien qu’inconnu de tous, j’y suis entré, nul ne m’a demandé ce que je venais faire. Je rends hommage à cette discrétion. Donc un soir la séance commença par des adjurations aux bons et aux mauvais esprits, puis une prière suivie d’une causerie sur la médiumnité des animaux ! Je passe. Parmi les personnes qui se trouvaient réunies ce soir-là deux s’approchèrent de la table d’intuition ; une vieille mégère à allure de sorcière et un adjudant d’infanterie firent ainsi vis-à-vis. La table d’intuition, c’est-à-dire de communication avec les esprits est très petite, elle n’a qu’un seul pied formant pivot. Les deux spirites se recueillirent gravement, portèrent leurs mains à plat sur la table et attendirent l’intuition.
Avoir ladite intuition — en langage spirite — c’est pressentir une communication d’un ou plusieurs esprits. La preuve de la communication se manifeste — paraît-il — par une oscillation de la table, une sorte de tangage occasionnant un son, un coup, des coups. Comme on le voit comme mise en scène c’est peu compliqué, les spirites sont des « simples ». Trois coups consécutifs correspondent à la troisième lettre de l’alphabet, c’est-à-dire au c, quatre coups à la quatrième lettre et ainsi de suite. La personne qui sent l’intuition complète le mot dont elle n’a que la première lettre et les assistants écoutent à « oreille que veux-tu ». C’est ainsi que Victor Hugo, Allan Kardec firent des confidences à leurs amis les spirites. À mon souvenir ces esprits ne se mirent pas en frais d’imagination et je ne me rappelle pas avoir entendu autre chose que des banalités. D’autres esprits se manifestèrent à certains soit au moyen de l’écriture, soit par l’organe de médiums complaisants. Je me souviens d’un certain apparenté à un assistant qui s’en vint demander à ce dernier des nouvelles de sa famille, ce fut alors chez ledit assistant matière à pleurs, lamentations et autres jérémiades du plus bel effet comique.
Par moment, il y a lieu de se demander si les spirites ne sont pas malades, fous. J’ai assisté à des scènes ridicules au possible. Un soir profitant — langage spirite — d’une quasi-obscurité un esprit, un certain docteur se révéla subitement aux spirites sous sa forme humaine. Ce fut une occasion pour les voyants de se grouper dans un coin de la salle afin de suivre mieux les mouvements du dit esprit.
L’ensemble de ces voyants formait un groupe assez réussi, on aurait pu y remarquer trois ou quatre vieilles femmes, une horizontale, une institutrice, quelques employés et jusqu’à un officier. Et voyants d’un côté assis sur des chaises, médiums moelleusement installés dans des fauteuils, et encore menu fretin spirite serré sur des bancs, l’apparition commença.
Un médium chassait en vain l’esprit qui s’obstinait à rester sur son épaule, il soufflait dessus mais vaincu il s’endormait. Une voyante trouvait le docteur bien vieilli depuis sa dernière apparition. Une gamine qui pouvait avoir tout au plus huit ans se désolait de ne rien voir et à ma stupéfaction elle dit à la femme qui l’accompagnait — probablement sa mère — : « Je ne vois rien mais j’ai des frissons ! » La venue du docteur — toujours en esprit — un certain docteur Wurtz se manifesta ce soir-là d’une façon très particulière. Voici.
Depuis un moment ma voisine manifestait des signes évidents de nervosité. Je me demandai à quelles suggestions elle pouvait bien obéir. Puis tout à coup elle se mit à trembler tout en paraissant très oppressée. Les tremblements devinrent plus saccadés, plus vifs et tournèrent en brusques mouvements de bras et de jambes ; cette femme offrait aussi aux proches voisins le spectacle d’une figure décomposée que l’obscurité rendait plus effrayante encore.
Comme j’allai presque m’inquiéter de cette jeune personne, un spirite me dit sérieusement « Ce n’est rien, laissons-là, l’esprit du bon docteur la travaille ». Et comment !
Outre ces fumisteries stupides de batteurs d’estrade ou de névrosés de bonne foi, les spirites prophétisent au moyen de leurs médiums. Contrairement à une opinion courante je n’ai rien entendu qui ne sortit de l’ordinaire : des banalités, sans plus.
Les passes magnétiques qui s’imposent pour le dégagement, le réveil du médium ou les besoins de la médecine spirite se font à la grande lumière et cela n’est rien moins qu’impressionnant pour l’assemblée bizarre que forme toujours le public spirite.
On est en droit de se demander l’à quoi bon du spiritisme, l’utilité de telles momeries funambulesques.
Et il serait utile que le bataillon d’abrutis, d’hystériques et de mystiques qui forme le contingent spirite réfléchisse au danger que présentent les excitations nerveuses occasionnées par leurs rites. Nous vivons dans une atmosphère suffisamment lourde d’électricité, de vapeur et autres folies de gens de science et de progrès, sans qu’il soit besoin d’activer le détraquement prématuré des jeunes par la pratique d’un culte qui frise celui, heureusement mort, des exorciseurs et des convulsionnaires d’antan.
[/É. Quimporte/]