La Presse Anarchiste

La philosophie allemande

Nous pré­voyons pour l’Allemagne, tant au point de vue éco­no­mique qu’intellectuel, une longue période de dépres­sion géné­rale que nous avons com­pa­rée, dans un pré­cé­dent article, aux deux siècles ayant sui­vi la guerre de Trente Ans et qui ont reje­té l’Allemagne si loin à l’arrière dans le rang des peuples.

À peine notre article écrit, nous lisons le compte ren­du d’une confé­rence faite par un syn­di­ca­liste de marque qui pré­dit qu’au contraire « avant vingt ans, l’autorité morale mon­diale sera entre les mains de l’Allemagne ! »

Une par­tie de l’auditoire pro­tes­tant par les cris : « Et les États-Unis ! et la Rus­sie ! », le confé­ren­cier aurait répondu :

« L’Allemagne est plus déve­lop­pée que les États-Unis, car en même temps qu’une indus­trie for­mi­dable, elle s’est don­née une philosophie. »

Ah ! cette phi­lo­so­phie alle­mande, qu’elle a déjà fait « tour­ner » de têtes !

Mais, comme des mêmes pré­misses, — les résul­tats éco­no­miques et moraux de la guerre — on peut arri­ver à des conclu­sions dia­mé­tra­le­ment oppo­sées ; comme, d’autre part, nous esti­mons que la « phi­lo­so­phie » — notam­ment celle de Nietzsche — n’a pas été jour peu de chose dans la défaite alle­mande, il importe de recher­cher ici de plus près en quoi consiste cette fameuse « phi­lo­so­phie alle­mande » et l’influence morale qu’elle a eu pen­dant la guerre sur la psy­cho­lo­gie des masses d’outre-Rhin, ain­si que sur leur juge­ment des autres peuples.

Tout d’abord, il serait utile de poser, en géné­ral, la ques­tion de savoir si nous pou­vons bien, à l’époque où nous vivons,  « nous don­ner une phi­lo­so­phie », — bien enten­du, une phi­lo­sophe moderne reflé­tant le savoir, les dési­rs, l’idéal de la géné­ra­tion actuelle.

Ne vou­lant pas trop nous écar­ter de notre but, nous devons tout de même faire remar­quer qu’il était rela­ti­ve­ment facile d’avoir « une phi­lo­so­phie » à l’époque de Kant, Hegel, Fichte, etc. 

Les sciences étant rela­ti­ve­ment peu, avan­cées, il n’était pas trop dif­fi­cile, il y a un siècle, de créer une sorte de « science des sciences », et de syn­thé­ti­ser le savoir humain dans un ensemble de règles géné­rales, quitte à juger après, par déduc­tion, les cas pré­cis de la vie jour­na­lière ou de la science par­ti­cu­lière, d’après les règles de la phi­lo­so­phie générale.

Mais voi­ci ce qui est arri­vé au tours des xixe et xxe siècles et ce qui devait arri­ver néces­sai­re­ment : Armés de leur « phi­lo­so­phie », les savants du xixe siècle nous ont conduit à des erreurs scien­ti­fiques et sociales sans nombre ; grâce à leur méthode de résoudre les pro­blèmes trop exclu­si­ve­ment par voie déduc­tive, dans le cer­veau humain, et pas assez par voie induc­tive, en scru­tant constam­ment la vie réelle et en, y retour­nant à chaque reprise, ces savants ont émis tant d’idées fausses qu’on a quelque fois, dans cer­taines branches de la science, pro­po­sé en tout sérieux, de lais­ser de côté à peu près tout ce que le xixe siècle a appor­té et de rac­cro­cher les recherches modernes le plus pos­sible à celles faites avant l’illustre période de la « phi­lo­so­phie ». Mal­heu­reu­se­ment, il fau­drait, dans ce cas, sacri­fier éga­le­ment les acqui­si­tions réelles qui ont été faites au xixe siècle !

