La Presse Anarchiste

Premier mai

Ce jour fut choisi par nos pères pour que le pro­lé­tari­at du monde entier dans un mou­ve­ment d’ensem­ble proteste et revendique ses droits. Les plus hardis voy­aient là, dans un avenir loin­tain, le moyen pour la classe pro­lé­tari­enne de se soulever con­tre l’op­pres­sion, de s’emparer de la richesse sociale et d’établir un ordre de choses plus juste. En atten­dant, pour tous, c’é­tait un moyen de rap­pel­er aux bour­geois que les ouvri­ers étaient las d’être traités comme des bêtes de somme et qu’ils revendi­quaient quelques amélio­ra­tions immédiates.

La reven­di­ca­tion pri­mor­diale était et est encore la reven­di­ca­tion des trois-huit : 8 heures de tra­vail, bon, mais aus­si 8 heures de loisir et 8 heures de sommeil.

Toute reven­di­ca­tion doit découler des con­di­tions économiques et non d’un désir si jus­ti­fié soit-il. La pro­pa­gande pour les trois-huit fut intense pen­dant quelques années, nais dans la vie com­mer­ciale, indus­trielle et agri­cole une telle réforme ne pou­vait être imposée que par la force. Peut-être une volon­té ferme du pro­lé­tari­at agis­sant directe­ment, révo­lu­tion­naire­ment aurait pu réus­sir à impos­er cette reven­di­ca­tion. Mais on sait com­ment se trans­for­ma la man­i­fes­ta­tion du 1er Mai, on sait qu’elle se mua en une délé­ga­tion aux pou­voirs publics. Cer­tains de nous ont sous les yeux le tableau où Gues­de et un groupe de députés social­istes remet­tent, dans un salon, à un mon­sieur le cahi­er des reven­di­ca­tions ouvrières.

Au 1er Mai 1912, il n’y aura même plus de délé­ga­tion, des munic­i­pal­ités social­istes fêteront offi­cielle­ment le 1er Mai. Et dans pas mal d’en­droits les ouvri­ers con­scients et organ­isés, après une journée de labeur, assis­teront à des meet­ings et à des sauteries !

Certes beau­coup d’ou­vri­ers ont à cœur d’obtenir une diminu­tion des heures jour­nal­ières de tra­vail. Mais si l’on arrive à un cer­tain résul­tat dans ce sens ; on voit que ce n’est pas en tant que classe que la reven­di­ca­tion est imposée. La diminu­tion des heures de tra­vail est obtenue dans telle cor­po­ra­tion, puis dans telle autre par une série de grèves, de luttes corporatives.

Le 1er Mai a com­plète­ment échoué. Petit-être un petit résul­tat a été obtenu dans cer­taines indus­tries, mais c’est tout. Dans le tex­tile à Vienne notam­ment grâce à l’én­ergie de cer­tains cama­rades, par­mi lesquels se trou­vait Pierre Martin.

Le 1er Mai a échoué comme tout ce qu’a entre­pris la masse ouvrière, igno­rante et lâche, qui s’ar­rête devant le pre­mier obsta­cle venu : À Vienne même où les ouvri­ers n’ont obtenu quelques avan­tages, quelque diminu­tion dans la bru­tal­ité de l’ex­ploita­tion que grâce aux anar­chistes, une grève s’é­tant pro­duite, les femmes qui par­ti­c­ulière­ment béné­fi­cièrent des luttes antérieures, s’écrièrent : « Si les anar­chistes s’en mêlent. nous ren­trons à l’u­sine. Nous ne voulons plus de martyrs. »

La femme qui enraye tout mou­ve­ment social par un esprit étroit et per­son­nel, aurait besoin d’être éduquée afin qu’elle acquière comme tant d’hommes une per­son­nal­ité. Mal­heureuse­ment on n’abor­de pas le prob­lème car­ré­ment. On cherche à cap­tiv­er la femme, on craint de l’ef­farouch­er. Si élevés que soient les mobiles qui guident les mil­i­tants pour la con­quérir, ils approu­vent les femmes qui comme Jacque­line dans « la Bataille Syn­di­cal­iste » flat­tent les préjugés de leurs sœurs.

