La Presse Anarchiste

C.G.T. unique ou 3e C.G.T.

[(Notre cama­rade Le Pen, à qui un cer­tain nombre de ques­tions ont été pésées dans le N°2 de la Voix du tra­vail, nous a deman­dé d’in­sé­rer sa réponse. Nous nous fai­sons un plai­sir d’ac­quies­cer à sa demande. À la suite de son article nous publions la réplique du cama­rade Bes­nard, auquel nous avons com­mu­ni­qué l’ar­ticle de Le Pen.

Les lec­teurs, trou­ve­ront aus­si, plus loin, une lettre ouverte adres­sée au cama­rade Le Pen, ayant trait aux décla­ra­tions de ce der­nier a la der­nière Assem­blée Géné­rale du S.U.B.)]

Pour une C.G.T. unique

Dans le numé­ro 2 de La Voix du Tra­vail, Bes­nard me pose une ques­tion et me demande d’y répondre. Je le fais, espé­rant que l’hos­pi­ta­li­té de ses colonnes me sera bien accordée.

Tout d’a­bord, j’ai la cer­ti­tude que Bes­nard n’a jamais cru que je vou­lais entrer à la vieille C.G.T. de gaie­té de cœur et par convic­tion, m’as­si­mi­ler les méthodes qui y ont cours et par­ta­ger les res­pon­sa­bi­li­tés des actes de Jou­haux. Il sait que seuls les évé­ne­ments, la situa­tion, les sou­cis des des­ti­nées du syn­di­ca­lisme et l’in­té­rêt ouvrier me guident.

L’u­ni­té des orga­nismes cen­traux étant ren­due impos­sible par l’in­tran­si­geance, l’or­gueil et l’in­té­rêt des diri­geants, je pense que la ren­trée indi­vi­duelle ou col­lec­tive pure et simple, la fusion des syn­di­cats, est l’u­nique moyen pra­tique de réa­li­ser l’u­ni­té, de mettre fin à la divi­sion des forces ouvrières d’où résulte son impuissance.

Abdi­ca­tion, dis-tu ? Non ; réflexion, acte déter­mi­né par la situa­tion. C’est une façon de voir que tu as long­temps par­ta­gée alors que, comme aujourd’­hui, tu connais­sais l’ac­tion et l’é­tat d’es­prit des diri­geants de la vieille C.G.T. Sans doute, cette façon d’a­gir ne nous don­ne­ra pas les garan­ties que nous espé­rons ; nous devrons subir, au moins pen­dant quelque temps, la loi du plus fort. Cette contrainte est-elle aus­si nui­sible que les effets de notre frac­tion­ne­ment ? L’im­puis­sance due à notre divi­sion doit-elle être consi­dé­rée comme défi­ni­tive et sans remède ?

Sépa­rés, les hommes s’i­gnorent. L’heure du dan­ger ne suf­fit pas tou­jours pour les rap­pro­cher. Ils sont sou­vent plus sen­sibles à l’es­prit de clan qu’à l’in­té­rêt de leur situa­tion. L’es­sen­tiel du pro­blème est là, dans la situa­tion. Cha­cun de nous le sait. Ce ne sont point, tu le sais, Bes­nard, les prin­cipes qui nous séparent, mais seule­ment les moyens de les appli­quer avec les meilleurs résul­tats et dans le plus court délai. Les évé­ne­ments sont graves. Ils peuvent deve­nir tra­giques. Les tra­vailleurs en sont-ils émus ? Les mili­tants ont-ils ten­té, en dehors d’une mince poi­gnée, de consi­dé­rer, même avec les forces auto­nomes, un Comi­té anti­fas­ciste ? Non. Alors ? Tu veux t’é­ver­tuer à convaincre le cercle res­treint des convain­cus mais inactifs ?