Avant de citer quelques exemples de la mau­vaise méthode scien­ti­fique appli­quée sous l’influence de l’ancienne phi­lo­so­phie, consta­tons qu’à l’époque où mous vivons, les nou­velles sciences, plus rigou­reu­se­ment fon­dées sur la méthode induc­tive et expé­ri­men­tale, se sont dis­per­sées sur les ter­rains les plus dif­fé­rents et qu’assurément, elles ne sont pas encore assez avan­cées, pour qu’on puisse déjà, par la com­pa­rai­son, syn­thé­ti­ser le savoir humain moderne, comme l’ont fait, pour leur temps, les grands phi­lo­sophes de la fin du xviiie siècle et du com­men­ce­ment du xixe. À notre avis, il est donc de nos jours, ou bien trop tard, ou bien trop tôt pour « se don­ner une phi­lo­so­phie ». Et le fait seul que la géné­ra­tion alle­mande, actuelle s’est lais­sée gui­der par des concep­tions et des méthodes sur­an­nées, que les masses alle­mandes ont agi sous le coup de quelques for­mules vieillies, ne sau­rait être men­tion­né par­mi les avan­tages réels dont a dis­po­sé le peuple alle­mand pen­dant la guerre, ou dont il dis­po­se­ra clans l’avenir.
 
[|* * * *|]

 
Arri­vons à nos exemples. 

Conduits par la phi­lo­so­phie des grands syn­thé­tistes alle­mands, les savants du xixe siècle avaient éla­bo­ré toute une théo­rie des mœurs et habi­tudes, des croyances, etc., des peuples demi-civi­li­sés. On fai­sait pen­ser le nègre de l’Afrique du Sud, l’Indien de l’Amérique et le pri­mi­tif Aus­tra­lien avec le cer­veau d’un blanc, aimer, prier, craindre ou se réjouir comme un blanc. Tout cela réus­sis­sait à mer­veille et sem­blait fort « scien­ti­fique », jusqu’au moment où des voya­geurs blancs, savants modernes, allèrent vivre la vie des demi-civi­li­sés, avant de décrire leurs mœurs, leur culte, etc. Alors, on a vu que rien de ce que les « phi­lo­sophes » avaient éla­bo­ré ne sup­por­tait l’examen. Et voi­là pour­quoi, en France, par exemple, on ne sau­rait plus don­ner les œuvres de l’illustre Auguste Comte — pour ne pas par­ler des savants du deuxième et troi­sième ordre — entre les mains d’un étu­diant inex­pé­ri­men­té et ne sachant pas sépa­rer le bon grain de l’ivraie.

En science éco­no­mique, de savants comme Marx et Engels, ayant besoin d’élaborer leur théo­rie de tra­vail, selon laquelle le tra­vail « incor­po­ré » dans les mar­chan­dises, est la mesure pro­fonde de leur valeur, racon­taient faci­le­ment que jusqu’à la nais­sance du capi­ta­lisme, l’échange des mar­chan­dises se fai­sait direc­te­ment d’après cette « Loi de la Valeur ». « Cela s’applique, disait Marx, à l’état pri­mi­tif, comme aux états pos­té­rieurs, fon­dés sut l’esclavage et le ser­vage, et à l’organisation cor­po­ra­tive ». (Marx, tome III, 1re par­tie, trad. fr. pages 187 – 188). Le clas­sique Adam Smith l’avait expri­mé sous une forme plus naïve encore : « Chez un peuple de chas­seurs, s’il en coûte habi­tuel­le­ment deux fois plus de peine pour tuer un cas­tor que pour tuer un daim, un cas­tor s’échangera natu­rel­le­ment contre deux daims ou vau­dra deux daims ».

Cepen­dant, lorsque les explo­ra­teurs et eth­no­graphes modernes ont com­men­cé à étu­dier sérieu­se­ment les peuples vivant dans « l’état pri­mi­tif », et sous « l’esclavage et le ser­vage » ils ont bien­tôt remarque que chez tous ces peuples l’échange s’opère sur des bases tout autres qu’on n’avait cru. En effet, dans la lutte pri­mi­tive de l’homme contre les élé­ments natu­rels, le tra­vail, bien que par­fois régu­lier et sys­té­ma­ti­que­ment réglé (tabous reli­gieux, tabous sexuels, etc.), ne sert pas de mesure. Et com­ment pou­vait-il en être autre­ment, étant don­né qu’à ce stade de civi­li­sa­tion, il n’existe même pas de rap­port fixe entre le tra­vail et son pro­duit. Le hasard de la chasse, la faveur ou l’hostilité de la nature et ses forces incon­nues, la lutte contre la mala­die des hommes et des bes­tiaux, tout cela exerce son influence.