Cepen­dant, la « Bataille » est bien le meilleur quo­ti­di­en, le seul quo­ti­di­en ouvri­er, mais Jacque­line veut que ses sœurs la lisent et alors.… Ain­si elle écrit :

« Mais sans être avares comme le sont pas mal de ces dames (les bour­geois­es) ne nous lais­sons pas vol­er. Ayons l’œil et dis­ons-nous que cet argent qui nous vient du tra­vail, de la sueur de notre com­pagnon, doit être employé de la façon la plus intel­li­gente et la plus prof­itable au bon­heur de la communauté ».

Proud­hon avait dit : cour­tisane ou ménagère ; Jacque­line y va crû­ment de son : cour­tisane et ménagère !

En nous don­nant des con­seils, Jacque­line racon­te que prise à l’im­pro­viste par des amis elle a acheté un morceau de ros­bif qui tout cal­cul fait déchet, petits poids, etc. lui reve­nait à 2 F 70 la livre. Tout en mau­gréant elle ajoute :

« Il est pour­tant néces­saire d’en avoir quelque­fois sur la table, surtout à Paris pour com­penser l’air pur qui nous manque. Il faut au tra­vailleur une nour­ri­t­ure intel­ligem­ment com­prise, ni trop, ni trop peu. »

Ailleurs elle dit : « il ne faut pas oubli­er que le pot-au-feu est la base de la nour­ri­t­ure de la famille. »

Le plat de résis­tance de Jacque­line c’est tou­jours le plat de viande ! L’inévitable pot-au-feu, que l’ig­no­rance ouvrière croit être un ali­ment sain et for­ti­fi­ant, est même par les par­ti­sans du régime carné recon­nu pour être par excel­lence un bouil­lon de cul­ture pour les microbes, de telle sorte qu’il agit sur notre organ­isme comme un véri­ta­ble poison.

Igno­rante comme toutes les cour­tisanes, comme toutes les ménagères, le végé­tarisme, le laitage et les œufs lui parais­sent insuff­isants pour nour­rir son homme qui a tra­vail­lé toute la journée !

Mais cette pau­vre Jacque­line par­le de la cui­sine comme Jouhaux par­le des besoins de l’ou­vri­er. C’est que dans le pro­lé­tari­at mil­i­tant il y a unité de vue sur la ques­tion des besoins.

Jouhaux dans une étude inti­t­ulée : « Le Min­i­mum de salaire » (sa valeur sociale), revendique un min­i­mum de salaire qui doit être établi d’après l’indis­pens­able néces­saire à la vie d’une famille ouvrière, c’est-à-dire « les loy­ers, les den­rées de pre­mière néces­sité : pain, viande, vin ou bière, légumes, vête­ments, etc. » Et il con­clut que « C’est pour une exten­sion de nos besoins que la lutte pour l’aug­men­ta­tion de nos salaires doit se poursuivre. »

Com­ment voulez-vous que l’homme tra­vaille moins en dépen­sant plus et étant en plus de cela obligé de nour­rir sa cour­tisane — sa femme ?

Les ouvri­ers sont impa­tients de s’en­gouf­fr­er dans les usines parce qu’ils sont tou­jours à la veille de l’af­freuse mis­ère, de la détresse, grâce aux excel­lents con­seils du cama­rade Jouhaux, des révo­lu­tion­naires, qui con­seil­lent d’aug­menter les besoins au lieu de les raisonner.

Il est bien évi­dent que si la con­som­ma­tion dimin­u­ait, les journées de tra­vail seraient moins longues. On me dira que le nom­bre des sans-tra­vail aug­menterait sans que pour cela la durée de tra­vail dimin­uât. Je répondrai qu’il est pos­si­ble que le nom­bre des sans-tra­vail irait momen­tané­ment en aug­men­tant, mais ce serait un dan­ger si grand qu’il faudrait pren­dre des mesures, car la révolte ne tarderait pas à gron­der. Le peu­ple n’est grand que quand il a faim, il est comme la blonde à ma voi­sine qui meu­gle quand sa ration se fait attendre.

On m’op­posera qu’il y a eu des sans-tra­vail en quan­tité dans des cap­i­tales à cer­taines épo­ques et que cela n’a pas amené la révo­lu­tion. Il m’est facile de répon­dre que ce n’é­tait que momen­tané, que pas­sager, que ce n’é­tait qu’une per­tur­ba­tion économique. Or, je crois que cette per­tur­ba­tion ne tarderait pas à être chronique, si les ouvri­ers raison­naient leurs besoins. Et alors, alors seule­ment la bour­geoisie serait bien for­cée de se laiss­er impos­er les volon­tés ouvrières par la force même des choses !

[/Z. Zaïkows­ka/]


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