Mino­ri­té agis­sante, dis-tu ? Oui. Belle for­mule, mais que dément trop, hélas ! l’i­nac­tion et l’in­dif­fé­rence actuelle. Elle peut être admi­rable en cer­taines cir­cons­tances, mais il lui faut l’en­thou­siasme et la foi que les Cama­rades, en dehors de quelques-uns, n’ont plus. C’est pour­quoi je suis obli­gé de tenir compte des faits, du nombre ain­si que de l’é­tat d’esprit.

Au res­treint, je .pré­fère l’é­ten­due, le champ d’ac­ti­vi­té plus vaste et moins sté­rile que les sen­tiers bat­tus dans les­quels nous pié­ti­nons sans espoir. À l’ex­té­rieur fer­mé, inac­ces­sible et hos­tile, je pré­fère l’in­té­rieur, peut-être tumul­tueux et froid, mais utile. Crois-tu fer­me­ment que mal­gré la haine et le dis­cré­dit on vien­dra entendre la voix de la véri­té ? J’en doute et je m’en rends compte par l’empressement mani­feste pour les confé­rences récentes.

Puisque la mon­tagne ne vient pas à nous, je veux ten­ter d’al­ler vers elle. Cela n’est-il pas pré­fé­rable à l’at­tente indéfinie ?

Tu crois qu’il faut sépa­rer pour unir ? Je crois qu’il faut rap­pro­cher pour confondre et faire bloc. On ne ren­force pas en mor­ce­lant. Comme toi, je vise à libé­rer le syn­di­ca­lisme des par­tis poli­tique, mais je ne fais pas de dis­tinc­tion à la règle d’in­dé­pen­dance à l’é­gard des sectes phi­lo­so­phiques. Je crains un désir d’emprise de l’a­nar­chie sur le syn­di­ca­lisme. Comme exemple, la consti­tu­tion d’un comi­té de défense anar­chiste, alors qu’il existe un Comi­té de défense sociale jus­ti­fie ces craintes. Les élé­ments et les par­ti­sans d’une 3e C.G.T. sont net­te­ment de ten­dance anar­chiste. Ils lui don­ne­ront donc un esprit tel, une forme d’or­ga­ni­sa­tion telle, qu’elle cor­res­pon­dra à leur concep­tion et fera du syn­di­ca­lisme un orga­nisme d’ex­cep­tion, une sélec­tion d’in­di­vi­dus. Ce grou­pe­ment ne sera donc, qu’une secte, en esprit et en forme iden­tique à l’U­nion Anar­chiste. Il engen­dre­ra avec elle la confu­sion ou la dua­li­té. Est-ce cela que se pro­pose la 3e C.G.T. ? Si oui, cela n’au­ra qu’un loin­tain rap­port avec le véri­table syn­di­ca­lisme, qui a sa pen­sée, son action, ses buts propres et qui doit être acces­sible à tous.

Tu as recon­nu publi­que­ment, Bes­nard, que l’U.F.S.A. était morte. Cepen­dant, tu veux consti­tuer défi­ni­ti­ve­ment la 3e C.G.T. avec les débris de l’or­ga­nisme pro­vi­soire ? Sau­ras-tu accom­plir ce tour de force qu’au­cun magi­cien n’a pu réus­sir jusque là : redon­ner la vie à un cadavre ? Tu sais fort bien qu’au­cun mathé­ma­ti­cien n’a jamais pu extraire le chiffre 1 d’une mul­ti­tude de zéros.