En matière de socia­lisme, le déve­lop­pe­ment de la socié­té actuelle en socié­té com­mu­niste a été expo­sé par Marx et Engels stric­te­ment d’après la vieille for­mule de Hegel : thèse, anti-thèse, syn­thèse. La spo­lia­tion des anciens arti­sans et petits pay­sans de leurs moyens de pro­duc­tion avait été la « néga­tion » de cette ancienne pro­prié­té indi­vi­duelle basée sur le tra­vail ; mais à cette néga­tion suc­cè­de­ra la « néga­tion de la néga­tion ». Les capi­ta­listes s’entretueront, les grands man­ge­ront les petits et dans quelques dizaines d’années il ne res­te­ra qu’un nombre res­treint de « poten­tats du capi­tal », tan­dis que chez les masses du peuple « aug­mentent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégra­da­tion, l’exploitation ».

On n avait qu’à attendre tran­quille­ment cette évo1utou inévi­table de la socié­té capi­ta­liste ! Mal­heu­reu­se­ment pour la phi­lo­so­phie de Marx, les capi­ta­listes n’ont pas vou­lu conti­nuer à s’entrégorger et ont com­men­cé à fon­der dans toutes les grandes indus­tries de for­mi­dables car­tels et trusts. D’autre part, leurs capi­taux deviennent de plus en plus des capi­taux ano­nymes pla­cés dans l’industrie, par des mil­liers et cen­taines de mil­liers de petits pos­ses­seurs qui confient leurs épargnes à la Banque. Le capi­ta­liste moderne tra­vaille, selon l’expression, « avec l’argent d’autrui ».

Si Marx n’a pu pré­voir, par sa phi­lo­so­phie bor­née et sa méthode peu scien­ti­fique, cette évo­lu­tion réelle de la socié­té du côté capi­ta­liste, il n’a pas vu non plus que sa propre parole de com­bat : « Pro­lé­taires de tous les pays, unis­sez-vous ! » était en oppo­si­tion directe avec sa pré­vi­sion de l’appauvrissement géné­ral des masses. Car, aus­si peu que les capi­ta­listes, les tra­vailleurs pro­lé­taires n’ont vou­lu conti­nuer cette lutte de tous contre tous du milieu du xixe siècle. Ils ont orga­ni­sé des grou­pe­ments, des syn­di­cats ouvriers, d’abord loca­le­ment, ensuite natio­na­le­ment et inter­na­tio­na­le­ment et, grâce à cette orga­ni­sa­tion, ils ont réus­si à amé­lio­rer consi­dé­ra­ble­ment leur vie maté­rielle ; aus­si, sont-ils aujourd’hui, de taille à se mesu­rer avec les unions patronales.

Sur ce point aus­si, comme sur tant d’autres encore, la phi­lo­so­phie mar­xiste avait induit les masses en erreur.

Mais il est peut-être bon de don­ner encore un exemple de mau­vaise phi­lo­so­phie alle­mande dans un autre domaine de la science. Nous l’empruntons à un inté­res­sant article, écrit par M. E.-F. Gau­tier, dans la Revue de Paris, du 15 sep­tembre der­nier, sous le titre : « Deux Algé­riens ». L’un de ces Algé­riens est Émile Mau­pas, le bio­logue, mort en octobre 1916, après une vie pauvre et laborieuse.

Vers 1889 se mon­trait au ciel scien­ti­fique alle­mand, une comète d’un sin­gu­lier éclat. Le pro­fes­seur Weiss­mann avait éla­bo­ré toute une théo­rie de la vie, qu’il expo­sait sous les titres pom­peux de : L’Immortalité du plas­ma ger­mi­na­tif comme base d’une théo­rie de l’hérédité. — L’Importance de la trans­mis­sion sexuelle pour la théo­rie de la sélec­tion.

Weiss­mann avait décou­vert ni plus ni moins que l’immortalité de la matière vivante, qu’il avait, avant tout, obser­vée par­mi les pro­to­zoaires, chez les infu­soires notamment.

Les ani­maux infé­rieurs, com­poses d’une cel­lule unique, se repro­duisent, disait-il, par bipar­ti­tion, comme les plantes par bou­ture. On voit sous le micro­scope une cloi­son appa­raître dans la cel­lule, un étran­gle­ment, qui se ter­mine par une sépa­ra­tion com­plète. Au lieu d’un ani­mal, on en a deux. Puis, cha­cun de ces petits ani­maux recom­mence et se dédouble, et ain­si de suite.

Dans ce pro­ces­sus, il n’y a plus de place pour la vieillesse et pour la mort natu­relle. Après la bipar­ti­tion il n’y a ni mère, ni fille ; il n’y a pas d’ancêtres, tous sont rigou­reu­se­ment sem­blables et contem­po­rains. Vou­lez-vous par­ler de la mort ? Mais « où donc est le cadavre ? » C’était le che­val de bataille de Weiss­mann. Les pro­to­zoaires meurent d’accident.

L’immortalité des pro­to­zoaires, nous autres hommes, nous l’avons tous gar­dée dans celles de nos cel­lules qui pro­pagent l’espèce, qui concourent à for­mer l’œuf. C’est donc toute la matière vivante qui est essen­tiel­le­ment immortelle.

On voit com­bien faci­le­ment on arrive, grâce à la phi­lo­so­phie, à des théo­ries géné­rales : théo­ries de la vie orga­nique, ou théo­ries sociales, Weiss­mann ou Marx, la puis­sance déduc­tive est du même calibre. 

Mal­heu­reu­se­ment pour le pro­fes­seur Weiss­mann, le Fran­çais Émile Mau­pas tra­vaillait dans la même direc­tion, mais… d’une façon, autre­ment scien­ti­fique. En 1888 et 1889, il se trou­va à publier, en deux longs mémoires, une mono­gra­phie des infu­soires. Il n’y avait là ni rai­son­ne­ments, ni théo­ries géné­rales, des faits seulement.

Concen­trant sous son micro­scope, dans la fenêtre — don­nant sur la mer — de sa simple habi­ta­tion, la lumière pré­cieuse venue du Nord, il avait, pen­dant de longues années, obser­vé la vie réelle des infu­soires. Quatre ou cinq assiettes creuses, cha­cune recou­verte d’une cloche de verre, conte­naient, sur la che­mi­née, le bouillon de culture.

Lorsque les deux mémoires de Mau­pas parurent, on fut éton­né de la sim­pli­ci­té de son expo­sé, un texte dont la prin­ci­pale rai­son d’être était d’expliquer de nom­breuses planches. Sur ces planches, on vit l’infusoire vieillard, ou « sénes­cent », l’infusoire ago­ni­sant, d’agonie natu­relle ; et « le cadavre », deman­dé par le pro­fes­seur Weiss­mann. Il fut acquis que l’infusoire non plus n’était pas immor­tel. La bipar­ti­tion joue un grand rôle dans la repro­duc­tion des infu­soires, mais pas le rôle essen­tiel. Il vient tou­jours un moment où l’infusoire pra­tique ce que le texte appelle des « conju­gai­sons », ce qui signi­fie des hymens de noyaux pro­to­plas­miques. Et l’espèce des infu­soires paraît se pro­pa­ger essen­tiel­le­ment comme la nôtre, on ne com­prend pas bien comment.
 
[|* * * *|]

 
Nous nous sommes lais­sés entraî­ner par notre désir d’exposer les dan­gers de la méthode déduc­tive et de la géné­ra­li­sa­tion de l’ancienne phi­lo­so­phie en matière de science. Reve­nons main­te­nant à la guerre :

Dans la pré­pa­ra­tion de toute une géné­ra­tion alle­mande à la guerre de conquête, le rôle joué par la phi­lo­so­phie de Fré­dé­ric Nietzsche a été consi­dé­rable. Des for­mules frap­pantes, comme la « Volon­té de puis­sance » (Wille zur Macht), ont joué dans la bour­geoi­sie alle­mande un rôle non moins impor­tant et… funeste que jouent actuel­le­ment, dans les milieux ouvriers, cer­taines for­mules mar­xistes, comme celle de la « Dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat ». L’Allemagne aime l’abstraction et les expres­sions ronflantes. 

Tout haut fonc­tion­naire, tout petit hobe­reau-lieu­te­nant de la Garde, se croyait, avant la guerre, un « sur-homme » nietz­schéen ; et même dans les milieux social-démo­crates et ouvriers, nous avons pu obser­ver qu’en réa­li­té tout le peuple alle­mand se consi­dé­rait plus ou moins comme un « peuple de maîtres » (Her­ren­volk), sorte de nou­veau peuple élu, dési­gné par la nature, pour sou­mettre à sa domi­na­tion le conti­nent d’Europe et le monde entier. À ce point de vue aus­si, l’Allemagne « s’était don­née une philosophie ».