Le prin­ci­pal élé­ment sur lequel tu penses poser les bases de la 3e C.G.T., c’est la fédé­ra­tion du Bâti­ment auto­nome aux diri­geants de laquelle tu as su, sans peine, sug­gé­rer ton point de vue. Tu n’i­gnores point le chiffre réduit de ses effec­tifs — 4 à 5.000 ― dont une moi­tié au moins des adhé­rents, y com­pris ceux du S.U.B., sont adver­saires d’une 3e C.G.T. J’en­tends bien que tu t’ef­for­ce­ras de réus­sir, que tu ne négli­ge­ras rien pour cela. Ce n’est pas de ton acti­vi­té que je doute, mais bien de l’u­ti­li­té de cette 3e C.G.T. Car tu aurais pu poser le pro­blème sous la forme sui­vante : les deux C.G.T. sont-elles bien l’ex­pres­sion du syn­di­ca­lisme ? Si à cela on peut répondre non, il eut fal­lu ajou­ter : ne peuvent-elles le deve­nir ? L’af­fir­mer est aus­si osé que d’af­fir­mer que le mal et les imper­fec­tions dont elles souffrent sont ingué­ris­sables et n’at­tein­dront pas la nou­velle C.G.T. S’il fal­lait, selon votre méthode, cher­cher le remède en la consti­tu­tion d’une autre C.G.T., jus­qu’où cela peut-il aller ?

Ce n’est pas, tu peux m’en croire, de par­ti pris, mais après réflexion que je déplore qu’un esprit comme le tien puisse encore s’a­bu­ser d’une expé­rience, condam­née par d’aus­si désas­treux résul­tats, et du degré de clair­voyance de cer­tains par­ti­sans d’une 3e C.G.T. Contrai­re­ment à toi, et sans faire abs­trac­tion de notre idéal, sans pié­ti­ner notre doc­trine, j’es­time qu’on peut, par des efforts tenaces, rame­ner dans la voie ini­tiale le char du syn­di­ca­lisme. Ses conduc­teurs actuels peuvent, dans un temps don­né, être mis en mino­ri­té et rem­pla­cés. Le mirage du démo­cra­tisme et de la poli­tique me parait avoir lais­sé là-bas, au cœur des tra­vailleurs, d’a­mères dés­illu­sions qui peuvent se trans­for­mer en révolte. L’ab­di­ca­tion des anar­chistes et des liber­taires dont tu parles peut bien être plus appa­rente que réelle. L’op­po­si­tion, sous la pous­sée des évé­ne­ments et la recru­des­cence d’ac­ti­vi­té, avec des convic­tions plus saines, plus vives, ne peut-elle, enfin, s’af­fir­mer et gran­dir ? Bien osé qui dirait : non !

De toute évi­dence, je ne doute pas qu’un tel résul­tat ne s’ob­tien­dra pas sans peine, que mon rôle et celui de ceux qui m’i­mi­te­ront ne soit celui de Sisyphe de l’en­fer social. Mais ce sup­plice, com­pa­ré à celui de Tan­tale, qui t’est sans doute réser­vé, est-il le plus mauvais ?

Et puis, n’est-ce point le lot si com­mun réser­vé aux mili­tants sin­cères, bafoués et insul­tés par leurs frères de misère dès qu’ils ne plaisent plus ou ne pensent plus comme eux ? Qu’im­portent ces injus­tices, si de nos efforts peut sor­tir un peu de lumière, de bien-être et d’harmonie !

C’est vers cet objec­tif que doivent tendre nos efforts. Et c’est pour cela, que tout en ren­dant hom­mage à ton dévoue­ment, à ton acti­vi­té, je suis convain­cu que tu te trompes en t’en­ga­geant dans la voie d’une 3e C.G.T. et je ne t’y sui­vrai pas.

À la pré­fé­rence, à l’ins­tinct super­fi­ciel du gout j’op­pose le choix, moins brillant mais plus sûr, que l’exa­men pro­fond et la rai­son imposent.

[/​Le Pen/​]

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Pour la 3e C.G.T.h/h2>

Le Pen me per­met­tra de lui faire remar­quer qu’il n’ap­porte aucun argu­ment nou­veau. Sous une forme plus agréable, il repro­duit son point de vue expri­mé dans le Semeur.

Il lui était d’ailleurs dif­fi­cile de faire autre­ment, puisque aus­si bien, il était allé immé­dia­te­ment au fond du problème.

Ma réponse ne pour­ra donc être autre chose qu’une répé­ti­tion — ou à peu près ― de celle que je fis à son pre­mier article.