Vint la guerre déclen­chée par l’Empereur. Séduits par leur « phi­lo­so­phie », les Alle­mands étaient convain­cus de pou­voir en finir en deux ou trois mois avec leurs enne­mis. Qu’étaient ces der­niers ? À com­men­cer par l’ennemi prin­ci­pal, les Alle­mands devaient avoir devant eux les Fran­çais « peuple dégé­né­ré », com­bat­tif il est vrai, mais « sans force de résis­tance, ni endu­rance ». Les batailles sur la Marne, devant Ver­dun, sur l’Yser, leur apprirent — un peu tard — autre chose !

Le fait d’avoir mal obser­vé, trop vite géné­ra­li­sé, trop faci­le­ment construit des thèmes d’après les néces­si­tés de leurs concep­tions phi­lo­so­phiques sur le monde et la vie (Wel­tan­schauung), leur a joué de mau­vais tours ; non seule­ment à l’égard des Fran­çais, mais éga­le­ment de tous les autres peuples avec les­quels ils entrèrent eu conflit.

L’Angleterre « n’accepterait jamais la lutte contre le colosse alle­mand » ; du reste, ce pays était « trop mer­can­tile pour se mettre sur la brèche, au pro­fit d’autrui ». La Bel­gique lais­se­rait, natu­rel­le­ment, pas­ser les années alle­mandes ; d’ailleurs, on n’avait qu’à mon­trer les poings, comme le Schutz­mann le fait à la popu­la­tion d’une ville prus­sienne, et tous les Belges res­te­raient cois. Le fait d’avoir jugé tous les autres peuples d’après le modèle alle­mand n’a pas été la moindre des fautes psy­cho­lo­giques que les Alle­mands ont commis.

L’Allemagne avait déjà, au début de la guerre, per­du l’Italie comme « alliée ». En quelques mois, cet ancien allié était trans­for­mé en enne­mi — grâce à quelles erreurs ! Von Bülow, favo­ri ita­lien, était pour­tant entré per­son­nel­le­ment en cam­pagne dans la presqu’île apen­nine. Il avait cru qu’on pou­vait ache­ter les consciences comme on ache­tait, sur le pavé de Ber­lin, les jeunes per­sonnes qui, très pra­tiques, offraient leurs ser­vices, en indi­quant le prix : « Cinq marks, Mon­sieur ! » Et Von Bülow a été si gros­sier dans son mar­chan­dage, qu’il a fini par dres­ser contre lui toute la presse ita­lienne ! On achète, en socié­té capi­ta­liste, les jour­naux et les revues, pour sûr ! Mais il y a ache­ter et ache­ter et, comme dit le pro­verbe, c’est le ton qui fait la musique.

Faut-il rap­pe­ler encore toutes les erreurs com­mises aux États-Unis, au Bré­sil, clans les pays scan­di­naves ? Par­tout le manque de dons pra­tiques en matière de psy­cho­lo­gie a conduit les diplo­mates et savants alle­mands à juger la situa­tion dans les autres pays, trop d’après leurs for­mules pré­éta­blies et pas assez d’après la méthode empirique.

De même, quand les chefs alle­mands vou­laient inau­gu­rer une nou­velle inven­tion de cruau­té : les gaz asphyxiants, la « guerre sous-marine outrance », etc. — ils étaient convain­cus, de par leur phi­lo­so­phie maté­ria­liste, que tout pro­cé­dé est bon s’il porte des résul­tats pra­tiques et que le côté moral ne compte pour rien dans une guerre.

Pour résu­mer, ne nous lais­sons plus éblouir par le bluff ger­ma­nique ; recon­naissons volon­tiers toutes les qua­li­tés des Alle­mands : leur goût du tra­vail, leur esprit de l’ordre, de l’organisation et de la dis­ci­pline, — dis­ci­pline volon­taire, s’il faut, à consta­ter, par exemple, dans le mou­ve­ment ouvrier, par l’appui que les tra­vailleurs apportent à la presse ouvrière. Admet­tons de même que l’industrie alle­mande joue­ra, grâce à ces bonnes qua­li­tés du peuple, un rôle impor­tant, dans l’avenir comme avant. Mais ne fer­mons pas non plus les yeux devant les défauts natio­naux des Alle­mands : leur esprit de trou­peau, leur manque d’individualité et d’initiative personnelle.

Et sur­tout, méfions-nous de la « phi­lo­so­phie allemande » !
 
[/​Christian Cor­né­lis­sen./​]

La Presse Anarchiste