Je n’ai jamais pen­sé que Le Pen était déci­dé, de gaî­té de cœur, à ren­trer à la vieille C.G.T. Mais, par contre, je pense que Le Pen n’a pas le sens des évé­ne­ments, qu’il les inter­prète trop tard et à faux. Je crois aus­si qu’il est pri­son­nier de la posi­tion qu’il a prise au Congrès Fédé­ral du Bâti­ment, à Lyon, l’an der­nier. Je crains qu’il ne veuille res­ter sourd, obs­ti­né­ment, à tout rai­son­ne­ment, qu’il ne repousse sans exa­men, tous les argu­ments de fait qu’on lui présente.

En recon­nais­sant que l’u­ni­té est impos­sible entre les orga­nismes cen­traux exis­tants, il détruit immé­dia­te­ment le titre et le fond de son article ci-des­sus. Mieux, en pré­co­ni­sant la ren­trée indi­vi­duelle dans la C.G.T., il adopte le point de vue de la C.G.T. qui déclare : la porte est ouverte. Or, ce point de vue n’est accep­té ni par la C.G.T.U. ni par les syn­di­ca­listes auto­nomes. La ren­trée de quelques indi­vi­dua­li­tés dans la C.G.T. ne signi­fie donc rien. Elle ne peut aucu­ne­ment faire ces­ser la scis­sion. C’est l’é­vi­dence même.

Et je répète à Le Pen que les « ren­trants » n’au­ront que deux posi­tions à prendre : ou abdi­quer ou s’en aller à nou­veau.

S’ils n’ab­diquent pas, s’ils cri­tiquent, s’ils veulent « conqué­rir » la C.G.T., les diri­geants en place sau­ront les « enfer­mer », les iso­ler, étouf­fer leur voix, défor­mer leurs cri­tiques et leurs pro­po­si­tions et fina­le­ment, s’ils deviennent trop gênants, ils sau­ront les obli­ger à quit­ter l’in­ha­bi­table maison.

Conqué­rir la C.G.T., mon cher Le Pen ? Com­ment peux-tu sou­te­nir cela sérieu­se­ment, alors que tous ensemble nous n’a­vons pu triom­pher ? Et vous le feriez seuls, à quelques-uns, alors que nulle oppo­si­tion réelle n’existe dans la vieille mai­son endor­mie ? Allons donc ! Ce qu’on vous per­met­tra, ce sera de faire figure d’op­po­si­tion « néces­saire ». Et ce sera tout, en fait de redres­se­ment, ce qu’on tolè­re­ra. Ça ne me suf­fit pas, ni à d’autres.

Tu dis qu’à un cer­tain moment, pen­dant long­temps, je fus par­ti­san de retour­ner à la C.G.T. C’est exact. Depuis Saint-Étienne jus­qu’aux élec­tions de mai 1924, j’ai fait l’im­pos­sible pour déci­der à cela la mino­ri­té. Elle n’a pas accep­té ce point de vue qu’elle n’a sans doute jamais com­pris dans son ensemble.

Pour­quoi ai-je eu cette atti­tude ? Parce que je savais deux choses : 1° La route que sui­vrait la C.G.T.U. ; 2° L’en­li­se­ment défi­ni­tif de la C.G.T. dans le démo­cra­tisme en cas de suc­cès du Car­tel des Gauches.

Ces deux choses se sont réa­li­sées. La C.G.T.U. a pié­ti­né le syn­di­ca­lisme et la C.G.T. est deve­nue un orga­nisme gouvernemental.

Je pen­sais qu’une ren­trée en masse des syn­di­ca­listes dans la C.G.T. pou­vait évi­ter à celle-ci une faillite défi­ni­tive, per­mettre son redres­se­ment et, de proche en proche, ame­ner la recons­ti­tu­tion d’un mou­ve­ment vrai­ment syn­di­ca­liste qui serait deve­nu plus fort au détri­ment de la C.G.T.U.

Ce temps est pas­sé. Ce qui était vrai à cette époque est faux aujourd’­hui, parce que la situa­tion est tota­le­ment inver­sée. Inter­pré­ter les évé­ne­ments de 1926 comme ceux de 1923, alors qu’ils n’ont rien de com­mun, c’est com­mettre la plus gros­sière erreur. C’est cepen­dant ce que tu fais. Voyons, rai­sonne un peu, que diable ! et tu ver­ras que tu fais fausse route.

Les par­ti­sans de la 3e C.G.T. ne rai­sonnent pas, n’a­gissent pas par esprit de clan.

Ils abou­tissent à une solu­tion logique qui leur dicte toutes les don­nées du pro­blème. Ils veulent aller vite, pré­ci­sé­ment parce qu’ils craignent d’être pris de vitesse par les évé­ne­ments, parce qu’ils veulent confier au mou­ve­ment syn­di­cal auto­nome orga­ni­sé et non à un vague Comi­té la tâche de lut­ter contre le fascisme.

Tu sembles reje­ter aujourd’­hui la théo­rie des mino­ri­tés agis­santes. Pour­tant, l’his­toire enseigne que tous les bou­le­ver­se­ments furent leurs œuvres Et le der­nier, le plus grand, n’est dû qu’à l’ac­ti­vi­té d’une poi­gnée d’hommes har­dis grou­pés autour de Lénine. Si la for­tune ne sou­rit pas tou­jours aux auda­cieux, les hommes les suivent cepen­dant plus sou­vent que les inactifs.

Tu sembles vou­loir faire croire que la 3e C.G.T. est une « créa­tion de mon esprit ». Du tout. Le cou­rant qui s’est des­si­né en sa faveur, qui s’ac­cen­tue chaque jour, — j’en ai la preuve — est la consé­quence de faits dont les tra­vailleurs tirent en ce moment la conclu­sion. Aujourd’­hui, tous les syn­di­ca­listes, ou presque, sont convain­cus, après les expé­riences aus­si récentes que répé­tées, qu’il n’y a plus d’u­ni­té pos­sible. Il est donc logique qu’à défaut de l’u­ni­té totale impos­sible, ils cherchent à faire la leur.

Leur convic­tion est encore for­ti­fiée, parce qu’ils ont com­pris l’op­po­si­tion sociale des buts pour­sui­vis par les deux C.G.T. et par eux.

Ils savent que, désor­mais, il serait sté­rile de pour­suivre, d’une part, la chi­mère de l’u­ni­té et que, d’autre part, le syn­di­ca­lisme, indé­pen­dant et libre, doit s’op­po­ser aux Par­tis, à tous les Par­tis et à leurs C.G.T. respectives.

Et ils ont opté pour défendre le syn­di­ca­lisme par le seul moyen qui leur reste encore : consti­tuer une 3e C.G.T. ou plu­tôt don­ner une conti­nua­tion à la C.G.T. d’a­vant-guerre. C’est ce qu’ils appellent, eux, aller à la mon­tagne. Est-elle si loin ? L’a­ve­nir nous le dira.

Loin de « sépa­rer pour unir », je veux unir ce qui est sépa­ré : les forces auto­nomes ; mais je ne tente d’u­nir que ce qui peut l’être et non ce qui ne peut pas l’être. Je cherche le pos­sible. Tu tentes l’im­pos­sible, là est toute la dif­fé­rence. Elle est essentielle.

Quant aux craintes que tu mani­festes, en ce qui concerne la nou­velle C.G.T. que tu vois déjà sous le contrôle de l’U­nion Anar­chiste-Com­mu­niste, elles sont pour le moins pré­ma­tu­rées. J’a­joute qu’elles sont vaines, parce qu’à aucun moment nous n’a­vons tolé­ré que qui­conque empiète à son pro­fit sur l’in­dé­pen­dance du syn­di­ca­lisme ; parce que je crois, aus­si, que nos cama­rades anar­chistes n’ont jamais nour­ri de telles ambi­tions ; parce qu’ils com­prennent cer­tai­ne­ment que la 3e C.G.T. doit être un grand orga­nisme où tous les tra­vailleurs, et pas seule­ment les anar­chistes, doivent trou­ver leur place, parce que la 3e C.G.T. après l’ex­pé­rience des deux autres n’est viable qu’à cette condition.

Lorsque Le Pen déclare que j’ai recon­nu publi­que­ment que l’U.F.S.A. était morte, il exa­gère un peu. J’ai recon­nu — et c’est la véri­té — qu’elle ne pro­gres­sait pas. C’est dif­fé­rent. J’a­joute, pour l’é­di­fi­ca­tion de Le Pen, que je connais les rai­sons de cette stag­na­tion. On ne vient pas à un orga­nisme pro­vi­soire comme l’U.F.S.A., mais on va à un orga­nisme défi­ni­tif, qui déclare net­te­ment ce qu’il veut être, qui indique clai­re­ment ses buts, qui affirme caté­go­ri­que­ment son pro­gramme. Si, au lieu de consti­tuer l’in­con­sis­tante U.F.S.A. en 1924, on avait mis debout immé­dia­te­ment la C.G.T., troi­sième du nom, nous serions loin aujourd’hui.

L’er­reur est là. Nous avons per­du 3 ans. Voi­là la véri­té. Nos adver­saires l’ont com­pris, eux. Allons-nous le com­prendre enfin ?

Je ne sais ce que repré­sente exac­te­ment la Fédé­ra­tion du Bâti­ment, mais j’af­firme qu’elle est trop jalouse de ses pré­ro­ga­tives, de son indé­pen­dance pour m’a­voir « sui­vi ». Et tu le sais bien.

Elle sera une grande force de la 3e C.G.T. C’est enten­du, mais elle y ren­con­tre­ra d’autres forces qui, d’ores et déjà, ne sont pas négli­geables. Cela, je puis, main­te­nant, te l’assurer.

Quoi que tu en penses, j’af­firme aus­si que les deux C.G.T. souffrent, à nos yeux, d’un mal ingué­ris­sable. Jamais elles ne défen­dront à nou­veau le syn­di­ca­lisme. Leurs buts, leurs pro­grammes, leur inter­disent de se déju­ger. C’est leur rai­son d’être et ce ne sont point les « anar­chistes démo­crates » — dont le som­meil est réel et non fic­tif — que la C.G.T. peut pos­sé­der dans son sein qui la ramè­ne­rait dans la voie à jamais aban­don­née. Quant à la C.G.T.U., tu es fixé, je pense.

Il faut, aujourd’­hui, ou défendre le syn­di­ca­lisme ou signer sa faillite. On ne peut le défendre qu’a­vec une arme bien trem­pée, qu’a­vec une force saine et orga­ni­sée. Le reste n’est qu’illusions.

Je ne m’a­buse pas, crois-le. Je n’en­du­re­rai pas le sup­plice de Tan­tale. Je savais que tôt ou tard, l’heure de la réunion des forces syn­di­ca­listes fran­çaises vien­drait. Je l’ai atten­due patiem­ment, sans me décou­ra­ger, Et je suis déci­dé, pour peu qu’on m’y aide, à ne pas la lais­ser passer.

Ce n’est ni par goût ni par sen­ti­ment, que j’a­gis dans cette direc­tion. J’au­rais pré­fé­ré, comme toi, revoir un mou­ve­ment unique. C’est impos­sible, je me résigne et je cherche le salut par une autre voie, la seule qui nous reste : la consti­tu­tion d’une 3e C.G.T., consé­quence même des évé­ne­ments et outil de libé­ra­tion néces­saire, plus que jamais, aux travailleurs.

C’est cela qu’im­posent vrai­ment et la rai­son et l’exa­men pro­fond de la situa­tion présente.

T’en convain­cras-tu, Le Pen ?

[/​Pierre Bes­nard/​]

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